En trois mois, depuis le 11 janvier, l’opération militaire française Serval a permis de restaurer l’intégrité territoriale du Mali. Lundi, l’Assemblée nationale et le Sénat voteront la prolongation de l’intervention, comme le réclame la constitution.
1 Quel est le bilan de l’intervention française ?
Face à l’avancée des jihadistes vers le sud, Bamako et ses 6 000 ressortissants français, le président de la République répond à l’appel à l’aide du gouvernement malien en décidant une intervention militaire le vendredi 11 janvier. L’opération était prévisible et préparée.
Quelques heures plus tard, les forces spéciales (1er RPIMA et hélicoptères du 4e RHFS en tête), prépositionnées au Niger, et l’aviation, basée au Tchad, se mettent au travail. Bientôt renforcées par des blindés légers de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire et divers éléments de l’alerte Guépard, mise en oeuvre par le commandement des forces terrestres, basé à Lille.
Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, définit alors quatre objectifs à l’opération Serval. Deux sont rapidement remplis : «enrayer la progression des groupes terroristes » ; «sécuriser Bamako pour protéger nos ressortissants et assurer la pérennité des institutions». Après d’incessants bombardements aériens et des combats terrestres, parfois de haute intensité, dans l’Adrar des Ifoghas au nord-est du Mali et dans la région de Gao, il faut trois mois pour conclure le troisième objectif : «frapper les bases arrières des groupes terroristes pour éviter qu’ils ne se ressourcent. » D’ultimes recherches sont en cours dans le nord-ouest désertique pour achever «la restauration de l’intégrité territoriale du Mali ».
En pleine rédaction du livre blanc de la défense et de la sécurité (attendu pour janvier et toujours pas livré) et au coeur d’un débat sur de nouvelles restrictions budgétaires, l’armée française prouve son efficacité opérationnelle, endurcie par dix ans de guerre en Afghanistan.
La mission sécuritaire est remplie mais Jean-Yves Le Drian nous disait dès février : «Au Mali, nous allons entrer dans la partie la plus délicate qui n’est pas tant militaire que politique. »
« Le terrain était préparé »
Thomas Flichy, professeur à Saint-Cyr, a dirigé la rédaction de Opération Serval au Mali, l’intervention française décryptée (éditions Lavauzelle).
– Pourquoi la France est-elle intervenue au Mali ?
« Si les forces spéciales et l’armée de terre n’étaient pas intervenues, nous aurions pu avoir 700 otages français à Bamako. Donc la décision s’est imposée d’elle-même. Après, les choses s’enclenchent avec une montée en puissance. Cette opération est intéressante car on voit que la France garde les pieds et des attaches dans cette région, avec des enjeux géopolitiques, pétroliers, miniers… »
– La France devait-elle s’engager seule ?
« On ne monte pas une coalition internationale en en quart d’heure. Le terrain était pour ainsi dire préparé avec des troupes prépositionnées en Afrique. Quel autre pays européen aurait été capable de le faire ? Ensuite, on s’engage. Avec la participation pour le transport, il faut le noter, d’autres pays européens et étrangers. »
– L’opération est-elle tombée à pic pour l’armée française, en pleine discussions budgétaires ?
« Effectivement. L’armée a montré qu’elle était capable de mener une opération d’envergure. Nos militaires sont habitués à partir en Afrique et l’intervention au Mali ne les a pas tellement surpris. Au-delà, c’est important pour la France, sa stature internationale, sa position et la protection de ses intérêts. »
– Combien de temps resteront les soldats français ?
« Un scénario d’ensablement existe mais il ne faut pas transposer avec l’Afghanistan. Il faut savoir quelle force sera capable de sécuriser le Mali très concrètement. Et quels seront les soutiens financiers ? Question essentielle en Afrique. »
2. Où sont passés les jihadistes ?
Les combattants islamistes ont d’abord perdu des centaines d’hommes, neutralisés par les armées française et tchadienne. Ils sont donc très affaiblis mais ils survivent dans le domaine du combat asymétrique, notamment par des attentats à Gao, Tombouctou et Kidal.
Des dizaines de jihadistes auraient fui le Mali dès le lancement de l’opération Serval. Ils auraient traversé le nord du Mali puis les massifs de l’Aïr au nord du Niger et du Tibesti au nord du Tchad, avant de se réfugier dans le sud libyen ou au Soudan. Même phénomène à l’ouest où des combattants du MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest) seraient retournés vers le Polisario et le Sahara occidental.
Malgé le blocus au nord de l’armée algérienne, des jihadistes ont pu passer les 1 376 km de frontières désertiques. Certains d’entre eux, comme le porte-parole d’Ansar Eddine, Senda Ould Bouamama (selon ses déclarations à une agence de presse mauritienne), se seraient rendus aux autorités algériennes en échange de l’abandon de leur soutien à AQMI.
Ban Ki-Moon, le secrétaire général de l’ONU, note dans son rapport au Conseil de sécurité début avril que ces fuites constituaient « une bombe à retardement ».
On ajoutera que des combattants islamistes sont repassés in extremis dans le camp touareg « fréquentable ». C’est-à-dire le MNLA (mouvement national de libération de l’Azawad) ou le MIA (mouvement islamiste de l’Azawad), un groupe dissident d’Ansar Eddine, officiellement plus apte à la négociation qu’au combat. Le pouvoir de Bamako observe ces groupes avec une certaine méfiance (euphémisme). Du coup, le retrait français est accueilli avec quelque craintes au Mali.
3. Vers une force française « antiterroriste » en soutien à une mission de stabilisation de l’ONU
La Mission intégrée des Nations-Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA, 11 200 hommes) doit se substituer cet été à la MISMA africaine (et intégrer ses 6 300 soldats). Portée par la France, une résolution du Conseil de sécurité va être adoptée.
«Notre présence sur le terrain diminuera à mesure que se renforcera celle de cette mission», explique le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, sur le pont depuis le 11 janvier. De plus de 4 000 hommes, au plus fort de l’offensive en mars dans l’Adrar des Ifoghas au nord-est du Mali, les forces françaises devraient progressivement diminuer jusqu’à 2 000 soldats à la fin de l’été et un millier en fin d’année.
Ce contingent appuiera la mission de l’ONU en cas de combats (pas la spécialité des Casque bleus…). Cette force « antiterroriste » est formée pour un an.
Mais elle pourrait durer en cas de résurgences jihadistes. À ce millier d’hommes, il faut ajouter les 150 formateurs (plus 90 pour la protection) de la mission européenne de formation de l’armée malienne et les 2 000 soldats environ, présents habituellement au Tchad, au Niger, en Centrafrique et en Côte d’Ivoire…
4. Réconciliation malienne et élections en juillet
Le pouvoir malien n’est qu’intérimaire depuis le coup d’État du capitaine Sanogo et la fuite du président Amadou Toumani Touré, en mars 2012 (putsch qui entraîna l’offensive jihadiste). Cette position délicate n’empêche pas la volonté affichée par le président Dioncounda Traoré et son premier ministre Diango Cissoko de «rétablir l’intégrité territoriale du pays et organiser des élections libres et transparentes », chapitre un de laFeuille de route pour la transition du 29 janvier 2013. Celle-ci prévoit le dialogue et la réconciliation avec les peuples du nord (une commission représentative est en place depuis le 10 avril) ; le retour de l’administration et des services au nord ; la restructuration de l’armée ; la préparation, puis la tenue d’élections.
Sous pression assez « schizo » de la France (éviter l’enlisement et l’accusation de perpétuer la « Françafrique »), des élections présidentielles se tiendraient en juillet (avec les législatives ?). C’est un tour de force quand vous avez 175 000 réfugiés (75 850 dans le camp mauritanien de Mbéra), 282 000 déplacés, une situation sécuritaire précaire, que vous devez redéployer l’administration, tenir des listes électorales (6 904 160 électeurs), remettre la nouvelle carte NINA (numéro d’identification nationale) et organiser la campagne.
5. Le Parlement vote la prolongation lundi
Le suspense est inexistant : la majorité est stable ; un consensus accompagne l’opération. L’article 35 de la Constitution prévoit que lorsqu’une intervention en territoire étranger «excède quatre mois, le gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement».
Ledit gouvernement a déjà annoncé qu’une force d’un millier d’hommes resterait au Mali, au moins pour un an. Les sénateurs Jean-Pierre Chevènement (RDSE) et Gérard Larcher (UMP), coprésidents du groupe Sahel et membres de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, ont aussi préconisé d’autoriser la prolongation. Dans leur rapport du 16 avril, voté à l’unanimité, ils appellent aussi à «consolider d’urgence le processus de réconciliation malien ». Les deux Chambres parleront donc de sécurité mais aussi d’élections au Mali, d’aide au développement… Et de la conférence internationale du 15 mai à Bruxelles, «Ensemble pour le Mali ».
– 10 janvier :
1 200 combattants islamistes prennent Konna et menacent de poursuivre vers le sud et la capitale Bamako, où résident des milliers de Français.
– 11 janvier :
le président de la République décide l’intervention française. Les forces spéciales, prépositionnées au Niger, et l’aviation au Tchad interviennent aussitôt.
– 12 janvier :
le lieutenant Boiteux, pilote d’hélicoptère, meurt entre Mopti et Sévaré.
– 17 janvier :
reprise de Konna ; les jihadistes évacuent les villes du nord.
– 26 janvier :
prise de Gao par les soldats français et maliens.
– 30 janvier :
les forces françaises et tchadiennes reprennent Kidal, un fief des insurgés au nord.
– 10 février :
attentats suicides et attaque d’un commando islamiste contre des soldats maliens à Gao. L’opération Serval monte à plus de 4 000 Français.
– 18 février :
opération de nettoyage par des militaires français et tchadiens de l’Adrar des Ifoghas, le massif montagneux du nord-est du Mali, considéré comme le sanctuaire des insurgés.
– 17 mars :
mort d’un cinquième soldat français dans l’Adrar des Ifoghas ; plusieurs centaines de combattants islamistes tués.
– 23 mars :
confirmation de la mort fin février d’un des principaux chefs d’AQMI, Abdelhamid Abou Zeïd.
– 2 avril :
début de la formation européenne pour la reconstruction de l’armée malienne.
– 9 avril :
début du retrait des troupes françaises.
L’INTERVENTION EN CHIFFRES
Opération Serval
L’acheminement de 4 000 hommes et 10 000 tonnes de matériel (un tiers transporté par des partenaires internationaux) a coûté 50 M€. On évalue le coût quotidien de l’opération entre 1,5 et 2 M€. Depuis le 9 avril, le désengagement s’amorce avec le retour des premières troupes aéroportées, puis de cinq avions (il reste six Rafale, trois Mirage 2000 D et trois ravitailleurs C135). L’objectif est de descendre à 2 000 soldats à la fin de l’été, puis à un millier pendant un an.
Cinq morts français
11/1 : lieutenant Damien Boiteux, 4e RHFS. 19/2 : sergent-chef Harold Vormezeele, 2e REP. 2/3 : caporal Cédric Charenton, 1er RCP. 6/3 : brigadier-chef Wilfried Pingaud, 68e RAA. 16/3 : caporal Alexandre Van Dooren, 1 er RIMA.
PAR OLIVIER BERGER / Par La Voix Du Nord