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«Le fléau immédiat auquel est confronté le Mali a un nom : Ibrahim Boubacar Keita»

Monsieur le président,

Les Maliens vous ont plébiscité en 2013, avec un score quasi nord-coréen de près de 80%, avec comme objectif et mandat principal de sortir le Mali du gouffre dans lequel il avait été plongé. Même si à l’époque tout était prioritaire, votre plébiscite était motivé par la fausse réputation d’homme à poigne dont certains vous avaient affublé. Puisque la réalité est que vous n’avez jamais été un homme à poigne mais bien un responsable brutal sans vision autre que l’obsession du pouvoir.

Après votre accession au pouvoir, nous avons tous de façon, il faut le reconnaître, naïve, pensé que vous alliez aider le pays à sortir la tête hors de l’eau, en instituant une gouvernance vertueuse qui consisterait à réarmer moralement le pays afin de faire face aux défis. Nous avions même pensé, pour faire allusion à une histoire qui doit vous plaire, que vous alliez même «guérir nos écrouelles». Que nenni ! Vous vous êtes comporté en satrape soucieux davantage de son confort et de son bien-être personnel et familial que de celui du peuple qui vous a élu confortablement.

Votre premier mandat que vous avez trop vite fait de placer sous le signe de la lutte contre la corruption a été celui du népotisme et de la corruption, justement. Aussitôt élu, vous vous êtes coupé de votre parti, de vos compagnons de jours difficiles et, pire, du peuple qui vous a élu. Vous êtes devenu le président le plus inaccessible de l’histoire du Mali moderne. Au même moment vous vous êtes imprudemment exposé en vous appuyant sur votre famille pour la gestion quotidienne du pays. Vous auriez pu et même dû être un digne héritier du président Alpha Oumar Konaré qui fait de vous ce vous êtes aujourd’hui. En dépit du fait que celui-ci avait estimé finalement que vous n’étiez pas digne d’être président de la République. Tous ceux qui sont tombés sur le président Konaré à l’époque s’en mordent les doigts aujourd’hui. Konaré n’est peut-être pas un prophète mais il avait bien vu.

Rien que cette prédiction du président Konaré aurait dû vous pousser à gérer le pays «en bon père de famille». Vous avez choisi d’être le bon père de famille stricto sensu, en inaugurant un pouvoir personnel et un exercice solitaire du pouvoir. Pourtant lorsque vous étiez directeur adjoint de la campagne du candidat Alpha Oumar Konaré, en 1992, le slogan de campagne était «L’Avenir ensemble». Pour votre campagne de 2013, le slogan était «Le Mali d’abord» (toujours dans l’emphase et la grandiloquence) mais à l’arrivée, les Maliens ont moqué et transformé votre slogan à en une terrible « Ma famille, d’abord». C’était terrible mais plus juste. Tant le pouvoir a déserté le cadre très institutionnel de Koulouba pour s’exercer à votre domicile personnel et privé de Sébénicoro. Jamais encore une fois dans l’histoire du Mali moderne le pouvoir n’aura été aussi accaparé par un président et sa famille.

Pour ma part, j’ai une explication à cet état de fait : vous n’êtes ni homme reconnaissant ni un homme sincère. Pire, vous n’êtes pas un démocrate.
Vous êtes un «Fitiriwalé» (un ingrat) qui s’est subrepticement drapé dans les habits d’un prétendu «Kankélétigui» (quelqu’un qui tient sa parole), puisque vous n’avez même pas parole. Qu’espérer, en effet d’un homme qui, une fois élu président se détourne de son propre parti et de tous ceux qui l’ont aidé à se jucher sur son piédestal ? Votre relation avec votre parti est le dernier des soucis des Maliens, mais cette relation permet aux Maliens de savoir qui vous êtes, par nature.

Un ingrat, un «fitiriwalé». Vous souffrez en réalité d’un syndrome dont il va falloir commettre des scientifiques pour connaître l’explication clinique et lui donner un nom. En fait, vous êtes un homme complexé qui n’aime pas voir autour de lui ceux avec qui vous avez fait votre traversée du désert. Cela vous rappelle trop une réalité traumatisante. Vous préférez assurément la compagnie de vos «amis» qui vous ont connu président et qui ne vous donnent pas du «camarade». Vous préférez les gens à vos pieds, vous avez une conception très monarchique de la démocratie. Et d’ailleurs, vous avez complètement perverti la démocratie malienne. Vous avez foulé notre constitution aux pays.

La haine que vous éprouvez pour votre propre parti vous a poussé à dénaturer notre démocratie. Le fait majoritaire qui aurait dû imposer des Premiers ministres issus de votre parti et des gouvernements majoritairement constitués de membres du parti «au pouvoir» n’a jamais été respecté. Vous me rétorquerez certainement que vous avez nommé un Premier ministre issu du parti. Mais ce dernier qui a d’ailleurs claqué la porte du parti depuis n’en était pas un vrai militant. Puisqu’il était plus à votre service exclusif qu’autre chose. Même si les choses se sont terminées en «eau de boudin» entre vous.

Vous n’êtes pas un démocrate, et vous préférez vous entourer de béni-oui-oui plutôt que de personnes pouvant vous dire la réalité des choses. Cela se voit par le choix des hommes qui vous entourent. Vous ne choisissez pas vos collaborateurs en fonction de leurs compétences ou de leur intégrité mais en fonction de leur capacité à se mettre à plat ventre devant vous ou à se tenir le doigt sur la couture de leurs pantalons. Vous nommez à des postes importants des gens corrompus et incompétents, comme vous-même. On vous fait part de tout cela, en espérant que vous battiez votre coulpe et faites amende honorable mais vous continuez à narguer les Maliens tous les jours que le bon Dieu fait.

Vous avez été élu pour trouver une solution à la crise du nord, vous êtes allé signer un accord bancal et inapplicable au détriment du Mali. Vous avez mis la poussière sous le tapis. Et vous avez laissé le centre du pays s’embraser : le centre est à fois devenu le sanctuaire des terroristes et le lieu de massacres intercommunautaires. À chaque massacre, vous faites un déplacement sur les lieux pour aller verser quelques larmes et vous vous en prenez à des lampistes et on attend le prochain. Vous semblez oublier que votre rôle et celui de l’Etat est de protéger les populations, non pas de les laisser sans défense et aller verser des larmes sur leurs dépouilles et montrer la vulnérabilité de l’Etat aux yeux de ses ennemis.

Lors de la campagne présidentielle de 2013, certains de vos concurrents vous accusaient de ne pas avoir de programme, on pensait que c’était des critiques politiciennes, mais force est de constater qu’ils avaient raison. Depuis votre élection vous pratiquez du pilotage à vue, vous avancez sans cap. Sinon comment comprendre cette instabilité gouvernementale où la durée moyenne de vos gouvernements est de six mois, vous faites valser les Premiers ministres et ministres au même rythme que vous changez de boubou. Vous êtes passé maître dans l’art du bricolage institutionnel. Pourtant vous avez une longue expérience de l’Etat et de l’administration. Le moins que l’on puisse dire c’est que votre longue expérience ne vous aura servi à rien, au vu de l’état dans lequel vous avez plongé le Mali, dont vous vous dites, ad nauseum, pourtant fou. Je ne sais pas si vous êtes vraiment fou du Mali, mais je sais en revanche que votre passivité et votre impéritie rendent les Maliens complètement fous. Et ça je sais que vous le savez mais n’en avez cure. Ce qui est sur si vous étiez un médecin le patient qu’est le Mali se serait certainement détourné de vous.

Votre premier mandat a été une calamité. Le second ne s’annonce guère mieux. Pour vous assurer un deuxième mandat par tous les moyens possibles, vous vous êtes offert les services d’un homme sans foi ni loi, un spadassin. Aussi redoutable qu’honni. Cet homme c’est Soumeylou Boubèye Maïga qui aura finalement été le Premier ministre le plus impopulaire et le plus détesté de l’histoire du Mali. On ne sait comment vous et votre Premier ministre avez manœuvré pour vous assurer un deuxième mandat, mais le fait est là : vous vous êtes fait «réélire» pour un deuxième mandat qui risque de n’être qu’une pâle copie du premier. Mais entretemps, la contestation aura eu raison de votre acharnement à maintenir Soumeylou Boubèye Maïga à son poste. On se demande à présent la rationalité de cet acharnement au point de voir, pour la première de l’histoire de la science politique, un président qui se transforme en fusible de son Premier ministre. Le temps édifiera les Maliens sur le pacte «diabolique» qui vous liait, vous et Soumeylou Boubèye Maïga, au point de chercher à compromettre l’avenir de tout un pays au profit d’un homme.

Pour le reste, le jugement de l’histoire sera implacable pour vous. D’ores et déjà, on peut parier que vous risquez probablement d’être le pire président de l’histoire du Mali moderne. L’opinion que vous avez de vous-même est inversement proportionnelle au rejet que vous inspirez aux Maliens.
On trouve une illustration de votre insincérité et de votre duplicité dans la mise en place du gouvernement dit d’ouverture. Là aussi, vous avez feint d’associer l’ensemble de la classe politique à la désignation du nouveau Premier ministre pour au final finir par choisir quelqu’un de tellement lié à votre famille qu’on en vient à se demander si ce n’était pas encore un autre pied de nez aux Maliens. Et lorsque vous avez mis en place votre gouvernement fait de bric et de broc, vous lui avez instruit d’engager un «dialogue politique inclusif». L’intention était noble, le naturel revenant toujours au galop, vous avez dans une interview-délire, à votre canard préféré –Jeune Afrique– dont l’intervieweur tombant sous le charme de votre «érudition latine», en vient vous comparer à Léopold Sédar Senghor, rien que ça. Ce que je considère comme une insulte à la mémoire de ce dernier. Mais bon, pas de digressions, revenons à notre «dialogue national inclusif».

À peine le comité de pilotage du dialogue mis en place en grande pompe, comme toujours avec vous, vous vous empressez d’aller insulter le chef de file de l’opposition : «Il n’y a pas eu de crise post-électorale, mais la bouderie d’un seul homme, inconsolable de ne pas être entré au Palais de Koulouba». Il n’y a pas eu de crise post-électorale, sérieusement ? Cette assertion laisse transparaître un autre de vos traits de caractère, votre relation avec la vérité, ou les libertés que vous prenez souvent avec celle-ci. En tout état de cause, on a du mal à vous comprendre lorsque vous prenez l’initiative de torpiller votre propre «dialogue national inclusif». Les organisateurs de ce forum seraient bien inspirés de rendre le tablier, au risque de laisser leur crédibilité dans cette histoire.

Il leur est tout aussi libre de servir de caution à des dirigeants corrompus jusqu’à la moelle, qui ont transformé notre démocratie en «voyoucratie» et qui se comportent en vrais maffieux –j’utilise là le mot à dessein– puisque le Mali d’Ibrahim Boubacar Keita n’a rien à envier aux Siciliens. Tant ce régime a ravagé le pays en le mettant en coupe réglée. Rien ne va pour le Mali mais tout va bien pour le président et sa famille, Dieu merci.
Le pays se débat dans les pires difficultés : l’insécurité règne en maître absolu ; les fonds publics sont détournés ou dilapidés ; l’école est sacrifiée ; même dans les domaines aussi insoupçonnés comme le sport, c’est le bazar total : l’équipe nationale de football a failli être disqualifiée de la CAN à cause l’irresponsabilité et de la bêtise de ses dirigeants. Le championnat national est à l’arrêt. Même la dernière édition de la sacro-sainte coupe du Mali n’a pas eu lieu.

On aimerait bien pouvoir ne pas être aussi pessimiste mais impossible de trouver un point sur lequel féliciter le régime. On me rétorquera peut-être que, et c’est devenu le dada du régime et de ses thuriféraires, qu’une loi de programmation militaire a été votée et a permis l’équipement de l’armée. Ce que l’on sait c’est que des crédits ont effectivement été budgétisés dans le cadre de l’équipement de l’armée mais la réalité sur le terrain est que nos troupes sont livrées à leur sort sur le terrain. On peut engloutir d’autres milliards dans l’équipement de l’armée mais avec le leadership actuel, ou l’absence même de celui-ci, la situation ne s’améliorera guère.

Vous êtes responsable de la situation de partition de fait du pays, vous avez aggravé votre cas en transformant cette partition de fait en partition de droit à travers le prétendu accord de paix d’Alger. L’histoire retiendra que vous êtes sous l’autorité duquel l’unité nationale du pays a volé en éclats ; le repli communautaire a pris le dessus. Vous avez en l’espace de cinq petites années détricoté la cohésion nationale du pays.
Pour résumer, je dirais que le fléau immédiat auquel est confronté le Mali a un nom : Ibrahim Boubacar Keita. Je termine par un aveu : comme beaucoup de nos compatriotes, j’ai pourtant tant aimé cet homme !

Touramakan Traoré, journaliste


Source: Nouvelle Libération

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