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La transition au Mali : Pour qui et pourquoi ?

« Chaque génération, dans une relative opacité, doit découvrir sa mission et la remplir ou la trahir. » (Frantz Fanon).

 

Le gouvernement de transition tant attendu est finalement formé lundi le 5 octobre 2020. Pour certains, les hommes et les femmes qui forment le gouvernement de Moctar Ouane inspirent confiance quant à une transition réussie. Par contre, pour d’autres, le gouvernement ainsi formé ne peut traduire dans les faits les aspirations profondes et légitimes de notre peuple travailleur. Le temps se chargera de départager ces deux positions nettement tranchées. Pour l’heure, il faut faire des constats et jouer sa partition.

Pour ainsi dire. Le premier constat qui se dégage de la formation de ce gouvernement, c’est qu’il est indéniablement pléthorique. Cet état de fait porte le risque majeur de créer les conditions réelles de la dilapidation de l’argent du contribuable malien sans que celui-ci  voit traduites dans ses faits ses aspirations les plus profondes à savoir : une nourriture décente pour les masses laborieuses, des soins de santé décents, des logements décents, le retour d’une identité culturelle digne d’envi, une sécurité décente et une école devant fonder l’avenir de notre peuple. Un gouvernement de 25 membres est pour le moins budgétivore au regard de leur traitement salarial et leurs primes de responsabilité dont notre pays doit se passer à un moment où le peuple malien manque du minimum vital. En tout cas, rien ne présage que ce gouvernement donnera la priorité au mieux-être économique de ce peuple travailleur à l’absence d’un plan de développement national autre que celui que l’on connaît depuis l’ère Moussa Traoré. Tout porte à croire que l’on continue à compter sur l’extérieur pour refonder le Mali. Il y a là une illusion grossière car comme on le voit déjà, les responsables de la transition mettent en avant la nécessité d’éviter à notre peuple des souffrances inutiles. Mais pour qui connaît déjà les conditions réelles de vie de notre peuple, l’on ne peut voir d’autres souffrances et privations plus dures que celles endurées jusqu’ici après la chute du régime nationaliste de Modibo Keïta. La 2e et la 3e Républiques ont tout simplement créé toutes les conditions de dépendance extérieure de notre pays : avec environ un million sept cents milles hectares (1 700 000 ha) de terres cultivables de l’Office du Niger, notre pays est essentiellement  tributaire du riz, de l’igname, du blé, du manioc, des agrumes de l’étranger. Pourtant cet office est créé en 1932 par le colonisateur français pour nourrir toute l’Afrique occidentale ! Le Mali exporte du bétail et dans le même temps, la viande coûte plus chère chez nous que chez les acheteurs de ce bétail malien.  A l’absence d’une politique économique révolutionnaire totalement à l’opposé de celle que nous connaissons depuis maintenant plus de cinquante ans, tout espoir d’indépendance économique réelle est une utopie. Edgar Pisani disait à juste titre : « Rejeter la dépendance économique et l’aliénation culturelle, c’est n’importer que le strict nécessaire. Un meilleur équilibre général suppose la réduction du train de vie des mieux pourvus. » La manne financière qu’entraînera l’entretien de vingt- cinq ministres ne présage nullement de l’austérité économique nécessaire à la refondation du Mali. Autrement dit, si la transition veut réussir sa mission, il faut absolument une réduction drastique du train de vie de l’Etat et des plus nantis comme les anciens présidents de la République, les anciens Premiers ministres. A combien s’élèvera le traitement mensuel des 121 membres du Comité national de transition (CNT) ? Allez en savoir ! En mettant en avant le poids de l’embargo de la CEDEAO contre notre pays, visiblement les militaires qui ont suscité l’espoir en des millions de Maliens baissent ainsi les armes de la fibre patriotique nécessaire à la refondation du Mali. Comme on le sait, toute vraie refondation nécessite des privations, des sacrifices à la mesure de la mission.

Notons en passant que la laïcité de l’Etat telle que promise par la Chatre de la transition ne saurait s’accommoder de la place de choix qu’on accorde actuellement au religieux. L’une des fautes de la 3e République a été de s’être appuyée sur les religieux pour mener le jeu politique dans notre pays. Si l’on ne prend garde, la transition suivra le créneau politique de la 3e République. Les politiciens en mal de crédibilité et donc incapables de mobiliser la moindre mouche se sont mués en religieux ‘’bon teint’’ pour escroquer les consciences nationales.

Dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, la transition vient de faire un premier faux pas en libérant près de deux- cents présumés djihadistes contre la libération du président de l’Union pour la République et la démocratie Soumaïla Cissé, mais surtout de la Française Sophie Petronin. Loin de nous ici la moindre idée de désapprouver la libération de notre frère Soumaïla Cissé qui a déjà mouillé le maillot dans le jeu politique malien, tout le problème est de savoir combien de victimes maliennes faites par les 200 dijadistes (aujourd’hui libérés) et quel tort causeront-ils encore à nos paisibles populations et à nos forces de défense et de sécurité. Une fois encore, tous les Maliens se réjouissent de la libération de l’honorable député Soumaïla Cissé. Nos pensées pieuses vont à l’endroit de son garde du corps tué au cours de la tragédie de l’enlèvement de notre compatriote Cissé. Que Dieu soit loué ici ! Que quelqu’un qui ne se reconnaissait pas Malien redevienne Malien, c’est bien !

Par ailleurs, la refondation du Mali passe aussi nécessairement par celle de son système éducatif national. Le moins que l’on puisse dire aujourd’hui, c’est que l’école malienne est à l’agonie depuis maintenant des décennies, agonie due non seulement au tripatouillage des innovations  pédagogiques, mais aussi à l’intrusion de la politique politicienne dans l’espace scolaire, sans oublier un seul instant les multiples grèves des enseignants et des scolaires.

Pour nous résumer, le système de gestion des affaires que l’on vit depuis la naissance de la 3e République risque de se pérenniser au Mali que l’on prétend pourtant refonder. Pour nous, la pratique est le seul critère de vérité.

Les Maliens doivent se convaincre d’une chose : dans l’union bien pensée, ils peuvent redonner confiance au peuple travailleur du Mali. Comme pour dire qu’aucun problème n’est au-dessus de leur capacité de résolution lorsqu’ils sont confiants en eux- mêmes et déterminés à aller de l’avant, car le Mali ne deviendra que ce que les Maliens en feront. Thomas Sankara disait à juste titre : « L’on peut vaincre la faim, la maladie et l’ignorance dans le Sahel en cultivant la confiance en soi au sein des masses populaires, mobilisées au tour d’objectifs clairs et précis. »

Pour la refondation du Mali, il faut rompre avec la politique coloniale de la France en Afrique et donc avant tout au Mali. Pour ce faire, il appartient aux générations actuelles de s’assumer pleinement et entièrement face à l’appel du devoir. Le sieur Frantz Fanon n’a pas manqué de suggérer à la jeunesse africaine ce qui suit : « Chaque génération, dans une relative opacité, doit découvrir sa mission et la remplir ou la trahir. »

Que Dieu sauve le Mali !

Fodé KEITA

Inter De Bamako

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