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Loi électorale votée par le CNT : les tares des amendements

Avec 92 amendements subis par le projet de loi électorale soumis à son examen, le mot tripatouillage n’est nullement exagéré pour qualifier le retoquage opéré par le CNT sur le document gouvernemental.

Une œuvre salutaire ? Le temps nous le dira.
Mais d’ores et déjà, nous relevons un certains nombre d’amendements du CNT qui paraissent problématiques. Il faut même dire que parfois, la thérapie des amendements paraît pire que les maux des insuffisances alléguées du projet de loi électorale.
L’AMENDEMENT N°3(ARTICLE 4) : une transmission inexistante de dossiers de candidatures ; un partage flou de responsabilité entre l’AIGE et le Représentant de l’Etat.
– Article 4- tiret 2 : « L’AIGE est chargée…. de la réception et de la transmission des dossiers de candidatures relatifs aux élections des députés à l’assemblée nationale, des conseillers nationaux et des conseillers des collectivités territoriales… »
Observations :
La transmission des dossiers de candidatures ne concerne que l’élection des députés, à l’exclusion de celle du Président de la République, des conseillers nationaux et des conseillers des collectivités territoriales.
Les dossiers de candidatures des députés sont effectivement réceptionnés par le Coordinateur de l’AIGE dans la région, le District, la juridiction de l’ambassade ou du consulat, uniquement pour acheminement à la Cour constitutionnelle(Voir article 177)
Quant aux Conseillers nationaux en revanche, leurs dossiers de candidatures ne sont transmis nulle part(Voir article 189).
La meilleur preuve de cette non-transmission est donnée à l’article 190 alinéa 1er : « Le Coordinateur de l’AIGE dans la Région et le District procède à la publication des listes de candidatures reçues dans les quarante-huit (48) heures après la date limite fixée pour le dépôt ». Tout se gère par l’AIGE au niveau de la région.
Il en est de même pour les conseillers des collectivités territoriales, dont les dossiers de déclaration de candidature ne sont également transmis nulle part après leur dépôt(Voir article alinéa 1er de l’article 214).
La preuve de cette non-transmission est donnée au 1er alinéa de l’article 216 : « Le Coordinateur de l’AIGE dans le Cercle, dans la Région ou dans le District procède à la publication des listes de candidature au plus tard quarante-deux (42) jours avant le scrutin ».
Article 4 tiret 7: « L’AIGE est chargée…de l’acheminement des procès-verbaux des consultations référendaires, présidentielles et législatives, accompagnée des pièces qui doivent y être annexées à la Cour constitutionnelle, en rapport avec les représentants de l’Etat ».
Observations :
Le membre de phrase « en rapport avec les représentants de l’Etat » est d’une imprécision dangereuse en matière de responsabilité dans l’organisation d’une élection. Que signifie cette expression ? Quelle en est le contenu devant nécessairement fixer les parts respectives de responsabilité de l’AIGE et du Représentant de l’Etat dans l’acheminement des procès-verbaux à la Cour constitutionnelle.
Ce partage flou de responsabilités n’est pas à la mesure du poids de la suspicion qui pèse sur les opérations d’acheminement des procès-verbaux des opérations de vote à la Cour constitutionnelle.
La transmission des résultats est une opération dont la grande sensibilité ne s’accommode pas d’un tel flou dans le partage des responsabilités.
L’AMENDEMENT N°4(ARTICLE 5 NOUVEAU) : amendement infesté de contradictions et d’interférences, voire de conflits potentiellement dangereux entre l’Administration territoriale et l’AIGE. Il installe la confusion généralisée dans le processus d’organisation technique et matérielle des élections.
Observations :
L’article 5 nouveau sème la confusion totale en disposant que le ministère de l’Administration territoriale « a pour mission d’appuyer l’AIGE » et qu’il est en même temps chargé de missions spécifiques qu’il énumère.
Erreur de rédaction ? Toujours est-il que selon l’article 5, le ministère de l’Administration territoriale « a pour mission d’appuyer l’AIGE. A ce titre, il est chargé… ».
Sur cette base et dans l’énumération qui suit, il est curieux de lire encore au tiret 4 du même article 5 nouveau que l’Administration territoriale est chargée « d’appuyer le suivi et la supervision de l’ensemble des opérations référendaires et électorales ».
C’est comme si l’Administration territoriale était « chargée d’appuyer l’appui ». Ce qui n’a aucun sens.
D’un autre côté, le ministère de l’Administration territoriale ne peut être à la fois l’unique responsable de l’opération de révision des listes électorales et servir d’appui à cette même opération de révision des listes électorales. Le terme « appui » paraît inapproprié, puisque le ministère en est le maître d’œuvre, conformément à l’amendement 37(article 57 alinéa 2) où il est stipulé qu’ « en année électorale, l’AIGE assure le suivi et la supervision des opérations de révision des listes électorales ».
Par ailleurs, qui va s’occuper de la supervision de « l’établissement » des listes électorales dont on ne pipe mot ?
Pourtant, à l’amendement n°33, l’alinéa 3 de l’article 52 dispose qu’ « il peut également être procédé à l’établissement de nouvelles listes électorales après un nouveau recensement administratif … ».
Aussi, qui va assurer la supervision de la « révision » des listes électorales qui ne soit pas « à l’occasion des opérations référendaires et des élections… »? Nous visons ici la révision des listes électorales dont l’échéance est annuelle.
Un autre anachronisme à l’article 5 nouveau : la redondance entre d’une part le tiret 5 relatif à « la gestion du matériel et de la logistique des opérations référendaires et électorales et la conservation du matériel après les élections » et d’autre part le tiret 9 relatif à « la mise en place du matériel et des documents électoraux en rapport avec l’AIGE ». En vérité, ces deux tâches se ramènent tout simplement à la même opération électorale.
Enfin, à l’article 5 nouveau-tiret 6, il est stipulé que le ministère de l’Administration territoriale est chargé d’appuyer l’AIGE dans «la détermination du nombre de conseillers à élire par commune, par cercle, par région, par district ».
La question qui vient à l’esprit ici est de savoir si c’est le ministère de l’Administration territoriale qui appuie dans cette mission ou si c’est lui qui exécute la mission sous la supervision de l’AIGE ? La seconde hypothèse paraît plutôt tentante.
Au total et relativement à l’amendement n°4(article 5 nouveau), nous estimons qu’il aurait fallu mettre en exergue la mission d’appui du ministère de l’Administration territoriale en ne lui mettant pas sur le dos des missions dont l’AIGE a la charge en tant que responsable principal de l’organisation technique et matérielle des élections.
L’amendement devait observer la concordance des missions de l’AIGE énumérées à l’amendement n°3 (article 4) avec celles de l’amendement n°4(article 5 nouveau) afin de lever toute équivoque quant à la mission d’appui du ministère de l’Administration territoriale à l’AIGE détenant la compétence de droit commun.
L’AMENDEMENT N°6(ARTICLE 7) : consacre la dénaturation complète de l’AIGE qui s’échappe de son statut de creuset d’expertises électorales pour aller s’égarer dans les combines d’un système de représentation.
Observations:
Comment peut-on un tant soit peu prendre au sérieux l’évocation par l’article 7 de critères de « compétence, de probité, de bonne moralité, d’impartialité » , lorsque le critère fondamental de la composition de l’AIGE tient à une simple représentation catégorielle sans aucun appel à candidature?
Il est curieux de constater que l’amendement a édulcoré l’alinéa 1er de l’article 6 du projet de loi électorale en biffant toutes références à des domaines d’expertises électorales précis.
D’ailleurs, aucun profil particulier n’est plus exigé des membres de l’AIGE. L’amendement atterrit à pieds joints dans la boue des options qui décrédibilisent l’AIGE qui prend ainsi les allures d’une sorte de soupe populaire à laquelle tout le monde est invité : pouvoirs publics(partis politiques(4) et société civile(3). Ce qui donne juste un petit collège de 15 membres. Même des institutions de la République menacées de suppression comme le HCC et le CESC sont pourvues comme si leur conservation constitutionnelle était déjà actée.
L’AIGE version CNT, c’est le spectre de la CENI de 1997 en pire, dont le nom reste attaché à la débâcle électorale du siècle. Contrairement à la CENI de 1997, cette AIGE a carrément fait le choix de la politisation de haut vol du fait de sa composante « pouvoirs publics » en lieu et place de « l’administration ».
S’imagine-t-on demain, une AIGE dominée par une composition politique majoritaire réunissant le Chef de l‘Etat, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du HCC et le Président du CESC et sans doute des partis politiques et même des membres de cette pseudo société civile politisée dont on sait qu’elle penche naturellement vers le clan majoritaire?
L’AMENDEMENT N°18(ARTICLE 22) : une délocalisation clochardisée de l’AIGE par le dépérissement quantitatif des coordinations(région, district, cercle, commune, ambassade et consulat).
Observations:
Même avec un collège porté de 9 à 15 membres , cela paraît une gageure que de prétendre confier l’organisation technique et matérielle des élections à un tel organe. Pire encore, c’est aux échelles territoriales où a lieu la réalité de l’élection que l’AIGE connaît un regain de dépérissement quantitatif avec des coordinations de 7 membres au niveau national et de 5 membres dans les ambassades et consulats.
Les cinq départements prévues à l’article 18(amendement n°17) ne pourraient aucunement suppléer cette faiblesse, d’autant que ces départements vont naturellement pâtir de la rareté des compétences.
L’AMENDEMENT N°20(ARTICLE 24) : consacre des Coordinations ad hoc de l’AIGE condamnées à sommeiller dans un processus d’intermittence permanente.
Observations:
Le projet de loi électorale à son article 24 ne garantissait que la permanence des Coordination de région et du District, les autres niveaux étant condamnés à une sorte de nomadisme consistant à faire irruption 6 mois avant le début des élections et à plier bagage et déguerpir juste un mois après la proclamation des résultats définitifs.
L’amendement n°20(article 24) fait pire.
Les Coordinations de région, du district, du cercle, de la commune, de l’ambassade et du consulat sont toutes nomadisées. Elles sont « mises en place six(06) mois avant le début des opérations référendaires et électorales et leurs missions prennent fin un(01) mois après la proclamation des résultats définitifs ».
Quelle bizarre conception d’une administration électorale que l’on voudrait performante ?
Par ailleurs, l’amendement n°20(article 24) soulève des questionnements pertinents non traités.
– A partir de quand débute les opérations référendaires et électorales ?
– Qu’adviendra-t-il de cette fin de mission dans les hypothèses où il n’y aurait pas de proclamation formelle de résultats définitifs ?
L’AMENDEMENT N°47(ARTICLE 70) : la confection et la mise à jour du fichier électoral prévues uniquement en année électorale ; le suivi et la supervision des opérations de révision des listes électorales par l’AIGE réservés uniquement aux années électorales.
L’amendement n°47(article 70) dispose : « En année électorale, la nouvelle liste électorale résultant du tableau rectification est adressée par le ministère chargé de l’administration territoriales à l’AIGE en deux exemplaires en, vue de la confection ou de la mise à jour du fichier électoral ».
Observations :
L’amendement (article 70) condamne toute possibilité de mise à jour ou d’actualisation du fichier électoral en dehors des « années électorales » conformément à son alinéa ainsi libellé et bat en brèche la révision annuelle des listes électorales qui suppose nécessairement une mise à jour subséquente du fichier électoral.
De manière implicite, la loi électorale votée suggère la confection et la mise à jour du fichier électoral uniquement en année électorale qui se détermine par rapport aux échéances des mandats électifs.
En année non électorale, il n’est donc pas prévu que le ministère chargé de l’administration territoriales adresse à l’AIGE les deux exemplaires de la nouvelle liste électorale en vue de la confection ou de la mise à jour du fichier électoral.
En d’autres termes, la mise à jour du fichier n’aura pas lieu dans les périodes qui séparent les années électorales.
Or, rien ne certifie qu’il ne pourrait pas y avoir d’élections partielles ou même des élections anticipée durant ces périodes. Il est clair que dans ces conditions, des élections partielles ou anticipées pourraient se présenter alors que le fichier électoral ne serait pas mis à jour.
C’est à peu près une remise en cause indirecte de l’amendement 33 relatif à l’alinéa 1er de l’article 54 où au lieu de « les listes électorales font l’objet d’une révision ordinaire du 1er octobre au 31 décembre précédant l’année électorale ou référendaire », il faut lire article 52 : «
Les listes électorales font l’objet d’une révision annuelle du 1er octobre au 31 décembre de chaque année ».
Car, même si les listes électorales font l’objet d’une révision annuelle, la prise en compte de ces révisions annuelles en termes de mise à jour du fichier électorale n’est pas annuelle et n’est prévue que pendant les années électorales.
De surcroit et conformément à l’Amendement 37, l’AIGE n’assure le suivi et la supervision des opérations de révision des listes électorales qu’en année électorale.
L’AMENDEMENT N°37(ARTICLE 57 ALINEA 2) : acte l’absence de suivi et de supervision des opération de révision des listes électorales en dehors des années électorales et des opérations d’établissement des listes électorales même en année électorale.
Aux termes de l’amendement 37(article 57 alinéa 2) « en année électorale, l’AIGE assure le suivi et la supervision des opérations de révision des listes électorales ».
Observations :
Est-ce à dire qu’il n’ y aura pas de suivi ni de supervision, d’une part des opérations de révision des listes électorales en dehors des années électorales et d’autre part, des opérations d’établissement des listes électorales même en année électorale ?
L’AMENDEMENT N°71(ARTICLE 150) : suppression de la Commission nationale de centralisation.
Observation :
L’article 150 ne pipe mot de la Commission nationale de centralisation.
Il se contente de préciser que les Commissions de centralisation du cercle, du District de Bamako, des ambassades et consulats(Commissions locales) transmettent au Président de l’AIGE les procès-verbaux récapitulatifs des résultats de leurs localités.
L’article 150 ne fait pas cas du travail indispensable de la Commission nationale de centralisation sans laquelle le Président du l’AIGE ne pourrait proclamer dans la transparence les résultats provisoires.
L’AMENDEMENT N°72(ARTICLE 151): imprécision de la représentation des partis politiques, flou sur la Commission nationale de centralisation.
Observations :
Le fait de prévoir dans la Commission nationale de centralisation des résultats référendaires « 12 représentants de partis politiques » sans préciser la répartition en leur sein sera problématique.
Par ailleurs dans l’article 151, on saute de la Commission nationale de centralisation à la transmission au Président de l’AIGE du procès-verbal récapitulatif. On ne perçoit pas très clairement à l’article 151 le rôle des Commissions locales de centralisation.
Enfin, on a comme l’impression que le Président de l’AIGE totalise en solitaire les résultats des procès-verbaux sans que soit mis en exergue le rôle de la Commission nationale de centralisation.
Les deux niveaux de centralisation local et nationale qui conditionnent les résultats provisoires transparents, sont peu perceptibles.
L’AMENDEMENT N°74(158) : « légalise » les Transitions politiques
Observations :
L’amendement 74(article 158 dernier alinéa) dispose : « Toutefois, pour les élections marquant la fin de la Transition, il est dérogé aux règles de soutien aux candidats prévu à l’alinéa précédent ». Tel que formulé, cet amendement tend à établir une règle générale permanente qui serait applicable à toutes les Transitions au lieu que ce soit juste une dérogation liée à la seule Transition en cours.
L’AMENDEMENT N°75(-ARTICLE 165) : aucune mention n’est faite de la Commission nationale de centralisation des résultats du scrutin.
Observations :
L’article 165 prévoit les Commissions locales de centralisation (cercle, District de Bamako, ambassade et consulat) dont les procès-verbaux récapitulatifs des résultats sont transmis au président de l’AIGE. Il dispose ensuite que celui-ci totalise les résultats de ces procès-verbaux récapitulatifs, proclame les résultats provisoires et les transmet à la Cour constitutionnelle. Aucune mention n’est faite de la Commission nationale de centralisation.
Au total, l’impression générale qui se dégage de la loi électorale votée, auscultée à l’aune des amendements suspects, est celle d’une somme nulle entre le projet gouvernemental et les amendements du CNT qui mériteraient d’être renvoyés dos à dos.
Autant le projet gouvernemental expérimentant de manière parfois maladroite et inappropriée le saut dans l’inconnue de l’AIGE est pourvoyeur de gros nuages dans le ciel électoral, autant les amendements parfois bancals du CNT ne sont guère de nature à y apporter un éclairci, tant ils politisent davantage l’institution, opèrent de terribles chevauchements entre elle et le ministère de l’Administration territoriale dans une atmosphère de flou intenable en matière de gestion électorale.
Aussi bien dans sa version originale que dans sa configuration édulcorée, le montage institutionnel de l’AIGE demeure boiteux.
Par ailleurs, le gouvernement, pas plus le CNT, n’abordent les problématiques fondamentales qui interrogent la gouvernance des élections au Mali et auxquelles aucune réponse n’est donnée(voir notre réflexion intitulée « L’argent-roi dans les élections : la bataille oubliée du projet de loi électorale ».
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)
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