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LETTRE A EMMANUEL MACRON : LECONS D’HYPOCRISIE AFRICAINE

Monsieur le Président de la République française, vous avez bien prononcé ces mots : “Je vois trop souvent de l’hypocrisie, en particulier sur le continent africain (…) à ne pas savoir qualifier une guerre, parce qu’il y a des pressions diplomatiques, je ne suis pas dupe », le mardi 26 juillet 2022 à Yaoundé, aux côtés de votre homologue camerounais, Paul Biya, lors de votre étape camerounaise d’une tournée africaine qui vous a amené également au Benin et en Guinée Bissau.

Ainsi donc vous remettez une couche à votre long mur de fresques où l’on perçoit, t à chaque fois une once d’arrogance, comme bien d’observateurs vous accusent depuis votre arrivée à l’Elysée. Les épisodes du président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré transformé subitement en « électricien », par son visiteur du jour que vous étiez, devant des étudiants de l’Université de Ouagadougou médusés, « un gouvernement issu de deux coups d’Etat » adressé aux autorités maliennes, ou encore « la fertilité non voulue » chez les femmes africaines, sont encore vifs dans les esprits africains. De toutes les façons chez l’ami africain Macron, il y a toujours des perles et un fin antiquaire saura, pour l’histoire un jour, en vendre une belle collection. Alors ainsi cher Président E. Macron, nous africains sommes hypocrites au point de ne pas comprendre ce qui se joue en Ukraine. Les Africains vont devoir alors passer à la trappe des « chefs occidentaux », anciens colons passés dans le costume bigarré de néo colons, d’impérialistes déguisés et de grands amis de l’Afrique. Bien sûr comme les russes l’apprendraient à présent d’eux (qui ? le dire ici) si on se fie à vos propos tenus à Yaoundé.

Non cher président Emmanuel, comme le dit le chanteur « on a tout compris ». Oui si l’Afrique est hypocrite c’est qu’elle est enfin devenue bonne élève et apprend de ses maîtres, les anciens proprios qui s’appellent France, Grande Bretagne, Espagne, Portugal, Italie. Sans oublier le Big brother Américain, le tout en un dans le vocable « occident ». 

Alors évoquons le mot maître de votre carnet de route africain : « hypocrisie ». Dans la langue de Vaugelas, il est ainsi défini : « attitude consistant à dissimuler son caractère ou ses intentions véritables, à affecter des sentiments, des opinions, des vertus qu’on n’a pas, pour se présenter sous un jour favorable et inspirer confiance ».

Donc cher président Emmanuel Macron, l’Afrique afficherait, selon votre analyse, une attitude consistant à dissimuler ses intentions véritables vis-à-vis de la Russie, à affecter des sentiments, des opinions, des vertus occidentales ou vis-à-vis des Européens qu’on n’a pas, pour se présenter sous un jour favorable et inspirer la confiance de ces derniers notamment de votre pays la France et de ses semblables. De fins observateurs relèvent que vous avez prononcé « Russie » 14 fois et « Cameroun » 6 fois seulement.  Et dire que vous avez tenu ces propos aux côtés d’un patriarche africain, le Président Biya, qui vous ouvrait les portes de sa maison au nom des africains du Cameroun, sur le sol africain du Cameroun. Savez-vous que dans la tradition africaine en général, le visiteur est roi. Mais de là à prendre le fauteuil de roi, à lui offert le temps de son séjour, pour fracasser la tête de son hôte, cela n’est pas un comportement africain. Cela doit sûrement être français. Cher Président, il y a de l’hypocrisie dans ça : car vous nous avez dit que vous veniez en visite d’amitié et vous voilà profiter de notre hospitalité pour régler vos comptes avec un pays qui est loin du Mont Cameroun et plutôt proche du massif des Vosges, sur la terre européenne. Vous venez dans les plaines de l’Adamaoua nous parler d’un problème que vous avez avec des voisins, dans les Carpates.  Nous savons qu’il y a une guerre Russie-Ukraine, qui se déroule en Europe. L’Afrique n’est pas concernée de près, mais en étant dans la grande famille ONU, elle a été consultée et dans son grand ensemble vous a demandé de régler le différend entre vous. Car elle a ses propres guerres pour lesquelles elle ne sent pas votre réel engagement, pardon un engagement à déstructurer le Sahel, et de grandes professions de foi et des promesses du bout des lèvres. Il lui arrive même de vous soupçonner de cautionner certains conflits en son sein, tellement vos discours frisent souvent l’hypocrisie dans le jeu du pyromane-pompier.

Cher président Emmanuel Macron, l’Afrique a tout un chapelet de sujets d’histoire ou d’actualité pour lequel il peut rappeler l’hypocrisie de l’Occident sans sourciller. Les guerres du Soudan, de l’Angola, l’Apartheid, la famine en Ethiopie, le génocide rwandais, la guerre au Sahel, la guerre de Libye sont des épisodes douloureux sur lesquels l’Afrique a tellement à dire sur l’hypocrisie de la France et des autres. Mais elle n’avait d’arme que son silence voire son impuissance.

Mais vous avez ben compris cette fois que les temps ont changé : l’Afrique n’est plus prête à subir. Quand vous taxez la Russie de nouvelle puissance colonisatrice, dans un discours prononcé sur « vos terres », si vous voulez, sur vos anciennes terres, c’est un signe que les temps ont changé. Vous devez être le premier à faire l’analyse avant ce constat. Où est parti ce bénéfice de votre longue domination coloniale, fortifiée par de milliers d’études historiques, géographiques, sociologiques, ethnologiques, anthropologiques sur vos anciens sujets, une longueur inestimable que vous devez avoir sur la Russie, la Chine, l’inde qui ne sont venus (diplomatiquement) qu’en 1960 sur les terres africaines.

Je pense cher Président, que vous devez davantage apprendre plus d’Afrique, plus sur les Africains. Chaque fois que vous parlez, vous faites mal et vous n’arrangez rien dans les relations entre votre pays et l’Afrique. Vous dites sortir de la Françafrique mais c’est sans sortir car si l’arrogance, la condescendance continuent à paraitre dans le discours et l’action, vous n’avez rien changé. Vos conseillers de la Cellule Afrique de l’Elysée, payés à prix d’or doivent vous rappeler que les logiciels africains ont changé, alors changez les vôtres. Ce n’est plus l’esprit du dominé, du marginal, du faible, de l’attardé. Aujourd’hui l’africain se sent un acteur du présent et du futur avec lequel il faut compter et surtout qu’il faut respecter. Votre récente visite avait le dessein de venir l’attester, mais la « leçon d’hypocrisie » a tout gâté. Déjà que la douleur de « l ’Afrique pas encore rentrée dans l’histoire » lancée à la figure des africains par un de vos illustres prédécesseurs est encore vive. Un proverbe africain dit : « les blessures de la langue sont pires que les blessures de la lance ». A méditer quand on veut parler aux africains.

Non ! L’Afrique veut avancer avec le monde, celui dans lequel on ne lui impose plus d’amis, où on la respecte dans ses choix et ses orientations. Celui où elle saura aller à l’Est, à l’Ouest, au Sud et au Nord avec sa propre boussole, ses cartes, ses moyens propres et ses provisions. Elle couchera chez l’ami qui lui ouvrira sa porte, qui l’invitera à sa table et qui acceptera le cadeau africain, écoutera le message africain et rira avec elle. Elle évitera la jungle et ses fauves, les cavaliers sur leurs chevaux de Troie.

L’Afrique est éveillée, elle est réveillée et elle avance sur son propre chemin avec une nouvelle génération consciente des grands enjeux mondiaux et de la place qui lui revient pour son continent. L’Afrique veut parler, commercer, dealer, échanger librement avec ses amis français, américains, anglais, grecs, chinois, russes, indiens, brésiliens, australiens, cubains, iraniens, nord-coréens, vénézuéliens, saoudiens, etc., donc sans diktat, contrainte, consigne de qui que ce soit. Si un nouvel ordre mondial venait à s’établir, l’Afrique ne resterait ni à quai, ni en marge. Elle en sera actrice !

Je ne vais pas taire l’étape bissau-guinéenne où vous avez semblé vous arrêter uniquement pour donner au président de ce pays une leçon de port vestimentaire, sentant qu’il allait gâcher votre coup de com du leader français et européen adulé en Afrique, sous les tropiques, en bras de chemise (de couleur blanche comme celle des anciens colons) par un bain de foule ensoleillé. Alors que vous deviez parler des choses sérieuses comme « les solutions anti putsch ».

A Bissau, vous avez compliqué davantage vos relations avec mon pays en tirant sur la corde de la division ethnique. C’est une hypocrisie, vue d’Afrique. Vous avez déjà, dans un passé récent, contre tous les codes diplomatiques, affiché une préférence pour une communauté malienne contre les autres. Vous voulez en rajouter une couche au moment où normalement vous devriez être, avec vos services multidisciplinaires très pointus, entrain de penser à la stratégie de normalisation des relations avec le Mali. Je vous rappelle que le monde change et la France a du mal à prendre le train de ce changement. Les ressorts sociaux au Mali sont très solides pour ne pas céder si facilement aux souffles même violents de projets de division ethnique ou communautaires même financés à coups de devises étrangères. Le gouvernement africain du Mali a su vous apporter la réplique adaptée dans un communiqué le 31 juillet 2022.

Alors cher président Emmanuel Macron, la prochaine fois que vous visiterez l’Afrique, prononcez cette célèbre phrase d’un de vos illustres prédécesseurs, le général de Gaulle, en 1958 sur la terre africaine d’Algérie : « Je vous ai compris », surtout au sens propre,  dans la perspective du nouvel ordre mondial qui se dessine, tout en ne mettant aucune ressemblance entre les circonstances dans lesquelles ces mots ont été prononcées et celles dans lesquelles vous les répéterez lors de votre prochaine visite.

Les Maliens et les Africains n’ont pas de problème avec les français et les Européens ou autres Occidentaux. Les élites africaines changent mais pas celles de chez vous qui trainent le pas. Et pourtant l’heure du changement a sonné. Alors sonnez le changement chez vos élites et soyez-en un fer de lance.

Je vous adresse ces mots sans hypocrisie, sauf s’il en existe à l’Africaine.

Je vous prie, Excellence Monsieur le Président, de croire en l’expression de ma haute considération.

Bamako, le 03 août 2022

Alassane SOULEYMANE, Journaliste et citoyen malien

Source: LE PAYS

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