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Le mystère des têtes coupées de Fana au Mali

Visage dénué d’expression, comme tétanisé, Boubou Sangaré montre le sol du doigt. C’est là, devant la porte de cette maison en banco, qu’il a découvert son frère décapité le 10 juin à 7h00 pile.

 

Bakary Sangaré gisait la tête posée à côté de son corps exsangue. Quarante minutes plus tard, la parcelle était bouclée et les premiers indices récoltés: une barre de fer et des gouttes de sang menant jusqu’à deux traces de roues de moto derrière la maison.

L’ancien soldat d’une quarantaine d’années est la huitième victime de décapitation depuis 2018 à Fana, ville du Sud malien de 36.000 habitants.

Fana la cotonnière et commerçante s’est construite au bord de la nationale qui relie la capitale Bamako et Ségou, seul axe en goudron de cette ville où les nouveaux quartiers s’enfoncent dans la brousse verdoyante, souvent sans eau ni électricité.

Elle est loin des violences jihadistes et communautaires qui endeuillent le nord et le centre du pays depuis 2012.

Une cité sans histoire donc, sinon la chronique de ces décapitations sans auteur ni mobile connu. Dans les rues de terre crevassées par les nouvelles pluies, la question s’est répandue comme poussent les herbes folles alentour: Fana serait-elle frappée de malédiction?

Chaque fois, le mode opératoire est le même. La victime est décapitée à l’arme blanche. On découvre au petit matin le cadavre vidé de son sang, emporté par le ou les meurtriers. Une fois, la tête avait disparu. Mais les organes, eux, sont laissés en place.

Des enfants aussi

Le profil des décapités ? Des personnes isolées géographiquement, souvent socialement. Six sur huit vivaient dans le même quartier modeste de Badialan, à la limite de la brousse.

Impossible d’établir d’autres liens entre les défunts. Il y avait une ménagère, un gardien d’antenne téléphonique, un enfant albinos de cinq ans, une fillette de deux ans…

Les pistes d’un règlement de comptes ou d’assassinats motivés par l’argent semblent écartées. Des crimes rituels comme il en a déjà existé au Mali? Il n’y a « aucune preuve à ce stade« , répond le procureur Boubacar Diarra, même si c’est « une hypothèse de travail« .

Le magistrat et le commandant de brigade Lamine Diakité tournent et retournent l’affaire dans tous les sens, sans trouver la clé.

Onze hommes ont été mis sous les verrous depuis 2018 sans que les meurtres ne cessent. Le procureur se montre discret sur les charges qui pèsent sur eux. L’impatience gagne dans la population qui réclame justice.

« On ne peut pas nous imposer un rythme d’enquête comme ailleurs dans le monde, on n’a pas les mêmes moyens comme des caméras de vidéosurveillance !« , se défend le procureur dans son bureau du tribunal de Fana tout juste installé fin 2019.

« On y arrivera« , assure-t-il, et d’abord, il faut que les habitants coopèrent. Mais ils semblent craindre de se retrouver avec la mort aux trousses. Ici, on a « peur d’être tué si on dénonce quelqu’un« , explique une source proche de l’enquête.

Funestes pressentiments

Un véhicule noir aurait été aperçu non loin d’une des scènes de crime, des téléphones ont borné une nuit sur les lieux d’un autre… Toutes les pistes sont bonnes à explorer.

Le chef traditionnel Adama Traoré, entouré chez lui du conseil des notables, est peu optimiste. « La seule chose qu’on pouvait faire était de demander plus de sécurité. Ça a été accepté, mais rien n’y fait et ça continue« , raconte le vieil homme, autorité ankylosée devant la psychose qui s’est emparée de la ville.

Les premiers meurtres ont provoqué des manifestations et des pillages. Un commissariat a alors ouvert début 2019 et, pour la première fois, Fana a vu des policiers patrouiller aux côtés des gendarmes et gardes nationaux déjà présents.

Mais « cela ne suffit pas!« , réagit l’enseignant à la retraite Bakary Bagayoko, un des notables, citant pêle-mêle les manques: poste de contrôle à l’entrée de la ville qui a été fermé, éclairage public qui fait défaut.

« Fana s’est transformée en abattoir humain« , se désole-t-il les bras ballants. « La population est inquiète. Tout le monde soupçonne tout le monde. Quand un membre de la famille sort faire une course, on se demande: est-ce qu’il va revenir? »

Agence France-Presse

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