Après avoir évincé le très avare Tiena Coulibaly du ministère des Finances et bombardé le capitaine Sanogo et deux autres officiers au grade stratosphérique de général de corps d’armée, le gouvernement de Transition n’oublie pas sa propre assiette : 4 projets de loi prévoient de multiplier par 700% les indemnités des Premiers ministres et ministres en exercice ainsi que des anciens Premiers ministres et ministres. De la bombance en perspective !
En principe, dans la quinzaine qui suit la proclamation des résultats de la présidentielle par la Cour constitutionnelle, le président élu prête serment devant la Cour suprême puis prend les rênes du pays.
Pour lui laisser la liberté de choisir son équipe, le Premier Ministre sortant lui remet, le même jour, la démission de son gouvernement. Au tout début de septembre 2013 donc, le gouvernement de Django Cissoko rendra le tablier.
Il semble que le gouvernement de Transition ne veuille pas s’en aller les bras ballants et l’estomac vide. Il tient d’abord à se rendre justice.Financièrement parlant, bien sûr. Ainsi, depuis trois semaines, 4 projets de loi font, dans le plus grand secret, le va-et-vient entre la Présidence de la République, la primature et le secrétariat général du gouvernement.
Régulièrement enrôlés à l’ordre du jour du conseil des ministres, ils en sont tout aussi régulièrement retirés la veille, comme si quelqu’un n’avait pas encore fini de calculer l’incidence énorme que lesdits textes ne manqueront pas d’avoir sur les futurs budgets d’un Etat pauvre comme Job.
Que disent, au juste, les fameux projets de loi ? Le rapport de présentation des projets de loi, dressé le 19 juillet 2013 par le ministre de la Fonction publique, Maître Demba Traoré, rappelle le traitement actuel des Premiers Ministres, des ministres et de leurs prédécesseurs. Ce traitement, aujourd’hui, est régi par les textes suivants:
– l’ordonnance n°02-050/P-RM du 4 juin 2002 modifiant l’ordonnance n°91-018/P-RM du 21 juin 1991 fixant les émoluments et indemnités du Premier Ministre;
-l’ordonnance n°02-051P-RM du 4 juin 2002 fixant les émoluments et indemnités des membres du gouvernement.
Avantages des ministres anciens et actuels
Actuellement, quand un ministre quitte le gouvernement, il reçoit une indemnité de sortie; de plus, il est reclassé, « pour le restant de sa carrière », au plus haut indice de la catégorie A de la fonction publique. Mais un ministre en exercice perçoit un traitement mensuel calculé sur la base de l’indice 1200 de la grille de la fonction publique (395.000 FCFA) ainsi qu’une indemnité forfaitaire mensuelle de 600.000 FCFA.
Soit, au total, la rondelette somme de 995.000 FCFA par mois. Le ministre en exercice bénéficie aussi de la gratuité du logement, de l’eau, de l’électricité et du téléphone.
Avantages des Premiers Ministres actuels et anciens
Le Premier Ministre en exercice perçoit actuellement un traitement mensuel calculé sur l’indice 1700 de la grille de la fonction publique (562 000 FCFA), ainsi qu’une indemnité mensuelle de 700.000 FCFA, soit, au total, un traitement mensuel de 1.262. 000 FCFA. Il bénéficie aussi de la gratuité du logement, de l’eau, de l’électricité, du téléphone et de « domestiques attachés à sa résidence ».
Premier Ministre qui quitte ses fonctions n’est pas abandonné à son sort, loin de là ! Il gagne, juste avant de vider le plancher, une indemnité de sortie équivalant à 3 mois de salaire et est reclassé au plus haut indice de la catégorie A de la fonction publique pour le restant de sa carrière.
L’ancien Premier Ministre bénéficie, en outre, d’une indemnité forfaitaire mensuelle de représentation de 700.000 FCFA, de la gratuité du logement, de l’eau, de l’électricité et du téléphone; il bénéficie enfin d’un véhicule et de deux agents de sécurité à la charge de l’Etat. Histoire d’éviter qu’un administré mécontent de Yerewolo Ton n’aille lui faire sa fête ?
Ce qui va changer
Evidemment, ces émoluments et autres avantages ne suffisent pas au bonheur du gouvernement de Transition. Celui-ci veut pimenter la soupe et adoucir davantage les vieux jours de ses membres. Pour faire gober à l’opinion la hausse vertigineuse des traitements qu’il projette, le gouvernement utilise deux arguments qu’il croit en béton armé.
D’abord, il prétend que « dans les pays à forte tradition républicaine, la fin de la fonction ministérielle n’affecte pas, outre mesure, la situation matérielle des intéressés ni le respect protocolaire lié aux fonctions par eux assumées ».
Ensuite, le gouvernement disserte : « La jeunesse de notre culture démocratique et son interférence avec une culture souvent clientéliste de la politique justifient de changer positivement la situation matérielle faite actuellement aux membres de l’Exécutif pendant et après l’exercice de leurs fonctions ».
Tout ce charabia politico-administratif tend à faire croire que le gouvernement actuel meurt de faim et que la démocratie exige de rehausser dans l’immédiat ses revenus de misère.
Bien sûr, ce gouvernement à l’appétit très sélectif ne se donne pas la peine de demander si, en démocratie, le salaire des enseignants, secrétaires, policiers et bûcherons ne doit pas, lui aussi, prendre l’ascenseur ! Mais voyons un peu, dans le détail, les augmentations croustillantes que le gouvernement veut s’octroyer sous couvert de « tradition républicaine« .
Le premier projet de loi concocté pour la circonstance fixe le nouveau régime des émoluments et autres avantages accordés au Premier Ministre. Le brave chef des ministres recevra ainsi un « traitement hors échelle égal à 7 fois le traitement brut le plus élevé des fonctionnaires ».
Sans être expert comptable, on peut estimer cela à la somme de 3.934.000 FCFA (562.000 FCFA X 7). En clair, le Premier Ministre verra son salaire multiplié par 7, soit une augmentation de 700%.
Et ce n’est pas tout ! Ce traitement sera majoré d’une indemnité mensuelle de représentation équivalant à trois quarts du traitement de base, soit 2.950.500 FCFA.
Ce qui porte le revenu mensuel global du Premier Ministre à 6.884.000 FCFA ! Cérise sur le gâteau, le Premier Ministre continue à bénéficier de la gratuité du logement, de l’eau, de l’électricité, du téléphone, de domestiques et d’agents de sécurité.
Il aura un contrat d’« assurance couvrant les accidents de transport par voie aérienne ou de surface ». Si le Premier Ministre, au lieu d’une résidence d’Etat, décide de loger chez lui-même, il bénéficiera d’une indemnité mensuelle de logement de 500.000 FCFA.
De quoi louer un palace des Mille et une Nuits, n’est-ce pas ? L’indemnité de logement fait encore l’objet de discussions car plusieurs conseillers de la primature, très zélés pour râcler les fonds de caisse publics, proposent qu’elle soit portée à 1 million de nos francs – excusez du peu !
A ce train, le Premier Ministre logera sans doute dans le même confort que le sultan de Brunéï, entouré, qui sait?, de laquais, de majordomes et de griots à la flûte mélodieuse…
Le deuxième projet de loi fixe les émoluments et avantages des ministres. Il faut assimiler, selon le texte, aux ministres les personnalités ayant rang de ministres, les ministres délégués, et les secrétaires d’Etat.
Chacun d’eux aura 5 fois le traitement mensuel du fonctionnaire le mieux payé, soit 2.810.000 FCFA (562 000 FCFA X 5).En clair, le traitement de base des ministres bondit de 395.000 FCFA à 2.810. 000 FCFA, soit une augmentation de 500% ! Les ministres bénéficieront aussi d’une indemnité mensuelle de représentation équivalant aux trois quarts du traitement de base, soit 2.107.500 FCFA. Ce qui porte le revenu mensuel d’un ministre à 4.917.000 FCFA.
Sans compter la gratuité du logement, de l’eau, de l’électricité et du téléphone. Si le ministre décide de loger chez lui au lieu d’emménager dans une résidence d’Etat, il aura une indemnité mensuelle de logement de 300.000 FCFA, chiffre appelé à grandir au fil des discussions en cours.
Le troisième projet de loi fixe les avantages des anciens Premiers Ministres. Ils bénéficieront d’une indemnité exonérée de toutes taxes et égale aux trois quarts du traitement qu’ils percevaient lorsqu’ils étaient en fonction, soit 2.950.500 FCFA par mois jusqu’à la mort. Lorsqu’ils viennent à décéder, la moitié de cette indemnité sera reversée à leur famille jusqu’à la majorité de tous leurs enfants.
Bien sûr, ils bénéficieront jusqu’à la mort de la gratuité du logement, de l’eau, de l’électricité, du téléphone, de deux véhicules et de 2 agents de sécurité (un agent pour leur personne, l’autre pour leur famille).
Leurs déplacements à l’étranger seront pris en charge par les services diplomatiques et consulaires, à condition que ces services soient informés du caractère et du contenu des déplacements. Les anciens Premiers Ministres, leurs conjoints et enfants mineurs jouiront d’un passeport diplomatique.
En rang protocolaire, ils viennent juste après le chef de l’Etat, le Premier Ministre en exercice, les présidents des assemblées parlementaires et les anciens présidents de la République.
Le quatrième projet de loifixe les avantages des anciens ministres et assimilés. Ils bénéficient, à la fin de leurs fonctions, d’une indemnité de sortie équivalant à 3 fois leur traitement mensuel, soit 8.430 000 FCFA, ainsi que d’une indemnité forfaitaire de 900. 000 FCFA. Ensuite, ceux d’entre eux qui étaient fonctionnaires, magistrats ou militaires continuent de percevoir, par mois, les trois quarts du traitement qu’ils percevaient lorsqu’ils étaient en fonction, soit 2.107. 500 FCFA par mois et à vie.
Si, dans les 6 mois de la fin de leurs fonctions, les anciens ministres ne parviennent pas à se trouver un autre emploi, ils sont d’office affectés, comme chargés de mission, dans un ministère ayant un lien avec leurs qualifications professionnelles.
Que penser de cette orgie d’indemnités ?
On le voit, le gouvernement de Transition veut sérieusement se lécher les coudes avant de partir. Et même après. Il y a lieu de se demander s’il laissera quelque chose dans le trésor public. N’aurait-il pas mieux valu laisser l’initiative de ces augmentations salariales au président élu et à son équipe? Le comble, c’est qu’au moment où le gouvernement s’octroie ces joyeuses friandises, le Mali court derrière les bailleurs de fonds internationaux avec son éternel son pot de mendiant.
Lesdits bailleurs financent pour 40% le budget de fonctionnement de l’Etat et pour 98% le budget destiné aux investissements (routes, écoles, hôpitaux, etc.).
L’incidence des augmentations projetées est incalculable puisque nul ne sait le nombre de Premiers Ministres, de ministres et d’anciens ministres qui en bénéficieront au fil des ans : il s’agit de charges permanentes qui paraissent indéfendables dans un pays dont le salaire minimum garanti est de 22 500 FCFA. On comprend maintenant l’avantage qu’il y avait pour des gens haut placés à chasser Tienan Coulibaly des Finances !
Par Tiékorobani
Source: Le Procès Verbal