Toute la planète avait les yeux rivés la semaine dernière sur New York. La 68è assemblée générale des Nations s’y est ouverte mardi. Près de 131 chefs d’Etat et de gouvernement ainsi que 60 ministres des Affaires étrangères se sont retrouvés pour le débat général annuel qui dure une semaine. Conformément à l’ordre de passage, le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta était samedi à la tribune de l’organisation mondiale. L’intervention du chef de l’Etat a porté sur des sujets comme le programme de développement dans le monde pour l’après 2015, l’épidémie d’Ebola qui sévit dans notre sous-région, la situation dans notre pays, le processus de dialogue inter-malien, la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. Nous vous proposons l’intégralité du discours.
« Monsieur le président,
J’ai grand plaisir à vous adresser les chaleureuses félicitations de la délégation du Mali pour votre brillante élection à la présidence de la 69ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies. L’unanimité faite autour de votre personne, le 11 juin dernier, honore votre pays, l’Ouganda, et constitue un motif de fierté légitime pour toute l’Afrique.
Je voudrais vous assurer, Monsieur le président, de notre soutien total pour le succès de vos nouvelles fonctions, et par la même occasion, féliciter votre prédécesseur, l’ambassadeur John William Ashe. Il a abattu un travail remarquable au cours de son mandat.
Qu’il me soit également permis de saluer le Secrétaire général, M. Ban Ki-moon, pour son engagement constant dans la résolution de la crise malienne, et pour les efforts louables qu’il ne cesse de déployer en faveur de la promotion de la paix, de la sécurité et du développement dans le monde.
Monsieur le Président,
Vous avez fait une œuvre utile et le choix de la continuité, en proposant comme thème central de la 69ème session, je cite : « Réaliser et mettre en œuvre un programme transformateur de développement pour l’après 2015 » fin de citation. Je vous en félicite. En effet, vous vous souviendrez que dès la Conférence sur le développement durable de 2012, notre organisation commune s’est engagée dans différents processus intergouvernementaux afin de réaliser le mot d’ordre « Cet avenir que nous voulons ».
A Rio de Janeiro, les Etats membres des Nations Unies ont fait le pari d’offrir un monde meilleur aux générations actuelles et futures. Pour concrétiser cet engagement noble, ambitieux et légitime, un leadership solide, une volonté politique ferme, une détermination constante et une perspicacité dans l’effort seront nécessaires, afin d’assurer une intégration équilibrée de trois piliers essentiels du développement durable, à savoir ses dimensions sociale, économique et environnementale. Ce que nous avons entendu ces jours-ci nous laisse penser que c’est faisable.
Toutefois, au moment où nous entamons déjà la phase de conception du programme transformateur pour l’après 2015, il reste une tâche cruciale à achever. Ma délégation voudrait souligner à votre haute attention la nécessité de veiller à la complète exécution des engagements importants pris antérieurement. Aussi souhaiterions-nous qu’un véritable plaidoyer soit mené en faveur de l’accélération de la mise en œuvre des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).
En résumé, je voudrais réitérer que le Mali adhère au thème central de la présente session qui est pertinent, grâce son approche inclusive, universelle, ambitieuse et transformatrice. Ce thème intègre non seulement toutes les composantes essentielles des OMD en souffrance, mais encore, des Objectifs du développement durable, qui seront arrêtés sur la base d’un processus intergouvernemental transparent.
A l’instar des autres délégations, africaines et non africaines qui m’ont précédé, je demeure convaincu que l’élimination de la pauvreté à l’horizon 2030, devrait être l’une des cibles prioritaires des engagements de l’après 2015 que nous aurons à adopter.
Fort opportunément, la contribution de l’Afrique au processus en cours se trouve déjà formalisée dans la « position commune africaine sur le programme de développement pour l’après 2015 », adoptée lors du sommet de l’Union africaine, tenu à Malabo en juin dernier.
Ladite position commune fait de la durabilité sociale, économique et environnementale la clef de voûte de la politique de développement du continent. Cette dernière s’articule autour de piliers essentiels tels que la transformation économique structurelle et la croissance inclusive, la science, la technologie et l’innovation, le développement axé sur l’être humain, la viabilité environnementale, la gestion des ressources naturelles et des risques de catastrophes naturels, ainsi que la paix et la sécurité.
Tout naturellement, nous soutenons avec force cette position africaine dont la pertinence et la légitimité se passent de commentaires. Aussi, voudrais-je lancer un appel pressant à la communauté internationale afin qu’elle soutienne un examen diligent de la position commune de l’Afrique. Les préoccupations du continent y sont inscrites et elles ont été identifiées à la suite d’un processus conduit avec soin et minutie.
Monsieur le président,
Pendant que l’échéance de 2015 est quasiment à nos portes, l’Afrique se trouve de nouveau confrontée à la terrible épidémie de la fièvre à virus Ebola qui sévit sévèrement cette fois en Guinée, Sierra Leone, Liberia et dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest. L’apparition fulgurante et l’ampleur de ce nouveau défi ont soumis à rudes épreuves tous les systèmes de santé publique déjà en place. Les capacités individuelles de nos Etats, déjà fragiles et en pleine consolidation, ne suffiront pas à y faire face. Nous devrons mutualiser nos moyens et dédoubler nos efforts. Aujourd’hui plus que jamais, il importe d’adopter une stratégie commune face à cette épidémie qui endeuille chaque jour de nombreux foyers.
En ces moments de dures épreuves, permettez-moi d’assurer ces pays frères de notre soutien indéfectible et de notre solidarité agissante. C’est le lieu de féliciter et de remercier les Nations, comme les Etats-Unis, la France, la Chine, Cuba et d’autres qui ont immédiatement réagi par une assistance de court, moyen et long termes, de manière urgente et équilibrée. Les annonces faites jettent des bases solides qui aideront à sinon à relever entièrement le défi, tout au moins à atténuer les effets de panique qui avaient commencé à essaimer dans les pays touchés.
Monsieur le président,
L’année dernière, du haut de cette même tribune, j’annonçais le retour de mon pays, le Mali, parmi les nations libres et démocratiques, avec la ferme détermination d’écrire une nouvelle page de notre histoire. J’annonçais également, l’amorce du processus de dialogue pour la paix et la réconciliation nationale, conformément aux dispositions pertinentes des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et de l’Accord préliminaire de Ouagadougou, signé le 18 juin 2013, entre le Gouvernement et des groupes armés du Nord du Mali.
Depuis cette date, je puis vous dire que des évolutions significatives ont été enregistrées dans les domaines politique et sécuritaire, en matière de rétablissement de l’autorité de l’Etat, de la protection des droits de l’homme, du développement de l’action humanitaire, de l’exécution du mandat de la MINUSMA, de la Coordination des actions de développement et du partenariat avec la communauté internationale.
Dans ce contexte, le Gouvernement du Mali a engagé une large gamme d’actions couvrant la décentralisation, c’est-à-dire une dévolution encore plus radicale de compétences jusque là détenues par l’Etat central, la réconciliation nationale et le vivre ensemble, le développement effectif des régions du Nord du Mali, la bonne gouvernance ainsi que la lutte contre la corruption et l’impunité.
Participent de cette dynamique, l’organisation par le Gouvernement d’une série de rencontres et d’opportunités de dialogue, dont les « Etats généraux de la décentralisation » et les « Assises nationales sur le Nord du Mali ». Ces rencontres, ont permis, de manière inclusive et participative, à tous les acteurs nationaux, de se mettre ensemble, d’identifier les faiblesses structurelles de notre système politique et institutionnel, et de jeter les bases d’une nouvelle gouvernance démocratique. Celle-ci prendra en compte les réalités profondes de notre société telles que sa diversité ethnique et culturelle, les points forts qui ont permis au Peuple malien d’assurer et de maintenir, malgré toutes sortes d’aléas de la nature et des aléas politiques répétitifs, sa cohésion sociale et sa résilience coutumière, ainsi que l’aspiration fondamentale à l’amélioration continue de ses conditions économiques et sociales.
Aujourd’hui, se tissent en Alger, avec la facilitation de l’Algérie et l’accompagnement de la communauté internationale, les fils du dialogue inclusif inter-malien sur une paix globale et définitive. Il est à présent permis de croire en la conclusion, à brève échéance, d’un tel accord répondant aux aspirations profondes du Peuple malien.
Un premier round de pourparlers directs tenu en Alger, du 16 au 24 juillet 2014, aura permis d’aboutir à la signature conjointe d’une feuille de route consensuelle et d’une déclaration de cessation des hostilités dans les régions du Nord, du Mali. Le Gouvernement et les groupes armés du Nord du Mali poursuivent, depuis cette date, les discussions de la deuxième phase devant conduire à se mettre d’accord sur une vision commune du futur, à apporter progressivement une solution à tous les points de divergences de vues et à amorcer la phase finale devant se conclure par la signature de l’accord de paix en terre malienne.
C’est le lieu de remercier, une fois de plus, l’Union africaine, la CEDEAO, les Nations Unies, l’Union européenne, l’OCI, l’Algérie, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, le Tchad, la France, la Suisse, et tous les autres partenaires pour leurs efforts inlassablement menés conjointement et pour leur pleine mobilisation dans l’accompagnement du processus de dialogue inclusif inter-malien.
Monsieur le président,
D’autres défis, auxquels nous devons apporter des réponses collectives, interpellent la communauté internationale dans la sous-région sahélo-saharienne dont fait partie le Mali.
Les attaques terroristes perpétrées notamment en Libye, au Nigéria, au Kenya, en Ouganda, en Tunisie et au Moyen-Orient, quoique spatialement disjoints, constituent en réalité des menaces graves, les mêmes menaces à la paix et à la sécurité internationales. C’est le lieu de rendre un vibrant hommage à la mémoire de l’otage français Hervé Bourdel lâchement et sauvagement assassiné récemment encore en Algérie.
Mon pays, le Mali, a payé et continue, hélas, de payer un lourd tribut du fait d’actes terroristes, suite à l’occupation des régions Nord de notre territoire par des groupes armés terroristes. Nous condamnons, avec la dernière énergie, toutes les formes de terrorisme et d’extrémisme, ainsi que les avatars de grand banditisme, de narcotrafic et de crimes transnationaux et transfrontaliers qui les accompagnent.
Le terrorisme, singulièrement celui conduit sous la bannière de l’extrémisme religieux, est complètement étranger à la société malienne. C’est une société connue pour son ouverture, sa tolérance et pour sa pratique d’un islam modéré, fondé sur des valeurs d’humanisme et d’acceptation de la différence de l’autre. Nous avons la ferme conviction que rien ne peut justifier le terrorisme.
Nous renouvelons nos sentiments de profonde gratitude à tous ceux qui se sont mobilisés pour le retour de la paix et la stabilité dans notre pays. Au nom de la nation malienne reconnaissante, nous nous inclinons devant la mémoire de tous les vaillants soldats et civils, maliens et de pays frères et amis du Mali, qui ont payé de leurs vies le combat contre l’obscurantisme, le terrorisme et l’extrémisme violent.
Monsieur le président,
Les crises politiques et sécuritaires survenues au Mali en 2012 ont mis en évidence les défis complexes et multiples auxquels font face tous les pays du Sahel, en matière de sécurité, de gouvernance, de protection des droits de l’homme et de développement.
Ces défis requièrent une action concertée et diligente de la communauté internationale. Ils doivent faire l’objet d’un traitement global et de mécanismes spécifiques.
A cet égard, je me réjouis de l’adoption de la Stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel qui propose une approche globale et cohérente visant à trouver des solutions durables aux menaces et autres défis qui assaillent le Sahel.
La première réunion ministérielle pour « l’établissement d’une plateforme de coordination de la Stratégie intégrée des Nations unies pour le Sahel », tenue à Bamako le 5 novembre 2013, participe de cette dynamique.
A l’issue de cette réunion, les ministres en charge des Affaires étrangères des pays du Sahel ont convenu de se réunir tous les six mois avec une présidence biennale tournante qui a été confiée, pour les deux premières années, à mon pays, le Mali.
Dans cette perspective, une deuxième rencontre tenue également à Bamako, le 16 mai 2014, a abouti à l’adoption de la feuille de route de la présidence malienne axée notamment, sur la coordination des efforts des partenaires et l’appropriation, aux plans national et régional, des différentes initiatives et stratégies sur le Sahel;
Je ne saurais clore ce chapitre sans remercier les partenaires bilatéraux, multilatéraux et les institutions financières engagés à soutenir la mise en œuvre des projets et programmes ciblés dans le cadre de la Stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel.
Nos remerciements s’adressent également à l’Envoyée spéciale du Secrétaire général pour le Sahel, Madame Hiroute Guebré Selassie et à M. Romano Prodi pour leur dévouement et leur engagement.
Monsieur le président,
Le Mali demeure fermement attaché aux idéaux de paix et de stabilité aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières.
C’est pourquoi, je me félicite des progrès enregistrés sur la voie de la reconstruction et de la réconciliation nationales en Guinée Bissau. La bonne tenue des élections présidentielles et législatives, consacrent, ainsi, le rétablissement de l’ordre constitutionnel dans ce pays frère.
S’agissant de la République centrafricaine, le Mali est profondément préoccupé par la détérioration de la situation humanitaire et exprime son soutien à la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) dont le déploiement rapide, nous l’espérons, permettra de mettre fin à l’escalade de la violence et de protéger les populations civiles dans ce pays.
Au Moyen-Orient, nous suivons avec une vive inquiétude l’évolution de la situation en Syrie, au Liban et en Irak où les offensives du groupe terroriste de l’État islamique en Irak et au Levant mettent en péril l’unité et la souveraineté de ce pays, ainsi que la stabilité de toute la région.
Au peuple palestinien, nous exprimons notre solidarité agissante et continuons à œuvrer, pour l’application des résolutions pertinentes des Nations Unies.
Monsieur le président,
Le Mali demeure résolument engagé dans la lutte contre la prolifération des armes légères et de petit calibre et pour l’élimination du commerce illicite de ces armes. Pour être efficace, cette lutte doit être menée en synergie. Le cadre de la concertation et de la coopération aux niveaux régional et international offre une telle opportunité.
De même, le Gouvernement du Mali déplore l’érosion du multilatéralisme dans le domaine du désarmement, en particulier, la paralysie prolongée dont souffre la Commission de désarmement. Toutefois, il convient de saluer l’adoption par l’Assemblée générale, le 2 avril 2013, du Traité sur le commerce des armes, car elle représente une avancée réelle.
Monsieur le président,
Nous notons que les négociations intergouvernementales sur la réforme du Conseil de sécurité se poursuivent depuis deux décennies déjà. Les principaux enjeux semblent être : la catégorisation de l’appartenance, la question du droit de veto, la représentation régionale, l’élargissement du nombre des membres et des méthodes de travail du Conseil, ainsi que les relations de ce dernier avec l’Assemblée générale.
Tous les Etats membres nous semblent, à présent, convaincus de la nécessité, d’une réforme du cadre institutionnel de l’ONU en vue de renforcer sa légitimité et de garantir son efficacité. Par contre, aucune avancée notable n’a été enregistrée dans le cas précis du Conseil de sécurité, nonobstant les appels maintes fois réitérés à cette même tribune et les multiples réunions consacrées à la question.
L’Afrique, malgré ses 53 Etats membres sur les 193 que compte l’ONU, reste à ce jour, le seul continent à ne pas disposer de siège permanent au Conseil de sécurité. Cette situation jure d’avec les valeurs d’égalité et de justice qui sont des idéaux prônés par notre Organisation.
L’Afrique a dégagé et soumis une position commune qui a été arrêtée à Ezulwini, réaffirmée à Syrte, puis à plusieurs autres sommets. Cette proposition, une solution juste et réaliste, plaide pour l’octroi au continent africain de deux (2) sièges permanents avec droit de veto et de cinq (5) autres sièges non permanents.
Le Conseil, ainsi réformé, reflétera mieux les réalités géopolitiques du monde actuel et réparera l’injustice historique faite à l’Afrique.
Monsieur le président,
Je voudrais, pour conclure, rappeler que dans ce haut lieu des Nations Unies, nous sommes tous rassemblés, au nom d’un idéal et d’une conscience universelle de paix, de justice et de liberté. Des millions de personnes dans le monde ont placé leur espoir en l’ONU pour la paix, la sécurité, le développement et la solidarité internationale. Nous n’avons pas le droit de les décevoir.
En tant que communauté des nations, nous avons l’obligation et les moyens d’y parvenir par une prise de conscience collective et la sauvegarde de nos valeurs communes. C’est à ce seul prix que nous serions à même de garantir aux générations futures un développement durable qui les préserverait du fléau de la guerre et de la misère. »
SOURCE / ESSOR