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L’indépendance de la Cour constitutionnelle du Mali : un « tour de passe-passe » !

La Cour constitutionnelle du Mali ne peut pas dire le droit, parce que son statut ne la permet pas. Cette phrase est choquante, surtout que cette diatribe est adressée à l’institution, gardienne de la constitution et sensée protéger les droits fondamentaux des maliens. Il s’agit d’une institution façonnée, modelée pour servir le régime en place. La raison c’est que l’indépendance et l’impartialité, deux piliers sur lesquels reposent toute justice fait défaut à la Cour constitutionnelle.


Le premier critère de l’indépendance de la justice est la séparation des pouvoirs. Malheureusement, on constate la confusion de pouvoirs au niveau de la Cour constitutionnelle. A observer de plus près, les 9 sages, contrairement à ce que l’on nous fait croire, sont tous nommés par le seul Président de la République ou que ce dernier dispose le dernier mot du choix des 9 sages. La constitution dans son article 91 dispose que : « La Cour constitutionnelle comprend neuf membres qui (…) sont désignés comme suit : trois nommés par le président de la République (…) ; trois nommés par le président de l’Assemblée nationale (…) ; trois magistrats désignés par le Conseil supérieur de la magistrature. » Derrière cette belle disposition constitutionnelle, se cache un véritable « tour de passe-passe ».
En effet, la constitution attribue le choix des 3 conseillers au Président de la République. Trois (03) autres sont désignés par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Mais qui est ce Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ? Le Président du CSM est le Président de la République, son Vice-président est le Ministre de la Justice. Le conseil est composé, outre son Président et son Vice-président, de huit (08) membres de droit et treize (13) magistrats élus par leurs pairs. Les (08) huit membres de droit sont : le Président de la Cour Suprême ; le Secrétaire Général du Gouvernement ; le Procureur Général près de la Cour Suprême ; le Directeur National de l’Administration de la Justice ; l’Inspecteur en Chef des Services Judiciaires ; le Directeur National de la Fonction Publique et du Personnel ; le magistrat le plus ancien dans le grade le plus élevé ; le magistrat le plus jeune dans le grade le moins élevé.
En observant de plus près tous les membres influents du CSM sont de l’exécutif ou nommés par le Président de la République à leur poste, à partir duquel ils sont membres du CSM. A remarquer aussi que le CSM statue valablement lorsque 12 membres sont présents. Le Président de la République, président du CSM qui propose 3 personnes pour être membres de la Cour constitutionnelle, personne n’ose contester son choix. A l’inverse, aucun membre du CSM ne peut imposer le choix des 3 trois personnes au Président de la République, président du CSM pour être juges constitutionnels. En résumé, le Président conformément à la constitution nomme 3 membres de la Cour constitutionnelle, aussi en tant que Président du CSM, il est inconcevable d’imposer le choix au Président de la République, président du CSM, le choix des 3 membres qui doivent être désignés par le CSM. Sans parler du reste des membres de la Cour constitutionnelle le quorum est plus qu’atteint.
Les 3 derniers membres sont nommés par le Président de l’Assemblée Nationale. Encore l’Assemblée Nationale, généralement son Président est du même parti politique que le Président de la République. Ce Président de l’AN ose t-il imposé son choix au Président de la République ? A vous de juger.
L’article 94 alinéa 2 de la Constitution renvoie à une loi organique de fixer les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle, ainsi que la procédure suivie devant elle. Cette loi organique a été votée en 2003, aussi surprenant l’article 24 de cette loi organique renvoie à un simple Décret du Président de la République de fixer les modalités de fonctionnement du CSM. D’une loi organique on tombe dans un Décret par l’emploi de l’expression « modalités de fonctionnement ». Quelle différence existe-t-elle entre fonctionnement et modalités de fonctionnement ? Voici un cas de violation flagrante de la constitution. En plus, le Secrétariat administratif du CSM est rattaché au service de la Présidence. Le mandat d’un membre de la Cour constitutionnelle est de 7 ans renouvelable une fois. Si tu veux que ton mandat soit renouvelé, il faut faire l’affaire de l’autorité de nomination. Un véritable outil de chantage. Désignation des membres de la Cour et renouvellement du mandat aussi bien que leurs indemnités, seul le Président de la République dispose le dernier mot. Une telle Cour n’est qu’une parodie de justice, une supercherie.
De toute évidence, la Cour constitutionnelle se trouve sous la dépendance du Président de la République, de part les modes de désignation de ses membres, mais aussi à travers les indemnités dues à ceux-ci. Une juge dépendant est automatiquement partial. Donc si la Cour constitutionnelle ne dit pas le droit ne soyez pas surpris, elle ne peut pas le faire. Il s’agit d’une institution détachée de la Cour suprême pour permettre aux vainqueurs de la démocratie de légaliser leur fraude électorale. Tant que cette Cour constitutionnelle existe dans cette version, je doute si le régime peut perdre les élections. Le vote des citoyens n’a aucune importance, sauf s’ils votent pour le régime. La Présidente de la Cour constitutionnelle nous conforte dans ses commentaires de l’arrêt n° 2018-03/ CC EP du 08 Août 2018 que « les règles sont faites de telle sorte que le juge constitutionnel ne puisse jamais être récusé. » Cela signifie que son impartialité est illusoire. Sauf que la Présidente de la Cour oublie que si le juge constitutionnel est saisi d’une requête aux fins de récusation, le rejet de cette requête pour absence de procédure applicable, s’analyse comme le juge qui refuse de juger sous prétexte du silence de la loi. Ce juge est coupable de déni de justice, passible de sanction pénale. Voici la situation d’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui au Mali.

Dr Mamadou Bakaye DEMBELE, enseignant-chercheur, spécialiste du droit processuel, USJPB

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