Les Maliens votaient dimanche dans le calme mais sans enthousiasme au premier tour d’élections législatives placées sous surveillance armée, par crainte d’attentats de jihadistes toujours actifs malgré l’intervention militaire étrangère entamée en janvier pour les traquer.
Un journaliste de l’AFP a constaté une faible affluence à Bamako et des témoins contactés dans le Nord, où sévissent les jihadistes, ont confirmé cette tendance à la mi-journée.
« Il n’y a pas de monde, les candidats n’ont pas mobilisé », note Oumou Sawadogo, électrice d’un bureau installé dans un lycée de la capitale.
Un peu plus loin, Boubacar Tembely est amer, même s’il tient à accomplir son devoir électoral: « Les politiciens sont tous les mêmes, j’ai voté blanc pour les sanctionner ».
A 15 kilomètres de là, à Kati, commune qui abrite l’ancien quartier général d’Amadou Sanogo – l’auteur du coup d’Etat qui, en mars 2012, avait plongé le Mali dans le chaos -, l’affluence n’est pas plus forte.
Une élégante étudiante qui ne donne que son prénom, Nafissatou, affirme: « Pour la présidentielle, j’ai voté IBK (Ibrahim Boubacar Keïta, élu en août), mais aujourd’hui, j’ai voté pour ses adversaires. IBK n’a pas pu régler l’affaire du Nord, je suis déçue ».
Dans les trois régions et grandes villes du Nord – Gao, Tombouctou et Kidal -, « des mesures de sécurité nécessaires » ont été prises pour « éviter toute surprise », à savoir une action islamiste armée, selon le ministère malien de la Sécurité.
Un « cordon sécuritaire » y a été mis en place, composé des forces armées maliennes, de celles de la Mission de stabilisation de l’ONU au Mali (Minusma) et des militaires français de l’opération Serval.
Dans la région de Kidal, à l’extrême nord-est du Mali, fief des Touareg et de leur rébellion où deux journalistes français ont été tués le 2 novembre, « il n’y a pas d’affluence pour le moment », indique Oumar Touré, responsable local de la Commission électorale nationale indépendante (Céni).
« Plus d’agents que d’électeurs »
« Dans certains bureaux de vote, il y a même plus d’agents électoraux que d’électeurs », constate-t-il.
La tendance était la même à Gao, plus grande ville du nord du Mali, et à Tombouctou (nord-ouest): calme, mais pas d’enthousiasme des électeurs.
Quelque 6,5 millions d’électeurs sont appelés à voter pour ces législatives censées parachever le retour à l’ordre constitutionnel, interrompu par le coup d’Etat de mars 2012 qui avait précipité la chute du Nord aux mains de groupes islamistes armés liés à Al-Qaïda.
Plus de 10 mois après une intervention armée internationale initiée par la France en janvier 2013 pour les traquer, ces groupes continuent d’y mener attaques et attentats qui, depuis fin septembre, ont tué une dizaine de soldats maliens et tchadiens et des civils.
Vendredi à Bamako, un gendarme français a été légèrement blessé par un tireur embusqué aux motivations encore floues, première action de ce type dans la capitale malienne depuis le début de l’intervention française.
La veille, des roquettes, sans doute tirées par des islamistes, étaient tombées dans la périphérie de Gao, la plus grande ville du Nord, sans faire de victime.
De manière générale, la campagne électorale a été terne et peu mobilisatrice. Le taux de participation devrait baisser par rapport à la présidentielle de juillet/août, où il avait tourné autour de 50%.
« La nature des élections, présidentielle et législatives, est différente », a estimé dimanche à Bamako Louis Michel, chef des observateurs de l’Union européenne (UE). « Quel que soit le taux de participation, on ne peut pas utiliser cet argument pour disqualifier ces élections », a-t-il ajouté.
La présidentielle avait été largement remportée au second tour, le 11 août, par Ibrahim Boubacar Keïta face à Soumaïla Cissé, qui avait reconnu sa défaite avant même les résultats officiels.
L’objectif du parti présidentiel, le Rassemblement pour le Mali (RPM), est de donner au chef de l’Etat une majorité confortable parmi les 147 députés de l’Assemblée nationale, mais il sera sans doute obligé de nouer des alliances.
Soumaila Cissé, originaire de la région de Tombouctou où il est le candidat de son parti, l’Union pour la République et la démocratie (URD), ambitionne de devenir le chef de l’opposition parlementaire.
Un test électoral pour le pouvoir
Les trop grandes espérances mises dans la nouvelle présidence ont provoqué, chez beaucoup, une forme de désenchantement
Trois mois après la présidentielle et le retour à la démocratie, les législatives de dimanche 24 novembre peinaient à mobiliser. À peine plus de trois mois après la présidentielle, les Maliens retournaient dimanche dernier aux urnes pour élire leurs députés. Une élection qui doit parachever le retour à marche forcée du pays vers la légalité, après le coup d’État de mars 2012 et la guerre contre les mouvements islamistes. Marraine de ce processus ultrarapide et inédit, la communauté internationale se veut confiante. La France, d’abord très impliquée dans le soutien à l’organisation de scrutins, s’est faite, cette fois, discrète. «Nous n’avons pas à nous exprimer. Il y a un président élu et des institutions», dit-on à Paris. Car le succès indéniable de la présidentielle, qui a vu Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, l’emporter sans accroc face à Soumaïla Cissé, n’empêche pas les questions de s’accumuler autour de ce second volet électoral, qui sonne comme un premier test pour le nouveau pouvoir. La sécurité dans le nord du pays, un temps sous le joug islamiste, reste fragile. La chute de trois roquettes artisanales jeudi dernier à Gao démontre que les groupes armés, s’ils ont été considérablement affaiblis par l’offensive de l’armée française, ont encore un pouvoir de nuisance. «Nous ne sommes pas à l’abri d’une action d’éclat d’une faction, notamment du Mujao à Gao, pour tenter de saboter l’élection», analyse un expert en sécurité. Kidal, la «capitale» touareg, échappe encore très largement au contrôle de l’État. Le vote y a certes été préparé, sans difficulté pour l’instant, et les leaders locaux y sont impliqués. Mais, contrairement à la présidentielle, aucun des chefs politiques maliens n’a osé venir y mener campagne, signe que l’euphorie est retombée.
«Consensus à la Malienne»
À Bamako, devant les bureaux de vote, la foule était maigre vendredi dernier. Sibiri traînait sans vraiment chercher son nom sur les listes. Électeur enthousiaste d’IBK à l’été, il ne savait pas s’il voterait cette fois. «Il n’y a pas de changement. On ne comprend plus», râlait-il. Les trop grandes espérances mises dans la nouvelle présidence ont provoqué, chez beaucoup, une forme de désenchantement. «Il est évident que le taux de participation sera beaucoup plus bas que celui historique de 50 % atteint lors de la précédente élection», assure le professeur de sciences politiques Nouhoum Traoré.
Le mode de scrutin peu clair n’aide pas à susciter le civisme. Ce vote majoritaire par listes et par préfectures a conduit les barons locaux à nouer des alliances temporaires étranges. «Il y a des associations contre-nature qui agacent les électeurs», souligne Nouhoum Traoré. Ainsi il arrive que le parti d’IBK soit associé sur une liste avec celui de l’opposant déclaré Soumaïla Cissé, contre des listes de mouvements qui leur sont officiellement alliés.
En creux, bien des électeurs redoutent de voir renaître le «consensus à la Malienne», un système où tout le monde soutenait le pouvoir. Longtemps salué par l’Occident, cet unanimisme, faute de garde-fous, a conduit à une corruption généralisée et à l’effondrement de la démocratie.
Dans l’entourage d’IBK, on assure «ne pas vouloir refaire les mêmes erreurs». «Tout ce qui nous intéresse est d’obtenir une majorité stable.» La tâche ne sera pas forcément simple, comme le souligne le professeur Momouni Soumano, directeur du Centre malien pour le dialogue interpartis et la démocratie. «La situation est délicate pour le pouvoir en ce moment. On se rend compte de la faiblesse de l’État qui ne parvient pas à rétablir l’ordre à Kidal ni à provoquer de sursaut.»
Yattara Ibrahim