La Coalition citoyenne de la société civile pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale au Mali (CCSC-PURN) a rendu public jeudi dernier (3 novembre 2022) son 7e «Rapport alternatif citoyen sur les propositions de sortie de la crise multidimensionnelle au Mali». Et ce précieux document s’appesantit beaucoup sur les aspects politiques de cette crise avec des propositions concrètes. Il montre à la classe politique la voie de l’indispensable rédemption pour ne pas se faire totalement avaler, surtout par les leaders religieux qui ont quitté les lieux de culte pour venir leur voler la vedette dans l’arène politique.
Problématique des questions politiques, institutionnelles, administratives, territoriales ; Accord pour la Paix et la Réconciliation, issu du processus d’Alger ; dialogue avec Iyad Ag Ghali et Hamadoun Kouffa ; Transition politique ; Contrat social ; Responsabilité de la communauté internationale dans la gestion de la crise multidimensionnelle du Mali ! Voilà le résumé du 7e «Rapport alternatif citoyen sur les propositions de sortie de la crise multidimensionnelle au Mali» de la Coalition citoyenne de la société civile pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale au Mali (CCSC-PURN) rendu public jeudi dernier (3 novembre 2022).
Parmi les axes de réflexion définis, les défis politiques ont retenu notre attention. Et cela d’autant plus que les acteurs politiques ont une grande responsabilité dans la décadence de notre pays à cause de la déliquescence d’une gouvernance aux antipodes des vraies valeurs démocratiques. Si la démocratie a favorisé une prolifération des partis et associations politiques (le pays compte de nos jours plus de 270 partis politiques, dont environ 50 seulement participent régulièrement aux compétitions électorales et bénéficient du financement de l’Etat), elle n’a pas accouché du vertueux changement attendu dans la gestion du pays.
«Le nombre excessif de partis politiques constitue aujourd’hui un défi majeur pour la bonne gouvernance politique du pays. Après plusieurs décennies de pratique institutionnelle, dans la mémoire collective malienne, les institutions ne sont pas fonctionnelles comme elles devraient l’être et la démocratisation n’a pas répondu aux attentes» déplore fort justement le rapport de la CCSC-PURN. Et d’ajouter «l’expression d’une certaine fatigue de la pratique de la démocratie et le désir insatiable de participer à la gestion du pays ont contribué à affaiblir la République, les élus ayant perdu leur légitimité».
Les Maliens ont vite perdu les illusions nourries par l’avènement de la démocratie qu’ils attendaient beaucoup comme une panacée. Et cela d’autant plus qu’au lieu débarrasser la gouvernance des maux (corruption, délinquance financière, népotisme…) qui ont plombé son efficacité à prendre en charge les vraies préoccupations des citoyens et à impulser le développement socio-économique, politique, culturel du pays, ce système politique est devenu le tremplin de leur expansion au point de précipiter le pays au bord du chaos.
Même si la nécessité du changement, de la rectification du processus démocratique s’est imposée à tout le monde sans ambages, aucun président élu n’a réussi à mener les réformes indispensables à dépouiller la démocratie malienne de ses souillures politiciennes. A Alpha Oumar Konaré (1998) et feu Amadou Toumani Touré (2011) on a prêté l’ambition de se servir de la révision constitutionnelle pour se maintenir au pouvoir. Quant à feu Ibrahim Boubacar Kéita, il s’est heurté à front de refus réuni autour de la plateforme «Antè Abana-Touche pas à ma Constitution» en 2017.
Selon le 7e rapport citoyen, «les événements de 2012 ont précipité le Mali dans le chaos avant que la campagne militaire franco-africaine de janvier 2013 et la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA, puis Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali, MINUSMA) ne rétablissent une fragile stabilité». Et depuis cette époque, ajoute-t-il, «le climat de méfiance entre citoyens et acteurs politiques s’est profondément exacerbé, créant une atmosphère délétère sur le plan politique et social».
Quel système politique pour le Mali Kura ?
La faible participation des citoyens aux processus électoraux reflète bien ce fossé existant depuis de nombreuses années entre les citoyens et les politiques. «Les taux de participation aux élections restent très bas tant au niveau des élections nationales à l’exemple des législatives (37 % selon le rapport d’observation de l’Union européenne des élections législatives du 17 décembre 2013), que des élections municipales (26 %)», démontre la CCSC-PURN
«Selon certains observateurs et acteurs de la vie politique malienne, la scène politique n’a jamais été aussi fragmentée. L’opposition politique et une frange de la société civile estiment que, en plus du contexte sécuritaire volatile, les conditions juridiques et matérielles d’un scrutin transparent, crédible et apaisé sont loin d’être réunies», précise le document rendu public jeudi dernier.
Sans compter cette «dynamique de rupture» de plus en plus perceptible actuellement au sein de l’opinion dans le pays sur «fond d’attentes déçues de la démocratie et du développement alimentant le rejet des acquis». Née dans un contexte de forte attente suite à la crise du 26 mars 1991, la 3e République a ouvert aux Maliens la voie du pluralisme intégral, dans les domaines politique et syndical, mais sans leur faciliter l’accès aux droits fondamentaux (éducation, santé, alimentation, logement, emploi, protection sociale, propriété foncière, égalité de genre, etc.). Ce qui, selon de nombreux observateurs, est à l’origine de la frustration des populations. Et c’est pourquoi aussi la religion est devenue «l’un des leviers de la politique à cause de son impact social». Ce n’est pas pour rien que la majorité des acteurs politiques consultent les religieux et quémandent leur soutien lors d’importants scrutins électoraux.
Au moment où notre pays semble résolument engagé dans la voie de la Refondation de l’Etat, c’est donc le moment opportun de réfléchir sur «la forme de système politique qui répondra efficacement au besoin politique, économique et social des années à venir». Comment situer la place des religions dans une nouvelle constitution ? Voilà une autre équation qui mérite une réponse claire et nette pour la stabilité des futures institutions, pour une gouvernance apaisée et efficace à assurer l’émergence du pays dans tous les secteurs clefs.
Pour la coalition, l’un des objectifs des réformes politiques envisagées doit être de trouver une solution pragmatique à la perte de légitimité des élus aux yeux du peuple. Et pour ce faire, souligne-t-on, «les hommes politiques doivent rendre compte de leur gestion publique pour pouvoir gagner la confiance du peuple qui semble prendre ses distances». Supposés jouer «un rôle important dans l’organisation et la régulation des systèmes démocratiques modernes», les partis politiques maliens voire africains ont aujourd’hui plusieurs «défis à relever dans le cadre des actions visant à rehausser le niveau de citoyenneté chez les jeunes et à rendre compte de leurs actions pour avoir une ferme adhésion de la jeunesse au jeu politique».
Et de prime abord, ils doivent se départir de leur essence calquée sur celle de la «démocratie occidentale». Et cela d’autant plus que, selon de nombreux analystes, ce mimétisme explique tout le mal qu’ils ont à «s’enraciner dans la vie politique» nationale. De toutes les manières, cette mutation est aujourd’hui indispensable pour la classe politique malienne si elle veut revenir dans l’estime des Maliens, redevenir donc maîtresse du jeu politique !
Moussa Bolly
Source : Le Matin