«Quand j’ai annoncé à ma famille que j’étais enceinte, j’ai été chassée. Ils ne voulaient même plus entendre parler de moi. Pour eux, j’avais déshonoré le nom de la famille. Ma mère pleurait, mais elle n’a rien pu faire. Certains de mes amis ont tenté de m’aider, mais même eux subissaient des critiques pour être restés à mes côtés», nous confie Salimata Diarra, mère célibataire rejetée par sa famille à cause d’une grossesse. «Cela a été un moment de solitude immense», avoue-t-elle.
«Quand j’ai découvert ma grossesse, j’ai d’abord été terrifiée. Je savais que la société me jugerait. On m’a traitée de prostituée, comme si être enceinte hors mariage signifiait forcément que j’avais eu des dizaines de partenaires. Mon oncle m’a dit que je n’avais aucune dignité. Pourtant, je n’ai eu qu’une seule relation sérieuse. Mais, personne ne voulait entendre et comprendre ça. Pour beaucoup, une fille enceinte sans mari n’est qu’une dévergondée», déplore Aïssata Diallo mère célibataire d’un enfant.
«La pression de la virginité avant le mariage est immense. Si tu tombes enceinte avant de te marier, tout le monde te juge. Tu es automatiquement cataloguée comme une fille qui a fait n’importe quoi. Et si ton enfant échoue à l’école ou dans la vie, c’est parce qu’il est né hors mariage, jamais parce qu’il manque de moyens ou de soutien», explique Bintou Camara. Et d’ajouter, «dans certaines familles, la virginité jusqu’au mariage est une fierté. Mais, elles oublient que chaque personne a son histoire».
«Il est vrai que la stigmatisation est forte, mais nous devons aussi être résilientes. Au lieu de nous apitoyer, il faut se battre. J’ai décidé de créer mon propre emploi, j’ai monté une petite entreprise de couture. C’est difficile, mais je refuse de laisser les préjugés m’abattre. Nous, mères célibataires, avons besoin de soutien pas de jugement», pense Adam Bamba, mère célibataire et entrepreneure.
«Ma famille a accepté que je revienne après avoir accouché. Mais, ils ont refusé de garder l’enfant. On m’a dit que tant que cet enfant vivra avec nous, les autres membres de la famille ne réussiront pas. C’est une vieille croyance selon laquelle un enfant né hors mariage porte malchance. Même si je n’y crois pas, je n’ai pas eu le choix. Mon enfant vit avec sa tante ailleurs, loin de moi», souligne Ina Tangara, une autre mère célibataire vivant avec sa famille, mais sans son enfant. «Chaque fois que je vais le voir, mon cœur se brise, mais je n’ai pas les moyens de le reprendre avec moi», se désole-t-elle.
Il est temps de changer de regard et de perception sur les mères célibataires
Certains traditionalistes, comme Sinaly Traoré (un chef de famille de Bamako) pensent effectivement que la présence d’un enfant né hors mariage pourrait nuire à la réussite des autres enfants de la famille. «Chez nous, il est inconcevable de garder un tel enfant dans la famille. Cela pourrait empêcher la réussite des autres. C’est une vieille croyance, mais elle est toujours vraie pour nous. On ne peut pas ignorer nos traditions», défend-t-il. Cette exclusion repose donc le plus souvent sur des croyances traditionnelles profondément enracinées. Mais, pour d’autres, il est temps de changer ces perceptions.
«Les enfants, qu’ils soient nés hors mariage ou non, méritent d’être aimés et soutenus», déclare Seydou Diarra, un enseignant à Bamako. «Nous devons abandonner ces croyances archaïques qui n’apportent que souffrance aux mères et à leurs enfants. Le rejet familial est une blessure qui met du temps à guérir… Encore si elle guérit un jour», ajoute-t-il. En tout cas, les mères célibataires expriment un besoin urgent de soutien, tant psychologique que matériel. «Ce que j’attends de la société, ce sont des programmes d’accompagnement, des formations pour que nous puissions devenir économiquement indépendantes et offrir une meilleure vie à nos enfants», indique Adam Bamba. «Nous voulons des formations professionnelles et des emplois stables pour pouvoir élever nos enfants dans la dignité», explique Mah Doumbia. «Ce que nous subissons est une double peine : d’abord, la stigmatisation sociale, ensuite l’isolement économique. Nous avons besoin de l’aide de l’État, des ONG, des associations, pour nous redonner une place dans la société», ajoute-t-elle.
Malgré les défis immenses auxquels elles sont confrontées, les mères célibataires au Mali font preuve d’une grande résilience. Elles appellent à un changement de mentalité et à des actions concrètes pour améliorer leurs conditions et celles de leurs enfants qui ne devraient pas subir les conséquences des croyances archaïques. «Nous n’avons pas choisi cette vie, mais nous l’assumons. Tout ce que nous demandons, c’est du respect», conclut Mah Doumbia. Ce que ces bonnes dames attendent de tous, c’est de la compréhension. Et cela d’autant plus que tout le monde fait des erreurs. Alors, pourquoi devraient-elles être rejetées pour cela les leurs ?
Sory Diakité