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L’avenir politique au Mali : ENTRE DEUX CHAISES

La société civile malienne ne s’est pas encore donné une vraie influence sur les grands dossiers. A deux grandes exceptions près

 

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Quand au tout début des années 1990 il leur avait été demandé avec insistance de changer de cap en prenant dans leurs voiles le fameux vent d’Est, la plupart des pays africains avaient réagi avec pragmatisme : ils sont entrés en démocratie ainsi qu’on les y avait incités, mais en empruntant divers raccourcis. Dont le plus commode consistait à récupérer les schémas occidentaux pour les accommoder aux réalités nationales. Le procédé était des plus discutables, mais les « inspirateurs » internationaux ne s’étaient pas montrés trop regardants sur cette forme de malice. Leurs injonctions ayant été entendues, que leur importait alors la voie suivie si au bout du compte le cahier de charges énumérant les transformations indiquées était respecté. La même mansuétude vis-à-vis de l’évolution des démocraties africaines s’observe aujourd’hui. Qu’importe si de nombreuses formations au pouvoir ont renoué avec certaines pratiques de parti unique pourvu que le multipartisme ne soit pas remis en cause. Qu’importe que les résultats des élections soient régulièrement contestés et génèrent de longues périodes d’instabilité du moment que les observateurs internationaux ont donné leur quitus, laissant ensuite les protagonistes bâtir l’apaisement sur des arrangements brinquebalants.

Qu’importe si les institutions mises en place soient faiblement représentatives du pays réel si leur fonctionnement formel se déroule selon les rituels exigés. Qu’importe si la multiplication des crises sociales reflète une alarmante surdité aux alertes venues d’en bas pourvu que rien ne soit venu officiellement remettre en cause la liberté d’expression et l’existence des supposés contrepouvoirs. A force de fermer les yeux sur les incongruités les plus flagrantes, il arrive qu’un Etat africain paie un très lourd tribut aux raccourcis utilisés. C’est le cas aujourd’hui en République Centrafricaine. Aucune figure politique connue (mêmes celles présentées comme des personnalités de recours) ne peut se prévaloir d’une réelle crédibilité et d’une audience nationale. Le Comité national de la transition, instance législative provisoire, est si peu considéré qu’il a enregistré la froide exécution de l’un de ses membres. Même la présidente Catherine Samba Penza, dont les qualités étaient unanimement louées par les dirigeants de parties en conflit, n’a pu faire entendre ses appels à la raison et au calme. Il a fallu que le patron de l’opération Sankaris fasse une véritable déclaration de guerre aux anti-balakas pour qu’une fraction de ceux-ci consente enfin à baisser pavillon.

UN PÉCHÉ ORIGINEL. Certes, la Centrafrique constitue un cas extrême. Mais l’erreur serait de considérer ce dernier comme unique, alors qu’il peut se répliquer ailleurs sous une forme plus ou moins atténuée. La manière dont le Soudan du sud se disloque est à cet égard significatif. Le plus jeune Etat du monde n’avait pu pourtant pas manqué de puissants protecteurs pour le parrainer. Ceux-ci ont littéralement contraint la communauté internationale à reconnaître l’indépendance de leur protégé qu’ils ont en toute hâte habillé des attributs d’une nation souveraine. Les parrains avaient cependant négligé de neutraliser deux contradictions potentiellement mortifères : les contentieux nés d’un long passé d’opposition tribale et la fragilité de la cohabitation des deux leaders – Salva Kiir et Riek Makar – irrémédiablement concurrents. Aujourd’hui, les négociateurs internationaux s’épuisent à trouver la formule magique qui ramènerait ne serait-ce un calme provisoire dans ce qui avait reçu la dénomination de République, mais qui n’était qu’un territoire.

A l’inverse de ces tragédies, il existe d’autres situations dans lesquelles emprunter un raccourci ne constitue pas une faiblesse rédhibitoire pour une démocratie africaine. A condition d’accepter assez vite l’existence de cette lacune et d’avoir la volonté politique d’y porter remède. Chez nous au Mali, l’une des grandes questions qui se pose de manière récurrente est celle de l’existence, du poids et de l’influence de la société civile. Cette dernière souffre sans doute d’un péché originel dont elle n’a jamais pu se libérer entièrement, celui de sa participation à l’exercice du pouvoir juste après la victoire de la Révolution de mars 1991. En effet, le 27 mars les putschistes prononcèrent la dissolution du Comité de réconciliation (CRN) dans lequel siégeaient uniquement des représentants des forces armées et de sécurité pour lui substituer le Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP).

Au sein de ce dernier qui comprenait 25 membres, les auteurs du coup d’Etat s’étaient réservé dix places, deux revenaient aux mouvements armés opérant au Nord du Mali et les treize autres avaient été répartis entre les composantes de ce qui serait baptisé un peu plus tard le Mouvement démocratique. Parmi celles-ci, se trouvaient aussi bien les associations dites politiques qui s’étaient portées les premières sur le front de la lutte pour le multipartisme (l’Adema  et le CNID en particulier) que les organisations estudiantine (l’AEEM), de jeunes, de défense des droits de l’homme, le Barreau malien et l’unique centrale syndicale de l’époque. Toutes se sont donc retrouvées dans l’organe législatif de la Transition qui fort de sa légitimité historique supervisait de fait l’action du gouvernement.

Ce scénario a-t-il constitué une erreur ? A notre avis, non. Au regard du contexte de l’époque, il était logique d’instaurer une distinction de missions entre un organe « idéologique » (le CTSP) veillant au respect des attentes nées des évènements de Mars et un gouvernement de « techniciens » affectés aux urgences que constituaient la reconstruction économique et l’organisation des élections, le rôle de passeur entre les deux étant assuré par le président du CTSP, Amadou Toumani Touré, qui faisait aussi fonction de chef de l’Etat. Après le 8 juin 1992 (date de l’entrée en fonction du président Konaré), le plus difficile pour la société civile fut non pas de revenir à sa fonction naturelle de contrepouvoir et de voix alternative. Mais d’exercer cette fonction avec pondération et constance, sans nourrir la nostalgie de sa position privilégiée antérieure.

UN MEETING REMARQUÉ. Remplacer l’exercice du pouvoir par le pouvoir de l’influence ne fut donc pas un virage facile à prendre pour tous. La reconversion fut mal assumée par l’Association des élèves et étudiants du Mali qui pour imposer ses points de vue multiplia pendant deux ans les actions très dures au point d’amener la fermeture de tous les établissements scolaires le 15 mars 1994, fermeture suivie d’une réouverture partielle le 11 avril assortie toutefois d’une interdiction de présence de l’Association dans l’enseignement fondamental, là où se recrutaient les bataillons de la dénommée « Armée rouge ». Le bras de fer AEEM-autorités délivra un enseignement essentiel, celui des limites de la société civile dans le dénouement des situations de crise. En effet, des associations des parents d’élèves aux personnalités religieuses, les intercesseurs ne manquèrent pas. Mais leurs démarches n’aboutirent à aucun compromis. D’où la mesure radicale adoptée finalement par le gouvernement.

La société civile dut concéder un deuxième aveu d’impuissance en 1997 après le fiasco dans l’organisation des législatives par la CENI. Fiasco qui amena une réaction radicale de l’opposition, celle-ci exigeant notamment la démission du gouvernement et la dissolution de l’Assemblée nationale. Les intercesseurs, tout comme dans la crise scolaire, ne purent endiguer le durcissement des antagonismes (marches violentes du côté des opposants, interpellation des leaders du Collectif des partis de l’opposition du côté gouvernemental). Armés de leur seule bonne volonté, peu au fait des enjeux politiques, ne maîtrisant pas les codes des relations partisanes, les démarcheurs de la société civile échouèrent à produire un schéma de sortie de crise acceptable par les deux camps.

Ces deux exemples montrent bien que la société civile peine à peser sur les grands dossiers politiques et sociaux lorsque ses représentants s’aventurent hors de leur champ de compétence et lorsqu’ils ne peuvent pas accompagner leurs interventions par une démonstration de force. Dans la crise scolaire des années 1990 par exemple, le seul fait notable à mettre à l’actif des associations de parents d’élèves a été la création dans certaines villes de l’intérieur du Mali de brigades de protection qui s’opposèrent aux sorties intempestives des très jeunes élèves. En contrepoint de ces interventions improductives, on trouve en 2001 la mobilisation impressionnante de l’Association des femmes musulmanes lors d’un meeting remarqué au palais de la Culture. L’événement avait valeur d’avertissement et il amena le gouvernement à reporter la présentation d’un projet de loi sur la réforme du Code du mariage et de la famille. Le texte avait pourtant franchi les étapes successives des concertations locales et régionales et celle de la synthèse nationale. Etapes qui auraient dû en principe garantir un débat inclusif sur ce dossier.

LA FORCE DE PERSUASION ÉRODÉE. Le retour du même texte neuf ans plus tard et son adoption par l’Assemblée nationale ont amené l’irruption massive des associations islamiques dans la vie publique, irruption conclue par un meeting mémorable au stade du 26 Mars. Le texte contesté a été soumis à un nouvel examen par le Parlement et la mouture consensuelle finalement obtenue aurait été certainement promulguée si la brutale dégradation de la situation au Nord du Mali n’avait pas bouleversé l’ordre des priorités nationales. Deux points sont à noter sur ce dossier. Le premier est que les responsables des différentes associations religieuses ont insisté sur le fait que le recours à la rue est venu après des démarches infructueuses effectuées tant au niveau de l’Assemblée nationale qu’à celui de l’Exécutif. Deuxième point à relever, les associations féminines qui accueilli le nouveau Code comme une importante avancée pour les droits des femmes et qui s’apprêtaient à engager un plaidoyer pour l’abolition de l’excision n’ont jamais pu s’organiser pour donner une réplique proportionnée à la mobilisation des adversaires du texte.

Ce dernier constat met en lumière une réalité qui s’est imposée au fil des ans. Dans notre pays cohabitent une société civile mise en valeur par ses relations avec la sphère médiatico-politique et une autre qui n’accroche pas la lumière, mais qui s’avère sans doute plus vivace. Dans une ville comme Bamako, cette « deuxième » société civile se retrouve dans des regroupements de personnes pratiquant les petits métiers (vendeuses, négociants, différents corps de l’artisanat) qui entretiennent une réelle solidarité entre elles, se donnent habituellement des leaders à l’autorité morale indiscutable et qui cultivent une vraie discipline dans les actions menées en commun. Certaines de ces associations (auxquelles les partis s’intéressent désormais) ont fourni au candidat Ibrahim B. Keïta les contingents électoraux les plus dévoués lors de la présidentielle.

La « haute » société civile, interlocuteur habituel des institutions de la République affronte, quant à elle, le problème de la qualité d’implantation de ses représentants. Sa légitimité n’est donc pas toujours aisée à établir. Mais dans certains cas, elle est suffisamment évidente. Dans les années 1990 le gouvernement s’était largement reposé sur les leaders des différentes communautés du Nord du Mali pour gérer l’après-conflit et réussir la réconciliation nationale. Aujourd’hui, ces personnalités – ou leurs successeurs – sont toujours là. La question qui se pose cependant concerne l’étendue du crédit dont elles disposent encore. Leur honorabilité n’est pas en cause, mais leur force de persuasion a été érodée par un certain nombre de facteurs accumulés au cours de la double décennie écoulée. Des facteurs qui vont des mutations sociologiques intervenues entretemps au durcissement des contentieux locaux en passant par les bouleversements amenés par les djihadistes et les narcotrafiquants.

Pourtant le recours à ces intercesseurs est incontournable. Tout d’abord, parce qu’ils possèdent une connaissance affinée des réalités du terrain qui manque à la plupart des services officiels. Ensuite, parce qu’ils peuvent remonter aux décideurs des nécessités que les groupes armés ne traiteront probablement pas en priorité. Tel est le double message qu’ont voulu transmettre ces derniers jours Tabital Pulaaku et Al-Carama.  La première a voulu, au-delà du drame de Djebock, souligner l’extrême inflammabilité d’un territoire miné par les contentieux non traités, territoire que l’Etat doit reprendre en main avec fermeté et impartialité. La seconde, lasse des querelles de positionnement au sein du Mouvement arabe de l’Azawad, ambitionne de faire entendre les voix étouffées des populations éreintées par la précarité, l’insécurité et l’exil.

Ces deux associations sauront-elles se doter d’une vraie influence et conduire leurs actions de plaidoyer et de clarification sur la durée ? Ou – comme le font malheureusement beaucoup – ne se manifesteront-elles uniquement lorsque l’actualité les y incitera ? Car là réside l’une des grands faiblesses de la majorité des représentants de la société civile. Leur agenda est trop fréquemment calqué sur celui du politique et du gouvernement qui donnent alors l’impression de les satelliser. Or, et l’épisode du Code de la famille l’a bien montré, l’envergure d’un acteur de la société civile se construit sur la capacité à produire l’événement. Et non sur l’aptitude à le commenter.

G. DRABO

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