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L’avenir politique au Mali : LA TRAGIQUE RANÇON DES ANOMALIES

En analysant les événements survenus au Mali au cours de ces vingt derniers mois, on pourrait très facilement bâtir une théorie sur la progression par électrochocs. Depuis le 22 mars 2012, notre pays a en effet enregistré une série d’épisodes brutaux et inattendus qui chaque fois qu’ils survenaient l’ont obligé à ouvrir les yeux sur des phénomènes devenus inacceptables et à chercher en lui la force de progresser.

soldats armee malienne nord-mali

Ce cycle très particulier avait eu comme élément déclencheur la mutinerie du camp de Kati qui, pour n’avoir rencontré aucune résistance, évolua en coup d’Etat et marqua la fin prématurée du mandat du président Touré. Nos compatriotes espéraient alors tourner la page de réalités qu’ils ne supportaient plus, mais sans avoir aucune assurance sur ce que l’avenir leur réservait. Le second événement dans la chronologie des traumatismes nationaux aura été l’agression perpétrée le 21 mai 2012 contre le président de la République par intérim, Dioncounda Traoré. Elle obligera le pays entier à s’interroger sur les lignes rouges qui avaient été franchies au cours des semaines précédentes et amènera un retour quasi général sinon à la raison, du moins à un relatif apaisement. La majorité des acteurs publics admettront en effet à ce moment là le caractère incontournable de la Transition, aussi imparfaite que s’annonçait celle-ci.

Le troisième électrochoc a eu lieu à Konna le 10 janvier de la présente année quand la colonne des djihadistes avait fait sauter le verrou mis en place par l’armée malienne et s’était ouvert la route vers le Sud. Ce fut sans doute ce jour là que notre peuple prit la véritable mesure du péril qui menaçait la nation et abandonna l’illusion d’une reconquête basée sur nos uniques capacités. La quatrième secousse date du 30 septembre dernier quand des soldats mécontents avaient pris les armes pour faire entendre leurs revendications et se faire entendre de leur ancien mentor, le général Sanogo. La réplique ferme des autorités avait fait coup triple. Elle avait rapidement neutralisé une agitation qui avait échoué à faire tache d’huile, mis fin au bicéphalisme de fait qui s’était installé au sommet de l’Etat depuis la Transition et déclenché l’ouverture d’enquêtes judiciaires sur des faits de violence perpétrés contre des éléments de l’Armée.

 

LA VRAIE ET TERRIBLE REALITÉ. L’assassinat de nos confrères de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, constituent, à notre avis, un cinquième traumatisme dont la gravité et la portée sont comparables à celles des événements cités plus haut. Car il touche deux questions fondamentales pour l’avenir que nous sommes en train de construire, la souveraineté pleine et entière de notre pays et le rétablissement de la sécurité au Nord du Mali. Ces deux questions s’incarnent de manière polémique dans la situation à Kidal et le tragique événement survenu le 2 novembre dernier doit permettre que des réponses claires soient données à des questions jusqu’ici effleurées ou esquivées. Cette démarche avait d’ailleurs été entamée par le président de la République quand il qualifiait d’ « inadmissible », d’ « insoutenable » et d’ « intolérable » ce qui se passait dans la capitale de la 8ème Région.

Car Kidal est aujourd’hui une enclave jouissant de fait d’un statut particulier. Ni tout a fait hors de la République, puisque un gouverneur y est installé, l’administration y est partiellement revenue et l’Armée y stationne un peu moins de deux cents hommes. Ni cependant entièrement dans la République puisque le MNLA y a réquisitionné les bâtiments du gouvernorat en y faisant flotter son drapeau, les mouvements armés se sont approprié symboliquement de la gestion de certains check points, ils gèrent l’antenne régionale de l’ORTM et ils intimident physiquement ceux des habitants attachés à leur statut de Maliens.

Cet état de fait dure depuis plusieurs mois et se perpétue à travers une application déséquilibrée des accords de Ouagadougou. L’armée malienne est astreinte à une application stricte des engagements pris. Pour le moindre de ses mouvements, que ce soit pour une patrouille ou pour simplement son approvisionnement, elle est contrainte d’informer d’avance la Minusma avec laquelle elle doit effectuer tous ses déplacements. Elle est en outre « incitée » à s’abstenir de toute initiative qui pourrait être interprétée comme une provocation par l’autre partie. Celle-ci, par contre, s’octroie une entière liberté de mouvement en prétextant que les installations dans lesquelles elle aurait dû être cantonnée n’existent pas, alors qu’ils étaient prévus par Ouagadougou.

Les accords signés au Burkina Faso avaient eu la préoccupation légitime d’éviter toute éventualité de friction entre les forces armées et de sécurité du Mali et les mouvements armés. Mais dans la réalité, ils ont abandonné au MNLA et au HCUA la possibilité d’imposer leur propre interprétation du document et surtout d’installer dans l’esprit des populations la certitude qu’ils étaient devenus les maîtres de Kidal. Les deux mouvements ont d’autant plus pris leurs aises qu’ils avaient habilement su faire accepter à certains de nos partenaires extérieurs une double assurance : celle qu’ils tenaient la Région abusivement désignée comme leur fief et celle qu’ils pouvaient agir en faveur de la récupération des otages européens. La libération des quatre otages d’Arlit était venue temporairement conforter cette thèse. Le sort final des prisonniers se serait en effet négocié sur le territoire de Kidal et aurait bénéficié de l’implication supposée de Iyad Ag Ghali que l’on sait être revenu dans la zone.

Mais la double exécution de nos confrères a mis à nu la vraie et terrible réalité, celle qui est constatable depuis plusieurs semaines, mais qui n’avait encore fait l’objet d’aucune forte condamnation : la ville de Kidal est devenue ce qu’était le Nord du Mali au moment où il est tombé entre les mains de djihadistes et de narcotrafiquants, c’est à dire une zone de non droit. Les obstacles dressés au retour de l’administration et des services déconcentrés laissent les citoyens sans interlocuteurs institutionnels et retardent les actions de l’Etat en faveur des populations. Les procédures imposées à l’armée malienne lui interdisent tout acte efficace de sécurisation de la ville. La timidité de réaction de la Minusma encourage la multiplication de comportements agressifs à l’égard de toute délégation venant de Bamako. La dissuasion déclenchée contre la Banque malienne de solidarité récemment réinstallée a refroidi les sociétés et services qui avaient programmé leur retour en 8ème Région.

 

LE STATU QUO N’EST PAS TENABLE – Les groupes armés se satisfont largement de ce vide socio-économique et institutionnel. En effet, un retour à la normale révélerait rapidement toutes leurs lacunes d’organisation et également leur faiblesse militaire. Ils ne se préoccupent guère des effets collatéraux de la situation qu’ils ont installée. Ils ne disposent  d’ailleurs pas de la capacité de neutraliser les phénomènes qui se développent en dehors de leur influence. Ces phénomènes sont connus. C’est le retour à visage découvert d’éléments d’Ançar Dine qui réintègrent la ville avec armes et équipements ou qui refont surface après s’être mis en sommeil. C’est aussi l’infiltration des djihadistes pour qui Kidal redevient une base d’opération, comme celle montée samedi dernier et qui ciblait très précisément la France. La signature terroriste ne fait aucun doute, comme le soulignait le ministre Soumeylou B. Maïga : violence extrême de l’acte, audace dans l’exécution de l’opération (l’enlèvement des journalistes s’est fait au centre de la ville) et recherche du retentissement médiatique maximum. Les motivations de l’assassinat et leurs auteurs restent encore à préciser au cours des prochains jours. Mais déjà la nécessité de prendre des contre-mesures par rapport à la situation qui prévaut à Kidal s’impose.

La presse française, relais de l’émotion éprouvée aussi bien par les professionnels que l’opinion publique, a déjà livré son diagnostic : le statu quo n’est pas tenable, car il est pour beaucoup dans la mort des deux journalistes. Que lui substituer ? La réponse appartient aux deux pays concernés au premier chef, la France et le Mali. Notre pays a déjà sa réponse prête et la partagera très bientôt avec ses partenaires internationaux. Mais il est évident que continuer à singulariser à l’extrême le traitement de la situation à Kidal serait la pire des solutions. Car elle laisserait intactes les racines de toutes les anomalies qui font de la capitale de la 8ème Région tout à la fois une poudrière et une bombe à retardement. Une poudrière puisqu’en plus du retour constaté des terroristes y sont réunis toute les antagonismes réels ou suscités qui ont alimenté les différents conflits au Nord depuis 1963. Une bombe à retardement, car la prééminence artificielle des mouvements armés suscitée par l’application déséquilibrée des accords de Ouagadougou ne saurait perdurer et une reprise en main par l’Etat est inévitable. Car ces mouvements se sont octroyé un rôle qu’ils n’ont ni la prérogative, ni la vocation et encore moins la capacité de remplir.

Le dernier traumatisme survenu dans notre Septentrion donne l’occasion de poser une fois de plus les bonnes questions et surtout d’attendre les vraies réponses. Il ne s’agit pas de stigmatiser une partie. Mais de lui faire admettre qu’elle applique une ligne tactique vaine et dangereuse. Que le choix d’être dans la République (ainsi que le consacre la participation de plusieurs des responsables des mouvements armés aux futures législatives) n’autorise plus l’ambigüité. Qu’un point de non-retour a été atteint qui oblige ceux qui s’acceptent Maliens à aider en toute loyauté la nation à récupérer son entière stabilité. Nos collègues sont morts au service de la liberté d’informer, qui selon le mot très juste du responsable de Reporters sans frontière permet de « vérifier l’existence des autres libertés ». Le seul hommage qui pourrait être véritablement rendu à leur mémoire est de prouver que la tragique alerte lancée par leur mort a été bien entendue.

G. DRABO 

 

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