C’est dire des progrès, y en a eu d’autant que l’organisation internationale reconnait : « même si le journalisme demeure un métier dangereux, le nombre de tués n’a jamais été aussi bas depuis 16 ans ».
Des chiffres qui portent donc à l’optimisme, mais qui cachent mal des défis. Pour preuve, il ressort du Rapport de RSF « le nombre de journalistes tués dans des pays qui ne sont pas en situation de conflit, reste élevé, au moment où celui de journalistes emprisonnés connaît une hausse de 12% par rapport à l’année écoulée ». Ce qui veut dire que des efforts restent à faire. D’autant que l’ONG de défense des droits des journalistes dit constater « parallèlement que de plus en plus de journalistes sont sciemment assassinés pour leur travail dans des pays démocratiques ».
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette baisse des chiffres des journalistes tués à travers le monde, dans l’exercice de leur métier, est un signal positif qu’il convient de saluer à sa juste valeur. Mais des efforts restent encore à faire d’autant plus que les chiffres de cette année tendent à prouver un changement de paradigme se traduisant par une baisse des tueries, mais une augmentation des cas d’emprisonnements sans compter les interpellations arbitraires. C’est peut-être un moindre mal et cela peut être considéré comme une avancée.
Le problème de fond reste tout de même entier en ce sens que le journaliste reste aujourd’hui encore un personnage gênant pour bien des dirigeants qui s’illustrent en prédateurs des droits humains sur la planète. L’Afrique n’échappe pas à cette règle. Et à l’épreuve de la liberté de presse à l’heure des grands changements, la situation reste très contrastée entre des pays comme la Namibie (23e), qui regagne sa première place en Afrique, le Burkina Faso (36e) ou le Sénégal (49e), qui bénéficient de paysages médiatiques parmi les plus pluralistes, et les moutons noirs de la démocratie comme l’Erythrée (178e) et Djibouti (173e), où aucun média indépendant n’est autorisé à travailler.
C’est dire que malgré la faible dégradation de son score régional, l’Afrique demeure aujourd’hui encore l’un des continents où la traque des journalistes qui gênent les pouvoirs en place, se fait le plus sentir. Surtout lorsque ce travail tend à lever le voile sur des pratiques et des affaires véreuses que bien des dirigeants auraient aimé dissimuler. C’est pourquoi il n’est pas exagéré de dire qu’en Afrique, continent encore à l’école de la démocratie, bien plus que des éveilleurs de consciences, les journalistes sont des piliers de la démocratie quand ils arrivent à inscrire leur combat dans le sens du respect des valeurs de l’Etat de droit.
Car dans un environnement où le réflexe de bien des dirigeants est à l’autoritarisme, c’est peu d’affirmer que le journalisme est un métier risqué. Particulièrement quand on a fait le choix de l’indépendance éditoriale vis-à-vis des élites politiques. Les cas Norbert Zongo au Burkina et Deydi Hydara en Gambie, assassinés respectivement en 1998 et en 2004, sont suffisamment éloquents à ce propos.
La publication de ce bilan RSF 2019, intervient au moment où leurs dossiers sont toujours pendants en Justice et au lendemain de la commémoration de leurs assassinats respectifs dans des conditions qui restent encore à être élucidées. En tout état de cause, ce bilan 2019 de RSF interpelle sur la nécessité de protéger les journalistes, dans l’exercice de leur métier.
A ce propos, l’on peut se demander si les mesures onusiennes visant à une meilleure protection juridique des journalistes dans l’exercice de leur métier, ont connu une avancée significative.
Si ce n’est pas le cas, il est peut-être temps d’y penser sérieusement. Car la baisse des chiffres en 2019 est loin de signifier une « embellie » définitivement acquise pour tous les peuples, partout dans le monde. Et le plus grand défi est de travailler à ce que ces chiffres ne connaissent pas un recul, la liberté de presse étant une quête permanente pour tous les pays et sur tous les continents.
Mais selon RSF, cette baisse ne doit pas faire oublier que le nombre de journalistes tués dans les pays dits « en paix » demeure élevé. A titre illustratif, le Mexique a enregistré 10 journalistes tués. L’Amérique latine avec un total de 14 tués est devenue une zone aussi meurtrière pour les journalistes que le Moyen-Orient meurtri par les conflits.
Pour l’organisation, cette double tendance à une conséquence : « Il y a désormais proportionnellement plus de morts dans les pays en paix (59%) que dans les zones de conflit et une hausse de 2% du nombre de journalistes assassinés ou sciemment visés ».
Le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, déplore avec ce constat, la disparition de la frontière entre les pays en guerre et en paix.
« S’il convient de se réjouir d’une baisse inédite du nombre de journalistes tués dans les zones de conflit, nous constatons parallèlement que de plus en plus de journalistes sont sciemment assassinés pour leur travail dans des pays démocratiques, ce qui constitue un véritable défi pour les démocraties dont ces journalistes sont issus » fait-il savoir.
En rappel, c’est depuis 1995 que RSF dresse le bilan annuel des exactions commises contre les journalistes, à partir de données précises établies entre le 1er janvier et 1er décembre de l’année de publication. L’organisation affirme que ces résultats sont issus d’une minutieuse collecte d’informations permettant d’affirmer avec certitude, ou du moins avec une très forte présomption, que la détention, l’enlèvement, la disparition ou la mort d’un journaliste est une conséquence directe de l’exercice de sa profession.
Paul Y. N’GUESSAN
Source: Bamako News