Mondafrique revient sur les conditions dans lesquelles l’ancien chef d’Etat Nicolas Sarkozy a décidé d’intervenir militairement en Libye en 2011.
Le 7 mars 2011, Nicolas Sarkozy convoque ses principaux ministres dans le solennel Salon vert de l’Élysée. L’ordre du jour de la réunion concerne « les flux migratoires en Méditerranée ». Ce jour-là, le chef de l’État précise pour la première fois les raisons de l’intervention en Libye. « Nicolas Sarkozy était très remonté, explique un des participants, on sentait que c’était vraiment lui qui voulait intervenir contre Kadhafi, même sans soutien international et quitte à affronter certains de ses ministres, dont notamment le Premier d’entre eux, François Fillon. » En début de réunion, Alain Juppé, alors patron des Affaires étrangères, résume l’opinion des principaux alliés de la France. « Les Américains ne sont pas très chauds, les Anglais peu pressés… » François Fillon renchérit : « Sans la participation américaine, ce serait de la folie de s’engager. » Nicolas Sarkozy l’interrompt. « Dans l’urgence et avec l’appui de la Ligue arabe et de l’Union africaine, une frappe chirurgicale franco-britannique en Libye est tout à fait envisageable. »
Et le chef de l’État enchaîne sur la nécessité d’organiser des « zones humanitaires » en Égypte et en Tunisie pour contenir un possible afflux de réfugiés lors de l’intervention. Peu lui importe que son fidèle Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, émette quelques doutes sur la possibilité d’envisager de tels camps d’accueil. Son plan d’action ne souffre aucune réserve. «Kadhafi, insiste-t-ilencore, doit partir. »
Sarko le va-t-en guerre
Le Premier ministre Fillon tente une dernière sortie : « Sans les Américains, on va à la catastrophe. » « Je ne vois pas pourquoi, rétorque le président français, nous ne pouvons pas abandonner la population libyenne. » Le général Benoît Puga, chef d’état major particulier de Nicolas Sarkozy, fonction qu’il a conservée sous François Hollande, vient au secours du chef de l’État : « Compte tenu de la situation dégradée de l’aviation libyenne, dix hélicos, deux Mirage et six avions Stukai, nous pouvons facilement neutraliser les pistes de décollage. »
Rien ne semble pouvoir calmer les ardeurs guerrières de Nicolas Sarkozy contre le colonel Kadhafi. En mars 2011, les militaires français insistent pour intervenir au Mali, où les groupes djihadistes multiplient les prises d’otages. Les services français de renseignement ont localisé une réunion des principaux chefs d’Aqmi à Tombouctou. Il faut les « enfumer », sans autre forme de procès. La DCRI est sur la même position. Rien n’y fait. Nicolas Sarkozy leur prête une oreille distraite. Sa seule obsession reste la Libye.
Le 7 juillet 2011, un déjeuner a lieu entre les présidents français et nigérien, accompagnés de leurs principaux collaborateurs. Le Niger a quelque indulgence pour Kadhafi qui a généreusement aidé le régime. « Nous avons plaidé, le président Mahamadou Issoufou et moi, explique le ministre nigérien des Affaires étrangères, Mohamed Bazoum, pour que l’on puisse trouver un compromis entre certains proches de Kadhafi plus ouverts et le Conseil national de transition pour faire cesser les hostilités. Mais Nicolas Sarkozy n’en voulait à aucun prix, il était buté sur ses positions. Les conseillers et les ministres présents n’étaient pas d’accord avec lui, cela se lisait sur leurs visages. Mais personne n’osait le contredire. » Nicolas Sarkozy veut aller jusqu’au bout de sa guerre contre Kadhafi.
Pourquoi le retournement soudain de Nicolas Sarkozy ? L’ancien président a-t-il cherché à faire table rase du passé et à oublier l’épisode extravagant de la réception à Paris à l’automne 2012 d’un colonel Kadhafi qui installait sa tente en face de l’Élysée ? À moins qu’il ne tentât de trouver une dictature de rattrapage pour bien montrer que lui aussi était en phase avec les soulèvements populaires du monde arabe ? En tout cas, Nicolas Sarkozy a été sensible aux conseils de son ami l’émir du Qatar, Cheikh Hamad Al Thani, qui voulait à tout prix cette guerre contre Tripoli. Ne serait-ce que pour conserver les 50 milliards de dollars que le régime de Kadhafi avait placés dans des banques de Doha à la belle époque et que l’émirat conserve aujourd’hui sans le moindre scrupule.
Source: MondAfrique