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Le sang des Tirailleurs : Thiaroye 1944-2014

Fin novembre 2014 se tenait à Dakar le sommet de la Francophonie qui a vu le sacre de la Nord-Américaine Mickaëlle Jean aux dépens des candidats africains, dont l’ambassadeur-écrivain Henri Lopes. Le choix de Paris ne faisait aucun doute. En préambule du sommet, le séjour dakarois de François Hollande a été pour lui l’occasion d’une activité politico-culturelle mûrement réfléchie, sous des dehors très réservés. En effet, il a solennellement remis au gouvernement sénégalais les archives relatives au massacre de Thiaroye et a prononcé undiscours en hommage aux tirailleurs sénégalais au cimetière de Thiaroye.

tirailleur africain senegal

Dakar n’est pas un lieu anodin pour François Hollande sur le continent : il y a prononcé son premier discours africain d’octobre 2012, sur le chemin du sommet de la Francophonie de Kinshasa. Son discours était alors un droit de réponse au très contesté discours de Dakar de Nicolas Sarkozy en juillet 2007. Plus largement, Dakar apparaît pour l’entourage du président français comme la vitrine médiatique des bonnes intentions politiques, diplomatiques et mémorielles en direction de l’Afrique.

En cette année de commémoration du centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale et des 70 ans de la Libération de la France, le dossier Thiaroye a été rouvert.

Fin novembre 1944, des prisonniers de guerre africains rescapés des mobilisations et des combats de 1939-1940 (campagne de France) et 1942-1944 (campagne d’Afrique et débarquement en Provence) sont rapatriés en AOF. Les 1280 premiers « tirailleurs sénégalais » originaires des territoires d’AOF sont internés au camp de Thiaroye, à quelques kilomètres de Dakar. L’objectif est de les démobiliser dans le contexte général du « blanchiment » de l’armée française. Le rapatriment de ces premiers prisonniers a été rapide car ils étaient détenus en France dans desfrontstalag, à la demande du IIIe Reich qui par racisme ne voulait pas d’Africains (même parmi les prisonniers de l’armée française) en Allemagne.

Ces soldats africains libérés (car on oublie trop facilement qu’ils sont avant tout des soldats) devaient toucher leur solde avant leur démobilisation : celle-ci se compose des arriérés de solde depuis leur mobilisation, leur prime de démobilisation et leurs économies de la période dufrontstalag. L’administration coloniale refuse à nombre d’entre eux de leur verser cet argent à l’embarquement et leur promet de régulariser la situation en Afrique. Quelques centaines de soldats africains manifestent leur refus d’embarquer dans ces conditions (notamment en Bretagne, puis à l’escale de Casablanca). Quelques maigres avances, notamment une prime de 1500 francs de mauvaise augure, sont effectuées en octobre 1944.

Le 21 novembre 1944, à leur arrivée en AOF, leur solde s’est considérablement amoindrie. Le 28 novembre 1944, l’administration coloniale procède à des conversions arbitraires de francs métropolitains en francs CFA des montants de démobilisation. Un groupe de tirailleurs, qui devaient regagner Bamako et le Soudan français, refusent de prendre la route. Le général Dagnan vient à leur rencontre au camp de Thiaroye le 30 novembre 1944. Il est pris à partie. L’affaire vire à la mutinerie selon la hiérarchie militaire. Le général Dagnan décide alors de recourir à la force.

Après avoir fait encercler le camp de Thiaroye par des éléments de gendarmerie et des soldats de régiments coloniaux appuyés par un char léger et deux automitrailleuses, le général Dagnan donne l’assaut. Le bilan officiel dressé au lendemain des événements fait finalement état de 70 morts (24 morts le jour de l’assaut et 46 blessés qui décèdent finalement à l’hôpital).

L’affaire ne s’arrête pas là, en ce début de crépuscule impérial synonyme d’autoritarisme et de brutalités coloniales : en mars 1946, 34 tirailleurs survivants des événements du 1er décembre 1944 sont jugés. Ils sont condamnés de 1 à 10 ans de prison, à une amende et ils perdent leurs droits à l’indemnité de démobilisation… cause initiale de leur mécontentement. En 1947, Vincent Auriol les gracie lors de sa visite à Dakar. Élement peu connu de la IVe République, le président Auriol est en cette année 1947 très inquiet du tour de vis autoritaire des pouvoirs coloniaux. Cependant, après 1947 à Dakar, la plaie reste ouverte : ni les soldats graciés ni leurs veuves n’ont reçu de pension. 70 tirailleurs sont morts sous les balles françaises, onze mois après le discours de Brazzaville.

Que savait la France de cette histoire ?

En premier lieu, il convient de souligner que l’affaire est particulièrement connue au Sénégal, et participe directement des mémoires des violences coloniales et de la sortie de guerre. Dès 1988, Ousmane Sembène réalise un film intitulé Camp de Thiaroye. En 2004, la France reconnaît officiellement le massacre de Thiaroye. En second lieu, les travaux récents d’historiens français ont éclairé avec précision ces faits, et sont retournés à leur source. L’historienne Armelle Mabon a été la principale promotteuse de la remise en lumière du massacre de Thiaroye. Elle y travaille depuis de longues années et dénonce ce qu’elle qualifie elle-même de « mensonge d’État » depuis 70 ans. Depuis octobre 2012, François Hollande a été saisi du dossier Thiaroye. Dès l’automne 2012, une vaste enquête a été lancée par le gouvernement français à travers les services d’archives civils et militaires de la République française pour retrouver les documents relatifs à cette histoire. Le geste de François Hollande en novembre 2014 s’inscrit dans une réflexion longuement mûrie : déjà, dans son discours de Dakar d’octobre 2012, il fait référence à la « répression sanglante » de Thiaroye.

C’est donc le résultat de ce long processus de mémoire et d’histoire qui aboutit à la remise du dossier numérique d’archives au gouvernement sénégalais par François Hollande.

Quelques précisions méritent toutefois d’être faites. Premièrement, la France n’a pas « donné » les archives de Thiaroye. Les archives de l’État sont inaliénables. Elle a effectué des copies de documents relatifs à cette affaire. Deuxièmement, la recherche s’est finalement concentrée sur les archives militaires : il s’agit des fonds de l’état-major des forces d’AOF et des fonds de la justice militaire (procès de mars 1946). Quant aux documents civils ou coloniaux, peu de trace en France… car en 1960, il a été convenu, parmi les protocoles de décolonisation et de liquidation de l’AOF, de les laisser en dépôt aux Archives nationales du Sénégal. Troisièmement, une vive polémique a surgi à l’été 2014 avec Julien Fargettas, historien réputé des tirailleurs sénégalais. Dans sa lettre ouverte au président de la République datée du 4 juillet 2014, ses divergences avec Armelle Mabon sont flagrantes. Il demande la constitution d’un comité d’histoire franco-africainsur Thiaroye. Une bataille autour de l’écriture de l’histoire de Thiaroye a explosé entre historiens, partagés suivant les écoles et les sentiments personnels entre les thèses d’Armelle Mabon et celles de Julien Fargettas. Les droits de réponse se sont multipliés. Paradoxalement, alors que la communauté scientifique reconnaît le massacre colonial, le débat a profondément séparé les historiens sur la pratique et la conception de leur métier.

 

Le geste de François Hollande est symboliquement fort. Certes. Mais il mérite quelques explications tant le rapport du politique et de l’historien à la mémoire diffère. Après la révision historique « décomplexée » de l’histoire durant les années Sarkozy, notamment en direction du passé colonial africain de la France, la présidence Hollande inaugure une nouvelle ère : celle du partage d’archives (vues comme les traces de la mémoire) et de la compensation symbolique et mémorielle.

Les archives de Thiaroye s’inscrivent dans une stratégie plus large, dont l’une des principales étapes a été l’affaire Farhat Hached. Ce leader syndicaliste tunisien de l’UGTT a été assassiné par les services secrets français en 1952. En juillet 2013, François Hollande a fait remettre une copie déclassifiée du dossier de surveillance du SDECE (l’ancêtre de la DGSE) à l’encontre d’Hached. Nulle trace dans le dossier de l’opération punitive montée contre lui. Pourtant, l’effet recherché de transparence politique est atteint: le dossier d’archives est baptisé dossier Hollande sur le site de la fondation Farhat Hached.

Si avec les archives le politique espère apaiser les mémoires contemporaines, l’historien sait, lui, que les archives ne disent nécessairement pas la vérité du passé.

Source: libeafrica4.blogs.liberation.fr

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