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LE CHAMP POLITIQUE MALIEN A LA VEILLE DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE DE 2018

Le Mali ressemble aujourd’hui à un champ de ruine, un magasin de faïence après le passage d’un éléphant. Quant à son président, il donne l’impression d’un navigateur sans boussole, pris dans une tempête avec un navire sans gouvernail.  Le Mali a tangué pendant ces 4 dernières années comme un bateau ivre avec un capitaine qui semblait lui-même ne pas avoir tous ses moyens. Pourtant au lendemain de sa victoire, le président élu à une large majorité (près de 78%) par plus de 50% des Maliens (un record !) disposait de tous les atouts nécessaires pour réaliser les attentes des populations qui l’avaient choisi pour notamment 3 choses : mettre fin à la rébellion et ramener Kidal dans la République, assurer la paix et la sécurité dans le pays et changer de gouvernance. Aux Maliens d’apprécier si leurs espérances ont été comblées.

La victoire d’IBK avait été comme le signe d’un regain d’intérêt des Maliens pour la politique  après une longue période de désaffection marquée par un unanimisme conduisant à un immobilisme et une dépolitisation voulue et construite par ATT. Elle avait surtout laissé faire croire que nous assisterons à un renouvellement de la classe politique avec la mise à l’écart de tous ces acteurs qui ont animé la vie politique malienne pendant ces 20 dernières années. Certes, avec IBK, nous avons vu l’arrivée de nouveaux acteurs, des jeunes pour certains d’entre eux, mais c’est un changement d’hommes très limité car ce sont les mêmes partis politiques qui continuent de dominer le champ politique malien : l’Adema, le CNID et leurs avatars.

Les élections de 2013 a quand même eu des effets sur le système politique  malien en donnant lieu à une remise en cause des positions et des positionnements, un bouleversement des hiérarchies instituées par les élections de 2007 et des regroupements nés avec le coup d’Etat de 2012.  Les élections présidentielles et législatives de 2013 ont en effet eu pour résultat une recomposition du champ politique malien avec un renversement des hiérarchies entre les 5 partis arrivés en tête après les élections législatives de 2007 (en termes de nombre de députés avec dans l’ordre l’Adema, l’URD, le RPM, le MPR, et le CNID). Le RPM est aujourd’hui le premier parti devant l’URD, l’Adema, la Codem.et le Sadi. Tandis que d’autres partis comme le RND, le BDIA ou le Barica qui avaient des députés en 2007 ont tout simplement disparu de la scène politique après les élections de 2013.

A trois mois de l’élection présidentielle de 2018, le champ politique malien ressemble étrangement à ce qu’il était en 2013 avec un nombre élevé de candidatures venant de divers horizons, l’appel à un renouvellement sinon à un rajeunissement de la classe politique, l’implication de certains leaders musulmans dans le jeu politique et la difficile coalition dans l’opposition.

  1. Le nombre élevé de candidatures

En 2013, les candidats à l’élection présidentielle étaient au nombre de 27 après le retrait de Tièblé Dramé. Pour 2018, il faut s’attendre à un nombre aussi égal sinon plus élevé car on dénombre d’ores et déjà au moins une vingtaine de déclarations d’intention. Le nombre des candidats va aller certainement croissant parce que pour beaucoup d’acteurs, comme en 2013, l’élection présidentielle de 2018 sera tout autant ouverte sinon plus ouverte encore car non seulement le Mali est toujours en crise mais en plus toutes les institutions apparaissent encore plus affaiblies avec un président rattrapé par les nombreuses « affaires » qui ont jalonné son mandat sans compter les nombreuses défections dans son entourage avec tous ses anciens directeurs généraux, ministres et premiers ministres qu’il a lui-même nommés et qui ont l’intention de se présenter contre lui aujourd’hui. Ce qui explique le nombre élevé des candidatures en 2013 comme en 2018, c’est donc non seulement l’idée que l’élection sera ouverte mais aussi la possibilité offerte aux perdants de se voir propulser premiers ministres, ministres ou responsable d’institution ou à tout le moins directeur général pourvu qu’ils sachent faire le bon choix au 2ème tour.

Sur les 22 candidats qui l’on soutenu au deuxième tour contre Soumaila Cissé,  IBK en a nommé 7 comme ministres et plusieurs autres ont été nommés à divers postes de responsabilité. Ainsi chacun a obtenu un strapontin pour son soutien à IBK. D’ailleurs lui-même le dira en réponse à Kalifa Sanogo lors de sa visite à Sikasso qu’il n’a pas été ingrat avec ses soutiens (qu’ils soient candidats ou pas) car il a tenu à ce que chacun reçoive en récompense pour son soutien, des prébendes. Par contre aucun parti politique n’a été convié à la mise en œuvre d’un programme de gouvernement qui n’a d’ailleurs jamais existé. Le Sadi qui en avait fait une exigence de sa participation à la Convention de la majorité présidentielle, a dû vite déchanter et a fini par quitter la majorité présidentielle et rejoindre l’ADP-Maliba sur la liste des partis déçus. La Convention de la majorité présidentielle est restée une coquille vide juste utile pour donner l’impression de l’existence d’une majorité présidentielle car elle n’avait aucun pouvoir de décision et n’a jamais été consultée pour quoi que ce soit. Laissant du même coup le loisir à IBK de gérer les choses comme il l’entend.

De la même manière qu’on voit les partis politiques naitre ou sortir de leur léthargie à la veille des élections, de même on voit se créer des associations de tous genres qui ne se font entendre qu’à l’approche des élections pour se « vendre » sur le marché des soutiens politiques. C’est ainsi qu’apparaissent des courtiers en élections dont certains deviennent de « big man » pour militants. Leur rôle est de rechercher et de rassembler des « militants » pour les mettre à la disposition du plus offrant. Il semble que pour l’élection présidentielle à venir, un bureau serait ouvert dans ce sens dans un quartier de Bamako par les proches d’un candidat non encore déclaré. Il suffit d’amener un récépissé d’association pour se voir attribuer une somme d’argent qui est fonction de la capacité de mobilisation de l’association.

  1. L’appel à un rajeunissement et à un renouvellement de la classe politique

Comme en 2013, l’élection présidentielle de 2018 apparait aux yeux de nombre d’observateurs et de candidats comme une occasion pour le renouvellement et le rajeunissement de la classe politique malienne usée par le pouvoir. Si un renouvellement est fort probable, le rajeunissement lui par contre reste à voir car après l’avoir refusé en 2013, les Maliens sont-ils prêts en 2018 de porter leur choix sur un jeune pour les sortir des crises dans lequel le pays est plongé depuis des années. Ils étaient au moins une dizaine de candidats à avoir au  plus 50 ans en 2013 : Siaka Diarra (50 ans), Ousamne Ben Fana Traoré (46 ans), Dramane Dembéle (46 ans), Jeamille Bittar (46 ans), Niamkoro Yeah Samaké (44 ans), Housseiny Guindo (43 ans), Sidibri Koumaré (42 ans), Moussa Mara (38 ans), Racine Seydou Thiam (37 ans), Alhousseiny Abba Maiga (37 ans). Tous avaient moins de 30 ans e 1991 (le plus âgé avait 28 et le plus jeune, 15 ans), l’année où la classe politique qui est aux affaires depuis cette date est arrivée au pouvoir. Ils ont cru, le temps d’une campagne, que cette élection allait sonner leur heure de gloire sinon comme président, du moins avec un bon score pour être en position de négocier un éventuel ralliement derrière les candidats arrivés au second tour. Le « tournant générationnel » était le slogan de l’un d’entre eux pour parler du rajeunissement souhaité de la classe politique.

Mais au bout du compte, ils n’étaient que 4 à avoir franchi la barre de 1% : Dramane Dembélé (9,51%), Housseni A. Guindo (4,63%), Jeamil Bittar (1,74%) et Moussa Mara (1,54%). Dramane Dembélé doit certainement son relatif bon score et sa troisième place à la machine électorale de l’Adema qui est capable de se déployer dans le plus petit hameau du Mali. En 2013, il était sans doute  « le nouveau visage » de l’Adema mais, porté par ce parti qui a été de tous les pouvoirs depuis 1992, pouvait-il incarner aux yeux des Maliens le changement attendu et le réussir une fois président ? Rien n’est moins sûr. En 2013, au vu de leurs résultats respectifs, on peut dire qu’aucun des jeunes n’a pu ou su porter le désir de changement des Maliens. Peut-être justement à cause de leur jeunesse tant les défis étaient immenses pour un Mali en pleine crise. En outre, à part Dramane Dembélé et Housseini A. Guindo, aucun d’entre eux n’était soutenu par un parti assez bien implanté, capable de leur apporter la victoire. Hormis Bamako et quelques grandes villes régionales, tous les autres étaient quasiment absents dans le reste du pays. Alors que c’est dans les villages que se joue une élection.

Le « tournant générationnel » n’a pas donc pas eu lieu en 2013. Cette élection a été plutôt celle de la  désillusion pour une génération montante. Ce qui explique peut-être pourquoi sur les 10 qui étaient candidats en 2013, 4 seulement ont déclaré leur intention de se présenter à nouveau en 2018 : Jeamil Bittar, Dramane, Dembélé, Moussa Mara, Yeah Samaké. Moussa Sinko et Igor Diarra sont pour l’instant les seuls à venir s’ajouter à ces quatre jeunes. Rien pour l’instant n’augure pour eux un meilleur sort même si quelques-uns d’entre eux pourront tirer leur épingle du jeu car loin de s’améliorer, la crise s’est entre temps non seulement généralisée à tous les segments de la vie politique, économique et sociale et sécuritaire mais aussi à l’ensemble du pays. Seul, il sera difficile à chacun d’entre eux de gagner. Leur salut se trouve indéniablement dans des coalitions avec des candidats plus âgés de la vieille classe politique mais qui ne trainent pas de casserole. Regroupés dans des coalitions, mobilisées sur le thème du renouvellement de la classe politique, jeunes, nouveaux entrants et les moins jeunes acteurs politiques sans passé sulfureux arriveront certainement à quelque chose.

  1. L’implication des leaders musulmans dans le jeu politique

Jusqu’en juin 2013, ce qui a pu être considéré comme le « phénomène IBK » n’était pas perceptible dans l’opinion malienne. Une analyse des articles et émissions radio de l’époque n’indiquaient pas en effet une avance d’IBK sur les autres candidats. L’opinion publique va changer de façon spectaculaire en sa faveur à partir de la mi-juin, consécutivement à trois soutiens majeurs qu’il a reçus de la part du Chérif de Nioro, celui de Sabati 2012 et de la junte qui a fait le coup d’Etat de 2012. Si en 2018, l’armée semble ne plus être un acteur dans le jeu politique malien, des leaders religieux n’ont pas renoncé à revenir dans le jeu politique pour influencer les résultats des élections.

Au nom de la laïcité, il a toujours été dénié aux chefs religieux de s’impliquer dans la politique ou même de se prononcer sur la vie politique au Mali. C’est ainsi que de plus en plus certains esprits s’exaspèrent de voir les chefs religieux s’exprimer sur les questions d’intérêt public, de prendre position dans le débat public et d’être devenus des acteurs à part entière sinon incontournables de la vie publique. Cette irruption relativement récente et remarquée des religieux dans l’espace public est le résultat d’une conjonction de facteurs dont le premier est la montée en puissance d’une nouvelle catégorie de chefs religieux sortant des grandes universités arabes du monde avec pour certains des doctorats, porteurs d’une vision de l’islam et des relations entre religion et Etat différente de celle des premiers chefs religieux. Ensuite, la liberté d’association acquise avec l’avènement de la démocratie, en ce qu’elle a apporté comme opportunité à ces nouveaux chefs religieux de se regrouper en associations. S’en est suivi la gestion malencontreuse des questions religieuses par les gouvernements passés et singulièrement le vote du Code des personnes par le pouvoir d’ATT. A tous ces facteurs, on peut ajouter la faiblesse de la classe politique malienne, son incapacité à produire un discours audible qui puisse emporter l’adhésion des populations et à occuper l’espace public pour qu’il ne soit pas saturé par le discours religieux.

Sinon au nom de quoi refuserait-on aux leaders religieux maliens de se prononcer sur la situation de leur pays ? Au nom de quel principe on refuserait aux chefs religieux le droit d’intervenir dans l’espace public ?  Ce refus est contraire aux lois de la République, au principe de la laïcité et à sa pratique comme on peut le voir à travers l’histoire et le monde. Même en France dont on s’ingénie ici à reproduire (parfois sans réfléchir) et les instituions et les lois, la laïcité n’interdit pas à un leader religieux de s’exprimer ou de s’engager en politique. C’est plutôt l’Eglise qui a décidé à un moment donné de l’interdire aux prélats, au vu des risques que cela comporte sur sa cohésion. Et c’est ce risque qui guette aujourd’hui la communauté musulmane du Mali. L’entrée de certains leaders religieux dans l’espace public n’est pas en effet sans risque sur la cohésion du groupe. Elle peut aboutir à une fragilisation des chefs religieux eux-mêmes. Ne parlant pas d’une même voix, on voit apparaitre quelques fois des dissonances en leur sein sur certains sujets. Toutes choses qui peuvent aboutir à des fractures en leur sein.

A la déclaration de Mahmoud Dicko sur ce que sera la position des musulmans pour l’élection présidentielle de 2018 a répondu des voix contradictoires pour lui dénier le droit de se prononcer  au nom de tous les musulmans. Mieux, on assiste à des prises de positions ouvertes pour des candidats de la part de certains groupes religieux. Après qu’Aliou B. Diallo ait été adoubé à Nioro, on a vu la création du MUM et de l’UMA, comme en réponse au Chérif de Nioro. On voit ainsi se superposer aux clivages politiques des clivages religieux parfois séculaires. Autre risque de l’implication des acteurs religieux dans le jeu politique, c’est le discrédit de leur parole sinon leur propre discrédit suite à la disgrâce du pouvoir politique pour lequel ils ont associé leur image et leur nom après avoir appelé voter pour lui. Dernier risque, la disqualification des chefs religieux à jouer un rôle d’intermédiation dans les crises politiques comme ils ont pu le faire dans le passé et comme ils aiment à le rappeler. A cette allure, il ne restera plus alors un jour que l’Eglise pour intercéder entre acteurs politiques, sinon entre acteurs religieux.

Enfin, la montée en puissance d’une nouvelle catégorie d’acteurs religieux, sans complexes vis-à-vis des «  intellectuels »  et des hommes politiques, parce qu’eux-mêmes sont instruits, des érudits qui en savent autant sinon plus que ces gens qui nous gouvernent ou qui prétendent vouloir nous gouverner, décidés à dire leur mot sur la gestion de l’Etat peut déboucher à une politisation de l’islam ou ce qui est la crainte des défenseurs de la laïcité, à une islamisation de l’espace politique. Mais déjà, cette implication des chefs religieux dans le jeu politique rend difficile la création des coalitions politiques.

  1. L’impossible construction des alliances ?

En 2013 déjà, la question des alliances était apparue dans certains cercles politiques mais l’idée avait été vite abandonnée au regard du peu d’empressement des candidats, sinon leur indifférence à l’idée de se constituer en coalition. L’idée n’avait certainement pas eu l’adhésion des premiers concernés parce qu’à leurs yeux la crise de 2012 était une fenêtre d’opportunités et l’élection de 2013, celle de tous les possibles. Chacun voulant se jauger, rien ni personne ne pouvait les convaincre de se mettre dans des alliances. Ils sont allés donc en rang dispersé, avec le résultat que l’on connait. IBK est ainsi arrivé en tête avec 39,23% des suffrages, suivi de  Soumaila Cissé (19,44%) et de Dramane Dembélé (9,51%). Quant aux 24 autres candidats, aucun n’a pu atteindre le seuil des 5% nécessaires pour se faire rembourser sa caution. Parmi eux, Modibo Sidibé (4,87%) et Housseini A. Guindo (4,63%). Viennent plus loin, 7 autres candidats qui ont eu entre 1 et 2%, c’est-à-dire des  candidats qui n’ont pu convaincre qu’au plus 1 ou 2 électeurs sur 100. Ce sont Oumar Mariko (2,40%), Choguel K. Maiga (2,29%), Cheick M. Diarra (2,08%), Jeamil Bittar (1,74%), Mountaga Tall (1,52%), Moussa Mara (1,50%), Mamadou B. Sangaré (1,06%).

C’était une performance que le plus grand nombre n’a pas pu réaliser. Ils sont en effet 15 candidats sur les 27 ayant pris part au scrutin de 2013 à avoir moins de 1% des suffrages exprimés. Ce qui signifie que même 1 un électeur sur 100 n’a pas voté pour eux.  Avec leurs taux cumulés de de 8,11%, ces 15 candidats réunis n’ont pas eu le score de Dramane Dembélé, le troisième du scrutin. Si on ajoute à ces 8,11% les 12,59% des 7 précédents, nous avons 22 candidats qui ensemble n’ont eu que 20% environ des suffrages exprimés. Le résultat de la participation de ces 22 candidats n’aura été donc finalement que de disperser les voix des électeurs. Alors que réunis derrière un candidat, mathématiquement, ils seraient arrivés ensemble en deuxième position. Parmi eux, des hommes politiques bien connus  comme Sacko (0,8%), Omar I. Touré (0,82%), Haidara Aichata Cissé (0,76%), Hamed Sow (0,56%), Yeah Smaké (0,56%), Konimba Sidibé (0,55%), Racine Thiam (0,53%)

On me dira que les résultats d’un scrutin ne s’analysent pas par la somme des taux obtenus par chaque candidat car en effet un scrutin a sa dynamique propre qui dépend certes du nombre des candidats mais aussi de bien d’autres facteurs. Mais on ne peut pas non plus ne pas faire ce calcul mathématique car le propre d’une élection, c’est le comptage des voix obtenues par chaque candidat. Une élection se joue sur deux facteurs essentiels : les enjeux du moment et la perception qu’ont les électeurs de la capacité des candidats à y faire face. Cette perception se construit à travers l’image que celui-ci aura réussi à imposer à l’opinion (donc de la campagne qu’il aura mené). Cette image peut être surfaite, fausse même mais il suffit qu’elle arrive à s’imposer à l’opinion pour faire son effet.

Parce que plus ouverte que celui de 2013, le scrutin de 2018 donne l’illusion à beaucoup de candidats que c’est leur occasion sinon d’être élu, du moins de réussir un bon score pour s’inscrire dans la stratégie individualiste de parvenir à monnayer leurs voix dans un second tour. Pour d’autres, c’est peut-être leur ultime chance. Convaincre dans ces conditions ces candidats à se mettre dans des regroupements sera bien laborieux. Et plus difficile encore sera de vouloir désigner un candidat unique. Sans oublier que cette stratégie de candidature unique peut ne pas s’avérer forcément efficace. La première grosse difficulté à laquelle est confrontée la création d’une coalition, est la question de savoir qui en sera le candidat. De façon explicite ou implicite, c’est la question que (se) pose chacun des candidats de la coalition. Toute idée de consensus étant à écarter, sur quels critères fonder ce choix quand les candidats eux-mêmes ne s’accordent pas sur ces critères et la pondération à donner à chaque critère : le nombre de députés, le nombre de conseillers communaux, les fonctions déjà occupées, l’âge du candidat, etc. Quand on s’engage dans cette voie, on tombe inévitablement dans l’impasse. On ne peut donc que compter alors sur la bonne volonté de chacun des candidats, leur engagement à réussir une coalition ou pour sauver le Mali.

Dans la situation actuelle de l’opposition, traversée par des clivages générationnels, idéologiques, religieux, d’opposition entre une classe politique discréditée et une autre qui serait plutôt « propre », la seule bonne volonté des candidats est bien maigre pour réunir ce capharnaüm et arriver à l’alternance tant réclamée et qui apparait finalement comme un serpent de mer. Réunir ensemble Soumaila Cissé, Modibo Sidibé, Oumar Mariko, Cheik M. Diarra, Mountaga Tall, Moussa Mara, Zoumana Sacko ou encore Aliou Diallo est déjà une gageure, arriver à les mettre derrière un seul candidat est une autre paire de manche. En prenant seulement deux exemples on voit que la tâche est quasi impossible : Soumaila Cissé représente aujourd’hui la deuxième force politique du Mali. Il est le chef de file de l’opposition et a les moyens de sa politique. Logiquement, on peut dire qu’il est le meilleur candidat pour battre un IBK très affaibli par une usure prématurée de son pouvoir. Croyez-vous qu’il va céder la place à quelqu’un d’autre qui aura été désigné au nom d’un renouvellement de la classe politique surtout que vu son âge, il est peut-être à sa dernière chance d’être un jour président ?

A l’autre extrémité, nous avons un Oumar Mariko porté par une progression certes lente mais régulière de son parti de 2002 à 2013.En 2013, Oumar Mariko est arrivé sixième à l’élection présidentielle sur 27 candidats tandis que son parti le Sadi avec ses 5 députés était la 6ème force politique après les législatives (aujourd’hui elle est la 5ème force après que des députés de Fare ont rejoint le RPM).  Face à un IBK affaibli, un Soumaila Cissé disqualifié, un Adema divisé, la Codem absente, Oumar Mariko peut bien croire en ses chances d’être au moins parmi le trio gagnant. A défaut d’être élu, il peut se retrouver faiseur de roi. On peut faire le même exercice avec chacun des candidats ci-dessus cités pour dire pourquoi il sera difficile de les faire aligner derrière un autre candidat. Celui qui va s’imaginer y arriver va s’épuiser dans des négociations inutiles pour arriver au dernier moment à des déceptions à la hauteur des espoirs suscités. Au vu de ce qui dessine sur le terrain, ce sont les OSC unies qui peuvent arriver à la création d’une coalition avec des candidats triés sur le volet par eux-mêmes autour d’un programme de gouvernance élaboré par les différentes parties.

Mais cette société civile semble elle-même empêtrée dans ses divisions et ses stratégies. Les OSC ont été le fer de lance de la lutte contre le projet de référendum et ont été le ciment de cette plateforme. La classe politique seule n’aurait jamais réussi à mettre en place cette plateforme car les luttes de leadership auraient eues vite raison d’elle. Mais comme toute coalition qui se crée autour d’un objectif, la plateforme « An Tè A Banna », créée contre le référendum est morte de sa belle mort dès que son objectif a été atteint. Les OSC sont donc les seules capables de réaliser une coalition de ce genre mais à y regarder de près elles s’y prennent mal. Elles doivent changer de stratégie sinon de rencontre en rencontre avec les acteurs politiques, elles resteront dans les vœux pieux. Elles feraient mieux de commencer elles-mêmes par se regrouper en coalition qui, comme pour la lutte anti-référendaire, sera à l’avant-garde du regroupement des partis politiques et de l’alternance. Si bien sûr, comme la classe politique, elles n’ont pas aussi ce complexe du leadership. Il faut craindre en effet que ces OSC ne reproduisent les mêmes luttes de leadership observées au sein de la classe politique. Quelqu’un s’est risqué de dire qu’au Mali il n’y a pas de société civile et s’est attiré les courroux de certaines associations. Ce qui est sûr parmi elles on trouve beaucoup d’OSC alimentaires. Partis politiques et OSC doivent méditer cette leçon de l’ex-président du Brésil, Lula da Silva, qui disait que la question des alliances n’est pas une affaire de principes (ou d’idéologies) mais de conjoncture.

CONCLUSION

Comme en 2002 et 2007 avec ATT et IBK en 2013,  aucune alliance n’a pu être mise en place ni avant ni après le premier tour, autour d’un programme de gouvernement, laissant ainsi les mains libres au président élu de faire ce qu’il veut dans la gestion des hommes et de l’Etat.  Ce qui a donné lieu, on l’a vu, à toutes sortes de dérives.  En 2013, la classe politique malienne n’a pas retenu la leçon des 10 années passées sous ATT où toute la classe politique a donné un blanc-seing à ATT pour faire ce qu’il a fait avec les différents acteurs politiques, faisant et défaisant les partis politiques, choisissant qui il veut comme ministre sans consulter son parti, sanctionnant qui il veut et quand il veut. En 2013, nous avons assisté à la même stratégie des candidats à l’élection présidentielle ce qui permit à IBK de faire pire qu’ATT avec cette valse de premiers ministres et de ministres au cours d’un seul mandat. Nous sommes en train d’aller vers le même scénario en cette élection. Les candidats vont y aller en rang dispersé pour ensuite se rallier au favori qui va se dégager au second tour sans (pouvoir) poser des conditions, sans négociation sinon peut-être pour obtenir des postes. J’entends souvent des (anciens) membres de la mouvance présidentielle dire qu’ils ont rallié IBK sans conditions, sans négociation autour d’un quelconque poste. Sans le savoir ils ne font que l’étalage de leur limite en politique.

Ceci dit, cette élection est celle de tous les dangers. Si elle n’a pas lieu, le Mali va au-devant d’une grave crise et risque de se retrouver dans la situation de la RDC où le Président Kabila a tout fait ou plutôt n’ rien fait pour que l’élection n’ait pas lieu à la date prévue et s’est donné les moyens de la force, au prix de quelques centaines de morts, pour prolonger son mandat de deux ans. Si elle a lieu aussi, le risque est encore plus grand que cela débouche sur une crise post-électorale car malgré les déclarations de bonne volonté des autorités, l’élection risque d’être bâclée et ne pourra que difficilement se tenir équitablement pour tout le monde et partout sur le territoire. S’il est vrai comme le font courir certaines rumeurs, les groupes rebelles signataires de l’Accord seront requis pour assurer la sécurité des élections dans ces régions, il est sûr que nous allons au-devant d’une crise car cela ne suffit-il pas pour contester ces résultats ?

L’idée de surseoir à l’élection pour organiser une forme de transition est sans doute la meilleure si elle arrivait à passer auprès des différents acteurs mais comme pour les coalitions, la première question à laquelle on est confrontée dans cette option est de savoir avec quel président ? La faire en prolongeant le mandat d’IBK a été proposée par certaines personnes, d’autres l’ont rejeté en argumentant que ce sera donner une prime à l’incompétence. Ce ne sera pas le cas si la mise en place de la transition devrait donner lieu à un réaménagement des pouvoirs dans lequel IBK devra renoncer à certaines de ses prérogatives. Sauf qu’il n’est pas sûr que ce dernier accepte de se voir dépouiller de ses compétences. C’est pourquoi, avec son premier ministre, il semble être plutôt dans la logique de ça passe ou ça casse.

Mahaman Ousman DIAWARA

Source: Le Pays

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