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Les réformes de l’Union africaine, mode d’emploi

Les 55 membres de l’organisation continentale ont adopté plusieurs réformes lors du 11e sommet extraordinaire de l’Union africaine, organisé samedi 17 et dimanche 18 novembre à Addis-Abeba, en Éthiopie. Les réformes doivent notamment permettre de rendre l’institution plus efficace et autonome. Décryptage.

C’était un sommet « constructif », explique un membre d’une délégation étatique. « Satisfaisant », valide de son côté le président tchadien de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat. Pourtant, durant deux jours, des observateurs les plus avisés aux acteurs mêmes de l’institution, tous étaient loin de partager cet optimisme. « La montagne a accouché d’une souris », tranche une source haut placée au sein de l’UA.

Il est en effet compliqué de saisir en quoi les mesures validées dimanche 18 après-midi, en présence de moins de la moitié des chefs d’État et de gouvernement d’Afrique (22 sur 55), vont révolutionner le quotidien de l’organisation panafricaine, vieille de 55 ans. « C’est la première fois qu’un sommet de chefs d’État se réunit pour parler de la réforme », se récrie Pierre Moukoko Mbonjo, qui dirige l’unité chargée du dossier auprès de la Commission de l’UA. Même l’Union européenne n’a pas lancé de réforme aussi vaste et ambitieuse, selon une autre cadre de l’organisation.

La refonte de la Commission, l’exécutif de l’Union.

Selon les réformes et leurs conséquences, la prochaine équipe sera élue en janvier-février 2021. À cette date, ils ne seront plus dix, mais huit : un président, un vice-président et six commissaires. La parité devra être respectée : si une femme est présidente, un homme sera vice-président et vice-versa. Il y aura également trois commissaires de sexe féminin et trois de sexe masculin. Par ailleurs, l’équilibre entre les cinq régions (Nord, Ouest, Est, Centre, Australe) devra également être pris en compte.

Mais ce sont le mode de nomination et le mandat de cette Commission qui, d’après leurs concepteurs, doivent changer la donne. Le président devrait ainsi devenir le véritable patron de son administration, car il est « le visage de l’Union africaine, il est le directeur général, en même temps qu’il est l’ordonnateur du budget de toute l’Union », rappelle Pierre Moukoko Mbonjo. Au début et à la fin du processus de nomination restent les États : chaque région désigne un candidat et l’Assemblée des 55 chefs d’État décide du vainqueur. Mais entre les deux, les volontaires pour le poste de président de la Commission devront se soumettre à un parcours digne du secteur privé : CV en ligne, profession de foi, débat télévisé, si possible diffusé sur les télévisions nationales, et grand oral final face aux dirigeants.

L’objectif : Réinstaurer une hiérarchie et faire des économies

Le mandat du « patron » va changer : il sera maître, avec son vice-président, du budget et des ressources humaines de l’institution continentale. Il pourra, par exemple, décider désormais de mettre fin aux fonctions d’un de ses commissaires. Il s’agit de réinstaurer clairement une hiérarchie afin que l’exécutif de l’UA ait la force et la légitimité suffisantes pour mettre en œuvre les décisions que les dirigeants prennent sommet après sommet – dont seuls 10% seraient effectivement appliquées, selon une source au sein de l’organisation. En contrepartie de cette indépendance accrue, il devra dresser des objectifs précis chaque année et rendre compte de leur avancée.

Selon ces changements, les États membres pourront par ailleurs mettre fin aux fonctions du président, du vice-président et des commissaires. Est-ce faire entrer le management du secteur privé à l’UA ? « C’est exactement cela, répond Pierre Moukoko Mbonjo, puisqu’il s’agit de mettre en place un système de gestion axé sur les résultats ».

Cette réforme de la Commission de l’Union africaine vise en outre à économiser. À l’unité chargée des réformes, on évoque 500 000 dollars mis de côté par an, rien qu’avec la suppression de deux postes de commissaires. Il faut aussi rappeler que les dirigeants s’étaient mis d’accord en juillet 2018, à Nouakchott, pour passer de deux à un sommet annuel avec les dirigeants – il y aura donc uniquement un Conseil exécutif entre ministres, suivi d’une réunion de coordination entre l’UA et communautés économiques régionales, à l’été 2019 à Niamey.

Réforme du financement et sanctions contre les mauvais payeurs

C’était l’une des grandes décisions du sommet ordinaire de Kigali, en juillet 2016 : l’adoption d’une taxe de 0,2% sur une liste de produits importés afin de « sécuriser » le paiement par les 55 membres de l’UA de leur contribution financière annuelle. L’idée étant simplement d’aider les États à trouver l’argent pour payer leur cotisation. Aujourd’hui, ils sont 24 à l’avoir mise en place, d’après les chiffres de la Commission. Juridiquement, il s’agit d’une directive donc « le rythme et les modalités de sa mise en œuvre dépendent de chaque État membre », décrypte Pierre Moukoko Mbonjo. Certains ont des contraintes spécifiques. « Il leur faut parfois modifier leur Constitution pour autoriser cette taxe et on sait ce que cela peut avoir comme signification de faire ça sur le continent », raconte un employé de la Commission.

Par ailleurs, les États-Unis continuent de mettre la pression. La mission américaine auprès de l’UA conteste auprès de l’AFP la régularité de ce type de « mesures commerciales », au regard des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais la Commission continue d’être optimiste sur cette taxe à 0,2% qui aurait permis de réduire de 60% à 30% la dépendance de l’organisation continentale vis-à-vis des donateurs, d’après l’équipe chargée des réformes.

Des sanctions aux membres qui ne payent pas leur contribution

Si cette taxe n’a pas été abordée durant ce 11e sommet extraordinaire à Addis-Abeba, les États ont en revanche avancé sur un autre point : le durcissement des sanctions contre les membres qui payent avec retard ou ne payent pas leur contribution annuelle. « Nous sommes à un mois de la fin de l’année budgétaire, les contributions sont seulement à hauteur de 50%, s’est insurgé le président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, lors de la conférence de presse de clôture. Comment voulez-vous qu’une Commission puisse mettre en œuvre son programme annuel ? »

Le sommet a donc validé un dispositif de sanctions graduelles, selon le retard dans le paiement, qui peut conduire un État de la suspension de prise de parole durant les réunions de l’UA jusqu’à l’exclusion de toute participation aux activités de l’organisation, sommets compris, d’après un document de travail consulté par RFI. En revanche, la révision du barème des contributions financières a été repoussée au sommet des 10-11 février 2019, à Addis-Abeba. Elle doit permettre aux grands contributeurs de ne pas payer à eux seuls plus de 40% de la note.

La création d’une agence de développement

Le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) est transformé en Agence de développement de l’Union africaine – Nepad. « Les chefs d’État ont voulu garder la marque Nepad qui est déjà très connue », indique Pierre Moukoko Mbonjo. Concrètement, le sommet des 17-18 novembre a défini le mandat de cette institution refondée et, surtout, en a intégré le budget dans celui de l’UA.

L’idée est de s’assurer que chaque organe tire dans le même sens, et notamment dans celui de l’intégration régionale et continentale, c’est-à-dire le rapprochement des économies et des peuples africains. C’était l’idée à la base de la transformation de l’Organisation pour l’unité africaine (OUA) en Union africaine, en 2002, rappelait Moussa Faki Mahamat dans son discours d’ouverture. Dans le même ordre d’idée, le président Faki doit plancher sur une meilleure répartition du travail entre sa Commission, l’ex-Nepad, les organisations régionales (CEDEAO, SADC, IGAD, etc.) et les États.

De la théorie à la pratique, les échecs du Président Kagame

Le chef de l’État rwandais avait été désigné par ses pairs, en juillet 2016, chez lui à Kigali, pour proposer des pistes de réformes de l’UA et les mener à bien. En janvier 2017, Paul Kagame avait présenté son rapport avec pour but de « secouer le cocotier », rapportait alors une source proche du dossier au Monde Afrique. Le dirigeant du pays des mille collines souhaitait ainsi, selon Le Monde Afrique, que le Président de la Commission élu en 2021 puisse nommer directement ses commissaires, ce qui lui aurait conféré une légitimité et un pouvoir plus grand encore face aux États membres.

Cette option a vite été repoussée. « Kagame s’est heurté à une hostilité sourde, notamment de l’Afrique australe et du Nord qui ont taillé dans les propositions » cingle un haut-cadre de l’organisation. Des propositions qu’il qualifie de « plutôt révolutionnaires ». « Hostilité sourde, il me semble que l’expression est appropriée, abonde un autre membre de l’administration UA. L’Afrique du Nord est opposée à certains éléments fondamentaux de la réforme, notamment la question de la répartition du travail entre la Commission de l’UA, les communautés économiques régionales et les États. Ceci principalement parce qu’il n’existe pas de communautés économiques régionales en Afrique du Nord. Quant à l’Afrique australe, elle veut avoir plus de contrôle sur la Commission et met en avant qu’elle est (principalement l’Afrique du Sud) un grand contributeur. »

La crainte de trop renforcer la Commission, et de céder ainsi de la souveraineté, est au cœur du processus de réforme de cette institution qui « n’est plus adaptée au XXIe siècle », comme le dit une cadre. « La réforme est un processus, les États membres cèdent progressivement des parts de souveraineté », veut croire Pierre Moukoko Mbonjo. Pour l’ancien ministre camerounais des Relations extérieures, cela a mis beaucoup de temps aussi à l’Union européenne pour faire élire le président de la Commission par le Parlement européen. « Nous avons fait notre part du travail pour poursuivre le voyage et je m’attends à ce que le prochain […] président de l’UA poursuive sur la même lancée et avec les mêmes progrès », concluait Paul Kagame en refermant le sommet de novembre 2018. Reste à voir si son successeur, l’Égyptien Abdel Fatah Al-Sissi, aura cette même ambition.

Par Vincent Dublange
 RFI

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