Au terme de près de neuf ans de présence ininterrompue, Paris tente de réinventer son engagement militaire au Sahel en quittant ses bases les plus au nord du Mali et en réduisant sa présence, mais les tensions sociales et politiques croissantes bloquent l’horizon.
« Ce qui me frappe au Mali, c’est l’écart important entre la bonne coopération de terrain entre Européens et Maliens, et les difficultés du dialogue politique au plus haut niveau. Cette situation ne pourra être durable car l’action européenne et malienne ne peut que s’inscrire dans un cadre légitime », s’inquiète le député Thomas Gassilloud, de retour de Bamako.
La réarticulation du dispositif militaire français annoncée en juin par le président Emmanuel Macron se déroule conformément à la feuille de route. Les soldats de l’ancienne puissance coloniale vont rétrocéder mi-décembre la dernière des trois bases qu’ils occupaient dans le nord: après Kidal et Tessalit, le drapeau français cessera de flotter sur l’emprise de Tombouctou.
« On forme les forces maliennes (FAMa, ndlr) à la protection de l’emprise et au guidage aérien avant qu’ils nous relèvent », explique le capitaine Florian, commandant de l’unité chargée du désengagement de Tombouctou. Autour de lui, quelques dizaines de soldats s’activent pour faire place nette. Entre les cartons éventrés, l’un démonte un panneau de basket, un autre emballe les médicaments de l’antenne médicale, l’une des tentes encore debout.
Sur la base de Gao, où convergent tous les matériels français rapportés par convoi depuis le nord, « l’armée récupère tout le fret. Tout est trié, classé, puis soit détruit, soit récupéré pour le théâtre ou renvoyé en France », explique le major Christelle devant un empilement de chaises, lits de camp et pièces détachées de véhicules.
Les effectifs français vont nettement decroitre au fil des prochains mois. « Nous étions environ 5.000 militaires au Sahel à l’été 2021, nous serons environ 3.000 à l’été 2022 », souligne à l’AFP le général Laurent Michon, commandant de l’opération Barkhane. De nouvelles réductions auront lieu d’ici 2023.
Paris va désormais concentrer sa présence dans la région malo-nigérienne dite des « trois frontières », une des principales zones d’influence des jihadistes au Sahel. Et la philosophie de l’intervention va changer. Finies les opérations de ratissage de zones à grand renfort d’infanterie, de blindés et d’hélicoptères: les militaires misent sur le partenariat avec les forces locales, afin qu’elles gagnent en autonomie et puissent un jour assumer seules la sécurité de la zone.
– « Quelle alternative? » –
« On est là pour aider les forces de sécurité du Mali. On n’est pas en premier, on est en deuxième ligne », explique à un habitant de Gao le lieutenant Maxime, pendant une patrouille en ville.
Fer de lance de cette nouvelle phase: le groupement de forces spéciales européennes Takuba, initié par Paris pour accompagner les unités maliennes. Au QG de la « task force » à Ménaka, on parle suédois, italien et tchèque: une victoire politique pour la France qui est parvenue à fédérer une dizaine de nations européennes pour partager le fardeau au Sahel.
Ce pari sur la montée en puissance d’armées locales a successivement échoué en Irak comme en Afghanistan. Mais « quelle est l’alternative? », s’interroge un haut responsable français.
La transformation de l’opération française s’opère en outre dans un contexte sécuritaire et politique hautement inflammable, susceptible de remettre en cause la légitimité déjà fragile de cette intervention prolongée.
Neuf ans plus tard, les groupes jihadistes affiliés à l’Etat Islamique et Al-Qaïda ont conservé un fort pouvoir de nuisance malgré l’exécution de nombre de leurs chefs. Les violences parties du nord du Mali en 2012 se sont propagées dans le centre du pays puis au Burkina Faso et au Niger voisins, provoquant des milliers de morts civils et militaires.
Conséquence: des manifestations d’impatience et d’exaspération commencent à faire surface au sein des populations subissant les violences jihadistes.
Courant novembre, un convoi militaire français reliant Abidjan à Gao a été arrêté par les barrages d’une foule en colère, au Burkina Faso puis au Niger. « Ils avaient des pancartes +à bas la France+, ils nous jetaient des pierres », a témoigné à Gao auprès de l’AFP le commandant du convoi, le capitaine Francois-Xavier.
Au niveau politique, les militaires maliens arrivés au pouvoir à la faveur d’un putsch en 2020 sont aujourd’hui tentés de recourir aux paramilitaires russes de Wagner, au grand dam de Paris qui dénonce une ligne rouge. Depuis des mois, la communication est bloquée avec ce pays clé de la lutte anti-jihadiste au Sahel. Et la France tergiverse: partir au cas où Wagner s’installe? Ou refuser de céder la place aux Russes?
Un climat de défiance propre à faire naître le doute chez certains soldats français. « On est dans un moment difficile, du fait de la géopolitique et de la réarticulation. Il faut arriver à motiver nos hommes et arriver à faire comprendre qu’on est là pour tendre la main aux FAMa », souffle un officier déployé au Mali.
Source: laminute.info