Alors que certains Etats africains assouplissent leurs mesures de protection contre le coronavirus, l’épidémie est loin d’être terminée en Afrique. Selon de nouvelles estimations de l’OMS, près de 190 000 personnes pourraient mourir de Covid-19 cette année sur le continent si la maladie n’est pas maîtrisée.
L’augmentation exponentielle de cas de coronavirus en Afrique, tant redoutée et mainte fois annoncée par les spécialistes du monde entier, n’a finalement pas encore eu lieu. Selon une nouvelle étude du Bureau régional de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour l’Afrique, on observe ainsi « un taux de transmission plus lent, un âge plus bas des personnes atteintes de formes graves et des taux de mortalité plus faibles que ceux observés dans les pays les plus touchés du reste du monde». L’OMS explique ces différences par «des facteurs sociaux et environnementaux qui ralentissent la transmission, et à une population plus jeune ayant bénéficié du contrôle des maladies transmissibles telles que le VIH et la tuberculose, qui les rend moins vulnérables. »
Le Burkina rouvre les lieux de culte
Ainsi sur tout le continent, le Centre pour la prévention et le contrôle des maladies de l’Union africaine compte à ce jour à peine plus de 2000 morts depuis le début de la crise alors que le Covid-19 a fait 270 000 victimes dans le reste du monde. Face à ces chiffres encourageants et surtout avec des économies exsangues et une population pauvre, qui vit au jour le jour et qui souffre de plus en plus des restrictions adoptées pour lutter contre le virus, beaucoup d’Etats commence à relâcher la pression.
Au Burkina Faso, les lieux de culte sont rouverts et les transports en commun ont pu à nouveau circuler. Au Cameroun, pays francophone sub-saharien le plus touché avec près de 2300 cas et une centaine de décès, les bars et restaurants ont rouverts en soirée. Mais le docteur Yap Boum, professeur de microbiologie à Yaoundé, représentant régional de la branche recherche et épidémiologie de Médecins sans frontières (MSF) estime que la fin de ces restrictions envoie un mauvais message à la population : « on est très loin du pic de l’épidémie (ndlr : c’est à dire le moment où le virus sera le plus répandu et où le nombre de cas sera le plus élevé), cette levée du confinement nous fait penser qu’on va se retrouver avec une augmentation fulgurante du nombre de cas. »
« Le plus dur est encore à venir »
En Afrique du Sud, pays le plus touché du continent avec 8 232 cas et 161 décès, un confinement strict en place depuis le 27 mars, a aussi été assoupli cette semaine, permettant à des centaines de milliers de personnes de reprendre le travail et de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer une levée totale du confinement.
Coronavirus: l’Afrique face à la pandémie le vendredi 8 mai
Pourtant, « le plus dur est encore à venir » a également prévenu cette semaine le président sud-africain, Cyril Ramaphosa. Car même si des mesures très strictes, mises en place depuis le 27 mars, ont permis d’éviter une explosion de cas, médecins et scientifiques s’accordent à dire que la crise sanitaire est loin d’être passée. Depuis une semaine, la courbe des nouvelles infections s’est en effet accélérée, avec 300 nouveaux cas par jour. Selon le professeur Salim Abdool Karim, membre du comité consultatif du gouvernement « une baisse n’est pas possible, nous n’avons pas d’immunité contre ce virus, pas de vaccins. La question est : à quelle vitesse est-ce que le nombre de cas augmente ? C’est cela que nous essayons de contrôler. » Selon lui, le pic épidémique devrait avoir lieu entre fin juillet et début septembre. L’objectif est donc de gagner du temps afin de ne pas déborder les hôpitaux, et pouvoir se préparer pour les semaines à venir.
Le professeur Michel Yao, responsable des opérations d’urgence pour l’OMS Afrique à Brazzaville, le confinement fonctionne en effet, mais il doit surtout « permettre la mise en place de moyens de détection, de confirmation et de prise en charge des malades ». Hors selon lui, à l’heure actuelle, nombre de pays n’ont pas « mis en œuvre ces moyens à une échelle décentralisée » par manque de moyens et à cause des difficultés d’importer du matériel.
Ainsi, même en tenant compte des spécificités sociales, sanitaires et environnementales du continent, une nouvelle modélisation de l’OMS estime que « 83000 à 190 000 personnes en Afrique pourraient mourir du Covid-19 et 29 à 44 millions pourraient être infectées en 2020 si les mesures d’endiguement échouent ».
Des zones isolées touchées au Sahel
Au Sahel, le nombre de cas continue également d’augmenter, notamment au Mali au Burkina Faso et au Niger. Au Mali, la pandémie commence même à atteindre des zones isolées, en guerre contre les groupes terroristes. Les premiers cas ont ainsi été recensés cette semaine la région de Mopti dans le centre du pays. Une zone où les services sociaux de base sont inexistants et où des villages entiers vivent sous le joug des djihadistes.
En plus de l’isolement d’une grande partie de la population dans les villages éloignés des centres urbains, le problème reste la faiblesse des systèmes sanitaires. Une enquête de l’OMS sur les services de santé entreprise en mars 2020 « a révélé qu’il y avait en moyenne neuf lits d’unité de soins intensifs par million d’habitants ». Ces chiffres seraient « terriblement insuffisants » selon l’organisation, qui déplore aussi que « de nombreuses personnes n’auraient même pas la possibilité d’accéder aux soins nécessaires ».
« Tester, retracer, isoler et traiter… »
En République démocratique du Congo, le chef de l’Etat Felix Tshisekedi a ainsi été interpellé par des patients et des soignants, se plaignant, comme dans d’autres pays, de masques non-adaptés, de fournitures insuffisantes, et de salaires médiocres par rapport aux risques encourus. Autre exemple au Cameroun, des équipes d’intervention et d’investigation rapides ont été déployées par le gouvernement, mais elles manquent de moyens, humains, financiers, matériels pour travailler efficacement. Les soignants ont ainsi manifesté samedi 2 mai devant le Centre national des opérations de santé publique à Yaoundé pour demander le paiement de leur salaire.
Autre défi : la lutte contre d’autres maladies qui pourrait être ralentie par la priorisation en faveur du Covid-19. Le paludisme bien sûr, mais aussi la rougeole. Selon l’OMS, 117 millions d’enfants dans le monde pourraient manquer leur vaccination contre la rougeole dans les prochains mois. Médecins sans frontières a alerté cette semaine sur la nécessité de poursuivre les campagnes de vaccination au Tchad, en Centrafrique et en RDC.
La Centrafrique ayant même déclaré un état d’épidémie fin janvier après une explosion de cas jamais vue depuis deux décennies selon le ministère de la santé.
Le Dr Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique rappelle donc que « le Covid-19 pourrait faire partie de nos vies au cours des prochaines années si de nombreux gouvernements de la Région n’adoptent pas une approche proactive. Nous devons tester, retracer, isoler et traiter ». Profiter de ce temps gagné pour mieux se préparer.
Par: Rfi.fr