Après avoir tout le temps subi les arrestations, gardes à vue et expulsions de différents pays africains sans broncher, l’activiste Kémi Séba décide de passer à une autre étape de sa stratégie et de répondre à la violation de sa liberté de circulation. Et c’est par le Burkina Faso où il a été dernièrement arrêté, puis expulsé que l’activiste a commencé une offensive judiciaire, devant la Cour de justice de la CEDEAO.
Une semaine après son arrestation au Burkina Faso suivie de son expulsion au Bénin, Kémi Séba décide d’intenter une action en justice contre l’État burkinabè. Ce vendredi 6 novembre, en effet, les avocats de l’activiste franco-béninois ont saisi la Cour de justice de la CEDEAO aux fins de condamner le Burkina Faso pour détention arbitraire, atteinte à la liberté de circulation, à la liberté d’expression, au droit à la défense, et à la dignité humaine de leur client.
Dans la requête adressée à la Cour de justice de la CEDEAO, le collectif des avocats du président de l’ONG Urgences panafricanistes –Me Juan Branco du barreau de Paris, Me Cheikh Khoureysi Ba du barreau de Dakar et Me Prosper Farama du barreau du Burkina Faso– dénonce le traitement infligé à leur client, Kémi Séba, en violation flagrante des textes en vigueur au sein de la Communauté. «Dans le cadre d’une tournée internationale de conférences et de mobilisations contre le néocolonialisme organisée par l’association Urgences panafricanistes, M. Kémi Séba a donné une série d’allocutions publiques portant sur la question du néocolonialisme à travers le continent africain, sans qu’aucun incident ni violence n’ait jamais été signalé, malgré la présence d’un public en grand nombre», ont déclaré les avocats, dans leur plainte, avant de rappeler le contexte de la présence du leader panafricaniste en terre burkinabè.
Invité par la Coalition des patriotes du Burkina Faso (COPA-BF) pour prendre part à une grande manifestation contre le néocolonialisme français, Kémi Séba a d’abord pris «soin de s’enquérir de la régularité des conditions de sa venue. Il lui est répondu par les organisateurs que les autorités sont au fait de sa venue sur le territoire, et qu’un contact permanent avec celles-ci est établi». Mieux, l’arrivée de l’activiste en terre burkinabè a fait l’objet d’une annonce publique, le 18 octobre 2021. Dix jours plus tard, l’accueil chaleureux à lui réservé à l’aéroport de Ouagadougou par les militaires burkinabè finit de convaincre Kémi Séba de «la régularité de sa venue» au Burkina.
Une arrestation sans motif et une détention dans des conditions inhumaines
En dépit de l’accueil pour le moins chaleureux qui lui fut réservé à l’aéroport, Kémi Séba qui a, d’ailleurs accordé des interviews à Savane TV et 3TV, le vendredi 29 octobre, se fera arrêter dans la même journée. Le militaire qui l’interpelle, explique «que cette arrestation est le fait d’ordres qui lui ont été adressés par sa hiérarchie et refuse de lui en fournir les motifs, malgré les obligations procédurales qui incombent au militaire en une telle situation».
«Monsieur Kémi Séba et d’autres membres de l’urgence panafricaniste du Burkina Faso sont donc arrêtés et conduits en direction de la gendarmerie et de la police nationale de Boulkiemdé dans le département d’Aboi, à environ 100 km de Ouagadougou. Ils y seront gardés pendant 3 heures sans jamais que ne leur soit fourni de motif raisonnable à cette arrestation ni de document officiel notifiant la mesure garde-à-vue», fustigent les avocats de l’activiste.
Au sujet des conditions de détention de Kémi Séba, les avocats affirment : «À la suite de cette première détention, Monsieur Kémi Séba est isolé du reste des membres de son ONG et conduit à Ouagadougou dans un fourgon policier. Arrivé à Ouagadougou, il est détenu au service régional de la police judiciaire (SRPJ) dans le quartier de Wemtenga, dans une cellule ne répondant pas aux conditions d’hygiène requises pour assurer le respect de la dignité de la personne détenue.
Il sera gardé dans cette cellule 15 heures durant, du vendredi 29 octobre 2021 à 17h jusqu’au samedi 30 octobre 2021 à 8h du matin, dans des conditions indignes de détention. Ni signification de garde à vue, ni inscription de cette privation de liberté dans une procédure légale quelconque n’interviennent. Jamais les raisons de son arrestation ne lui seront communiquées. Ses besoins les plus primaires, en termes d’eau et de nourriture, ne seront pas assurés. Au sein de sa geôle, des dizaines de cafards l’enserrent. Les policiers chargés de le détenir se voient interdire de lui fournir eau ou nourriture».
La requête met également en relief le fait que pendant toute la durée de sa garde à vue, Kémi Séba a demandé à 13 reprises à rencontrer son avocat en vain. Selon les avocats, ce droit a été systématiquement refusé à leur client jusqu’à son embarquement forcé en direction de Cotonou d’où il est arrivé deux jours plus tôt. Pour eux, «la détention de Monsieur Kémi Séba par l’État burkinabè s’est déroulée en dehors de toute procédure légale, sans que jamais un quelconque document ne lui soit fait signer. Le fait qu’elle se déroule ainsi, en des conditions d’arbitraire caractérisé, et dans un néant juridique effarant, doit attirer la plus haute vigilance des membres de la Cour».
L’arrestation de trop
Kémi Séba n’est pas à sa première arrestation dans un pays africain. Ardent défenseur de l’émancipation réelle des peuples africains, le président d’Urgences panafricanistes a fait l’objet de plusieurs arrestations et expulsions de plusieurs pays africains, depuis quelques années. «Le 6 septembre 2017, le Sénégal décide arbitrairement de son expulsion vers la France. Le 2 mars 2018, M. Séba se voit refoulé du sol guinéen vers le Bénin. Le 7 Août 2018, il est reconduit du Togo vers le Bénin. En mars 2019, une nouvelle expulsion de la Côte d’Ivoire vers le Bénin intervient, et plus récemment, le 23 février 2020, il se voit expulsé du Sénégal vers la Belgique», rappellent ses avocats.
L’interpellation au Burkina Faso sonne comme l’arrestation de trop qui pousse l’activiste à porter plainte. Interrogé sur les réels mobiles qui l’ont amené à saisir la Cour de justice de la CEDEAO cette fois-ci, Kémi Séba nous confie : «C’est depuis 2017 que je subis des persécutions, des restrictions de liberté ; on m’arrête systématiquement plutôt que d’opposer un débat d’idées, parce que les gens qui sont en face de moi n’ont pas la capacité d’émettre des idées contradictoires sur le terrain du néocolonialisme. La plupart des gens savent que c’est vrai, ce sont les vérités qui dérangent».
«Donc on m’incarcère, on me met en dépôt, en garde à vue, on m’expulse en violant toutes les règles en ce qui concerne la libre circulation des citoyens au sein de la CEDEAO (…) A aucun moment, il n’y a eu un quelconque débordement lors des manifestations organisées par mon ONG et le Front anticolonialiste français en Afrique (…) Mais, ce que j’ai en retour, c’est la répression systématique par nos élites africaines qui sont corrompues par l’oligarchie française. Le déclic a été que sur la terre de Thomas Sankara, sur la terre des hommes intègres», déplore le président d’Urgences panafricanistes.
Kémi Séba poursuit : «il était inacceptable, impensable, alors que j’avais été invité par la COPA-BF, qu’on me fasse arrêter sans me notifier le motif ; ça a été un kidnapping, on ne m’a pas signifié une quelconque garde-à-vue, on m’a fait arrêter sans me dire les raisons de mon arrestation et on m’a expulsé sans me faire signer un quelconque arrêté d’expulsion, chose que normalement dans la plupart des pays où j’ai été, ils avaient au moins la décence de me présenter cela même si ceci n’était pas légal. Donc, on a estimé que cette fois-ci, c’était nécessaire de marquer le coup».
Dans leur plainte, les avocats de Kémi Séba demandent à la Cour de : « constater la détention arbitraire et les violations des droits afférents du requérant, notamment sa liberté de circulation ; enjoindre l’État du Burkina Faso à indemniser M. Séba à hauteur de 50 millions de francs CFA ; condamner l’État du Burkina Faso aux dépens».
Il sied de préciser que la requête introduite par ces avocats est doublée d’une demande de procédure accélérée.
Source: afrik.com