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Libye : dans les prisons illégales de Tripoli

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Un peu partout en Libye, des milices font régner leur loi, interpellent des criminels et parfois les placent en détention dans des prisons illégales sous leur contrôle. Reportage dans l’un de ces sept centres de Tripoli.

Niché entre le tarmac de l’aéroport commercial de Mitiga et des entrepôts militaires de milices, un banal immeuble de plain-pied s’érige au milieu d’un terrain vague à huit kilomètres du centre-ville de Tripoli. Dans la pénombre, on distingue des hommes en arme qui surveillent l’obscurité avec nonchalance du haut de leur guérite décatie. Derrière ces murs surmontés de barbelés, une des sept prisons illégales de Tripoli. Celle-ci est sous la coupe du chef de milice salafiste Abdel Raouf Kara, 34 ans, dont le QG se trouve à quelques centaines de mètres de là. Avec ses 900 hommes revendiqués, Kara est l’un des plus puissants chefs de milice de la capitale libyenne, sous les ordres du ministère de l’Intérieur qui rémunère son contingent. Mais la dizaine d’anciens révolutionnaires désormais gardiens de sa prison illégale est rémunérée depuis peu par le ministère de la Justice à hauteur de 920 dinars par mois, soit plus que le salaire de base du milicien fixé à 557 dinars.

Claquette de piscine, treillis et keffieh sur veste militaire, Saleh est l’un d’entre eux. Ce jour-là, c’est lui qui orchestre le fonctionnement de cet “établissement pénitentiaire” d’une capacité de 400 détenus répartis en trois blocs. Avec assurance, le jeune homme âgé de 28 ans convie dans son bureau aux murs ornés d’écrans de télévisions qui retransmettent les prises de vues des caméras de surveillance disposées à chaque recoin. On y voit des scènes banales de détenus qui préparent leur tambouille, d’autres qui prient et d’aucuns qui s’ennuient.

“Nous avons actuellement 280 détenus ici. Chaque samedi, de 10 heures à 15 heures, la famille peut leur rendre visite. La plupart des détenus sont des consommateurs et trafiquants de drogue. Mais nous avons aussi des violeurs. Assez souvent, des parents nous confient leur fils accro à la drogue”, explique cet ancien combattant contre le régime de Kaddafi, reconverti comme il le pouvait.

Mais la quasi-totalité des détenus a été arrêtée par la milice de Kara qui tente vaille que vaille d’assurer la sécurité dans le quartier de Souk al-Jouma dont il a la charge. Pour le moment, ce chef à la fois respecté, craint et critiqué pour son islamisme assumé, refuse de rendre ses armes au gouvernement qui le rémunère tout en appelant à un désarmement de ces milices qui font régner l’ordre et le désordre dans le pays, au gré de leurs intérêts. Alors il continue de concentrer entre ses mains des pouvoirs régaliens tels que la police et la justice tout en dirigeant cette prison illégale. Sans aucune compétence et légitimité autre que la puissance des armes, il confie apprendre sur le tard et vilipende un système judiciaire exsangue.

“Aujourd’hui, la justice protège plus les criminels que les justiciers”, pointe Kara qui ajoute : “au départ, nous remettions à la justice les criminels que nous arrêtions. Mais nous les retrouvions deux jours plus tard au même endroit. Donc on s’est organisé. Si on ne s’occupe pas d’assurer la sécurité, qui le fera ?”

Un prisonnier qui refuse de donner son nom a encore le visage creusé par la drogue dure qu’il vendait et consommait. Cela fait huit mois qu’il est incarcéré là et subit une cure de désintoxication radicale, sans médicament idoine. Derrière les barreaux de sa cellule, sommaire mais propre, partagé avec une dizaine d’autres détenus, il explique: “c’est la seconde fois que je suis incarcéré ici. La vie y est dure, c’est la prison ! Mais nous ne sommes pas maltraités”.

Saleh, le directeur pénitentiaire du jour anticipe : “On ne les frappe pas pour le plaisir ou pour se venger. Parfois nous sommes contraints de le faire, mais c’est rare sinon quand ils sont malades on les soigne”. Et de s’empresser de montrer un petit réfrigérateur hors d’état de marche qui fait office de pharmacie. Les droits de l’homme ? “Nous respectons la charia et on essaye de faire au mieux pour respecter la dignité des prisonniers”, rétorque Kara.

Des conditions de détentions qui inquiètent l’Onu

Si le parlement, sous pression des milices, a adopté un arsenal judiciaire pour tenter de mettre un terme aux nombreux abus commis dans les prisons illégales du pays, les détenus se retrouvent totalement à la merci de leurs geôliers. Le 16 décembre dernier, l’ONU s’est dit particulièrement préoccupée par les cas de torture, parfois mortelles, et les détentions arbitraires dans des prisons illégales du pays. La prison de Kara, ce jour là – la visite n’était pas prévue – est plutôt bien tenue. Des salles de prière – obligatoire – ont été aménagées et non loin de la cour de promenade, un babyfoot est à la disposition des “prisonniers au comportement impeccable”. Pas possible toutefois de rencontrer les quatre Ukrainiens accusés d’avoir prêtés main forte à Kaddafi au cours de la révolution. Ils sont dans l’attente de leur jugement.

Selon le ministère de la justice, ainsi que pour l’ONU, il y aurait 8 000 prisonniers de guerre actuellement détenus en Libye. La moitié d’entre eux se trouve dans des prisons dirigées par des milices – 2 700 à Misrata et 500 à Zintan – échappant à tout contrôle de l’État. “C’est un gros problème que nous essayons de résoudre et nous n’abandonnerons pas. En dépit de la situation dans le pays, nous essayons d’améliorer le système carcéral”, a expliqué le ministre de la Justice Salah Marghani lors d’une conférence de presse tenue à l’occasion de la publication du rapport de l’ONU sur la question en septembre dernier. Et d’estimer que les problèmes des prisons dans cette Libye nouvelle sont hérités du régime précédent. Interrogé sur le plan de réforme du système pénitentiaire annoncé par le ministère de la Justice en 2014, Kara reste sceptique et lâche: “Ce gouvernement ne peut pas durer et est trop faible pour réformer un pays qui en a pourtant besoin”. Dans son hangar qui lui sert de base, entouré de ses hommes et de tanks et véhicules militaires en tout genre, Kara continue à exercer ses pouvoirs, tel un micro-État au cœur de la capitale libyenne.

Source : Jeune Afrique

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