Paris n’est pas regardant quand il s’agit de voir qui règne au Tchad. Ce qui importe, c’est le maintien d’une présence militaire dans le pays pour des opérations régionales.
La France a perdu un allié, mais pas son meilleur point d’ancrage au Sahel. La mort de Déby ne devrait pas bouleverser la donne tant tactique que stratégique dans la sous-région en proie à l’instabilité créée par les groupes armés djihadistes que combattent la France et ses alliés.
Le pion central du dispositif français
Le Tchad, depuis les années 1970, est un des lieux majeurs de déploiement de troupes françaises sur le continent africain.
Ce déploiement s’était intensifié avec l’opération Épervier (1986-2014). Épervier avait été déclenchée début février 1986 à l’initiative de la France après le franchissement, au nord du pays, du 16 parallèle, par les forces armées du dictateur libyen Mouammar Khadafi. Les Libyens venaient soutenir leur allié tchadien Goukouni Oueddei, qui avait été renversé fin 1981 par Hissène Habré avec le soutien de la France et des États-Unis. Les troupes françaises étaient alors présentes à N’Djamena, Abéché et Faya-Largeau.
Depuis 2014 et le lancement de l’opération Barkhane, le dispositif a été réduit de façon à déployer des troupes au Mali. Mais le camp Kosseï de N’Djamena abrite toujours le commandement de la Force française Barkhane . 800 soldats français y stationnent aussi.
À Abéché, deuxième ville du pays non loin de la frontière soudanaise, réside encore un contingent d’une trentaine de soldats français. L’endroit est un important verrou militaire : c’est en le conquérant, en 1990, qu’Idriss Déby s’était ouvert la route de N’Djamena et du pouvoir.
Le Tchad, une poudrière
Quels que soient les présidents et les régimes en place, le Tchad n’a guère connu de transition politique pacifique.
Goukouni Ouddei, président depuis 1979, a été renversé par Hissène Habré en 1982. Habré l’a été à son tour en décembre 1990 par Idriss Déby dont le « règne » a été marqué par plusieurs tentatives de coup d’État en 2006, 2008 et 2019. Mais la présence dissuasive de la France, ou son action décisive comme en 2019, lui ont permis de se maintenir au pouvoir.
Deux exemples : en 2008, face aux forces rebelles coalisées, Déby avait pu compter sur les vols de reconnaissance français et sur la fourniture de munitions ; en 2019, les avions de chasse français avaient procédé à une « vingtaine de frappes », selon une source militaire, et détruit autant de pick-up qui peuvent convoyer, chacun, jusqu’à dix combattants.
Paris joue d’abord la carte de la stabilité, quitte à devoir s’accommoder avec un régime fort, voire dictatorial au Tchad. Ce qui permet à l’armée française de maintenir une présence tant défensive (face aux rebelles venant de Libye ou du Soudan) qu’offensive (avec une composante aérienne capable d’action de force en Afrique centrale). Certes, la montée en puissance de la base de Niamey, au Niger, éclipse un peu l’importance de N’Djamena mais la base tchadienne n’est absolument pas menacée par des projets de redéploiements français.
L’allié tchadien bien utile
Sauvé à répétition par Paris, Déby ne pouvait qu’être redevable et donc s’engager aux côtés des forces françaises lorsque la situation s’est dégradée au Sahel.
En 2013, lors de l’opération Serval, déclenchée pour stopper une invasion djihadiste en direction de la capitale du Mali, des unités tchadiennes ont été déployées dans le nord du Mali, faisant preuve d’une combativité exemplaire et subissant de lourdes pertes.
Une partie de ces troupes a été versée dans les rangs de la Minusma, la mission onusienne de maintien de la paix au Mali. Actuellement, 1 421 Casques bleus tchadiens opèrent au Mali, déployés entre Tessalit, Aguelhok et Kidal.
Récemment, le Tchad a déployé un autre bataillon dans la zone des trois frontières, dans le cadre de la Force conjointe du G5 Sahel. Cette unité serait forte de 1 200 hommes qui mènent des actions offensives contre les groupes armés djihadistes et qui sont égaux à leur réputation : de bons soldats, mais des soudards qui se livrent à des rapines et des viols !
Ces déploiements sont meurtriers : ce mois-ci, six soldats tchadiens sont morts aux Mali. Depuis 2013, le chiffre reste confidentiel, mais il approche la centaine de tués.
Le Tchad, pion central du dispositif militaire français au Sahel
Source: Ouest-France