Pour un peu, on ne croirait pas entendre les mêmes ! Qui ? Ceux-là mêmes qui avaient tiré sur la corde, fin juillet-début août 2023, pour que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) prenne des sanctions économiques, commerciales et financières drastiques contre le Niger suite au putsch du général Abdourahamane Tiani qui a renversé le président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum.
Le Samedi 24 février dernier, lors du double sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) tenu à Abuja, on aurait cru, en effet, que les procureurs d’antan sont devenus subitement les avocats des pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qui ont annoncé leur retrait « sans délai » de l’organisation sous-régionale.
Que le Togolais Faure Gnassingbé, qui a toujours fait partie des modérés et, pris son bâton de pèlerin pour rapprocher les différentes positions, affirme que la CEDEAO « doit changer de méthode », cela se comprend très aisément.
Mais que le Sénégalais Macky Sall dénonce des « ingérences extérieures », ou que le Béninois Patrice Talon parle de « CEDEAO des peuples », voilà qui étonne.
« La CEDEAO ne doit pas être perçue comme ennemie par le Burkina Faso, le Mali et le Niger ». Que penser de cette exhortation de l’hôte du sommet, le Nigérian Bola Tinubu, celui-là même qui était prêt à lever une grande armée pour aller bouter la soldatesque hors du palais présidentiel nigérien? Renversant, tout cela !
C’est que, quitte à se dédire, à avaler des couleuvres et boire le calice du reniement jusqu’à la lie, la communauté ouest-africaine était prête à tout pour ramener dans la famille ses désormais ex-membres qui l’accusent, entre autres, de s’être « éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et du panafricanisme ».
La CEDEAO ou l’art de se faire hara-kiri
Et c’est donc sans surprise que les prestigieux convives du 101, Yakubu Gowon Crescent, du nom de l’un des pères fondateurs de la CEDEAO, ont décidé de lever « avec effet immédiat », la quasi-totalité des sanctions contre le pays d’Hamani Diori : finie la fermeture des frontières terrestres, fini le blocus énergétique, fini le blocage des transactions financières et bancaires, finie la suspension des vols commerciaux au départ et à l’arrivée du Niger.
Arrière toute, pour des raisons religieuses (le carême en cours et le Ramadan à venir) et surtout humanitaires.
Ainsi donc, en prenant ce train de mesures coercitives il y a de cela six mois, les vigies du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance ignoraient que cela affecterait durement des populations déjà en proie à une pauvreté massive.
On a beau exciper de tous les motifs, prétextes et autres échappatoires, ce double salto arrière de la CEDEAO sonne comme une victoire diplomatique et politique pour le Burkina Faso, le Mali et le Niger qui obtiennent ainsi le beurre et l’argent du beurre, pour ne pas dire le retrait de la CEDEAO et les bénéfices du retrait dans la mesure où finis les rappels à l’ordre pour un quelconque calendrier des transitions en cours. On ne peut que saluer ce démantèlement des sanctions dans la mesure où ce sont les petites gens qui en souffrent toujours mais jamais les dirigeants qui ne connaissent pas toujours le prix du litre d’essence ou de l’huile et encore moins celui du kilo de riz ou du kilowatt/heure.
Car, panafricanisme pour panafricanisme, anti-impérialisme pour anti-impérialisme, c’est connu, « la révolution ne supprime pas les privilèges, elle se borne à changer les privilégiés », comme le disait à juste propos Philippe Bouvard. En tout temps et en tout lieu, on gouverne toujours avec parents, amis et connaissances.
Si l’objectif, quand bien même louable, de Bola Tinubu et ses pairs est d’éviter l’implosion de l’espace communautaire, on se demande si au finish la CEDEAO ne vient pas de se faire hara-kiri.
In fine, il faut craindre que la lecture du communiqué final de ce double sommet extraordinaire ait résonné pas comme le chant du cygne. Autrement dit, lâcher du lest suffira-t-il à ramener au bercail des régimes qui ont clamé à la face du monde l’irréversibilité de leur décision souveraine et du moment où ils n’en sont plus membres, n’auront plus à se soucier des diktats de la CEDEAO sur le retour à une vie constitutionnelle normale, par exemple ?
Chacun d’eux pourra désormais faire tout ce que bon lui semble, et ne serait-ce que pour cela, on peut raisonnablement douter qu’ils retournent dans le carcan d’une institution complice d’un Occident impérialiste.
Et si c’était là l’une des raisons inavouées de ce divorce à l’AESienne ?
Maintenant, question ! Puisque l’expérience a montré que les coups d’Etat ne sont pas interdits mais qu’il faut juste les réussir, que ferait la CEDEAO s’il y a des putschs dans d’autres parties de l’Afrique occidentale ?
Va-t-elle se contenter d’en prendre acte au risque d’encourager de potentiels putschistes à oser des embuscades de palais ou bien va-t-elle à nouveau sanctionner au risque d’agrandir le cercle de ceux qui veulent se retirer ?
La seule façon pour la CEDEAO de pouvoir encore relever la tête, c’est d’opérer sa mue
A vrai dire, cet assouplissement de la CEDEAO vis-à-vis du Niger, n’est pas une surprise, au regard de l’inefficacité des mesures drastiques imposées au pays, et des menaces de dislocation de l’instance sous- régionale depuis que le Mali, le Burkina Faso et le Niger justement, ont décidé concomitamment et avec fracas, de lui tourner le dos le 28 janvier dernier.
Reste à savoir si malgré cette magnanimité, la CEDEAO pourra encore sauver ce qui reste de ses meubles, et si son image sera redorée auprès des populations qui l’accusent, à tort ou à raison, de prendre contre elles des mesures inhumaines et d’agir sous le diktat de puissances étrangères, à la tête desquelles se trouve « la France impérialiste ». Rien n’est moins sûr, et ce rétropédalage du week-end dernier ne va pas l’absoudre pour autant, sans doute encore moins susciter le « retour au bercail » des trois dissidents qui doivent être en train de boire actuellement leur petit lait en multipliant les rebuffades, parce qu’ « il n’y a rien en face ». Désormais, cette décision forcée de lever les sanctions les plus dures contre Niamey, fera office de jurisprudence, et pourrait ouvrir la voie ou la porte à une avalanche de coups d’Etat militaires, d’autant que les pays éventuels putschistes ne seront plus économiquement ostracisés. De ce fait, on pourrait assister malheureusement à une sorte de salto arrière dans l’Afrique de l’Ouest des années 80, quand n’importe quel galonné pouvait rêver d’être président, parce qu’il suffisait d’avoir la kalachnikov comme moyen de persuasion, et le tour était joué. Quoiqu’on dise, ce serait un grave recul pour les libertés individuelles et démocratiques, mais, on serait, en même temps, à l’abri de ces pouvoirs civils prétendument démocratiques qui tordent le cou aux textes pour se maintenir au pouvoir, sous le regard très souvent complice d’une CEDEAO laxiste et louvoyante. La seule façon pour l’Organisation sous-régionale de pouvoir encore relever la tête après ce but gag contre son camp face au Niger, c’est d’opérer sa mue à travers un aggiornamento qui la ramènerait à ses fondamentaux, c’est-à-dire uniquement à ses missions initiales d’intégration économique des pays membres de l’espace.
Les trois chefs d’Etat de l’AES pourraient passer à une autre étape dans la quête de la souveraineté totale
Car, il faut reconnaître qu’elle a commencé à se décrédibiliser depuis qu’elle a intégré le volet politique dans ses attributions, et s’est, plus d’une fois, fourvoyée en prenant des mesures à géométrie variable, sans tenir compte de l’intérêt des peuples pour lesquels elle est censée agir. Après avoir jusqu’ici tenu tête à « l’impérialisme et à ses valets locaux » incarnés par leurs pairs « démocratiquement élus », les trois chefs d’Etat de l’Alliance des Etats du Sahel pourraient passer à une autre étape dans la quête de la souveraineté totale, avec la possible création d’une monnaie commune, afin d’éviter que la BCEAO à laquelle leurs pays respectifs sont affiliés et qui est rattachée au Trésor français, ne soit instrumentalisée par la France pour les asphyxier financièrement, à chaque fois que la CEDEAO lève son épée, comme dans le cas du Niger. C’est possible, car n’oublions pas qu’en dehors des 14 pays qui utilisent le franc CFA en Afrique, chacun des 40 autres bat sa propre monnaie et ne se porte pas si mal. L’argument est peut-être simpliste et même spécieux, mais il est, de plus en plus, brandi pour semer le doute et la trouille dans les rangs de la CEDEAO, de l’UEMOA et de « certaines puissances étrangères » pour les faire dégonfler comme des ballons de baudruche, à l’image de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest dans le cas du Niger.
On verra bien dans les mois à venir si les trois dirigeants de Bamako, Niamey et Ouagadougou oseront franchir le Rubicon, et ce qu’il adviendra de l’UEMOA, le cas échéant.
A.Diallo