De 1960 à nos jours, 4 rebellions armées, 5 coups d’Etat, des attaques terroristes et un conflit intercommunautaire ont été le terreau de graves violations des droits humains au Mali. Au premier rang des victimes, la population civile. Entre meurtres, enlèvements, disparitions forcées, violences sexuelles, et bien d’autres, elle encaisse. Même des années après les affres, elles en gardent le traumatisme et vivent dans la précarité. La commission vérité, justice et réconciliation (CVJR), créée en 2014, tente de leur apporter la paix des cœurs et des esprits afin de favoriser les graines du vivre ensemble au Mali. La dernière en date, la quatrième audience publique du 18 septembre.
L’émotion était grande à en verser des larmes au Centre international de conférence de Bamako. A l’écoute des témoignages poignants des victimes de graves violations des droits humains, l’audience était éprise d’envie de sangloter. « Atteintes au droit à la liberté », « Atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique », et « Les disparitions forcées » constituaient les trois thèmes à l’ordre du jour de cette quatrième audience publique de la CVJR. Retransmis en direct sur l’ORTM et sur les réseaux sociaux, l’événement fut une occasion pour 17 victimes, dont 13 hommes et 4 femmes, de partager avec les Maliens et le monde les affres qu’ils ont subies de 1960 à 2019. A l’instar du témoignage en duo de Binta Dembélé et de Fousseyni Diallo, tous victimes de l’attaque du village de Koulogon-Peulh le 1er janvier 2019 par des « chasseurs Donso ». Binta Dembélé, 41 ans, venait d’accoucher. Le lendemain de l’attaque, devrait avoir lieu le baptême du tout nouveau bébé. Cependant Binta et son époux et leurs neufs enfants ont été pris au piège d’une attaque violente de « chasseurs Donso » qui a coûté la vie à 45 personnes, dont le nouveau bébé de Binta, calciné par les flammes allumées à l’aide d’essence. Quant à Fousseyni Diallo, il a perdu 15 membres de sa famille. C’est avec douleur, émotion et solennité que les deux victimes ainsi que les 15 autres, tous des cas emblématiques de violations graves des droits de l’homme, ont profité de la tribune d’expression offerte par la CVJR pour témoigner aux Maliens leur vécu et leur précarité. « Pour nous les victimes, cette audience publique apaise les cœurs. Elle nous donne un début de guérison et nous donne les moyens de nous exprimer, de dire ce que nous avons sur le cœur », se réjouit Fatoumata Touré, présidente du Conseil national des victimes.
CVJR et justice transitionnelle
Créé le 15 janvier 2014, la CVJR a pour mandat de « contribuer à l’instauration d’une paix durable à travers la recherche de la vérité, la réconciliation et la consolidation de l’unité nationale et des valeurs démocratiques.» Elle est l’instrument national pour favoriser une justice transitionnelle entre les fils du pays afin d’aider au processus de réconciliation. « Les audiences publiques ne sont pas des audiences judiciaires. La CVJR n’est pas un tribunal. Elle ne cherche à établir ni la culpabilité, ni l’innocence des auteurs présumés. C’est le travail de la justice malienne. L’audience publique permet surtout de rendre aux victimes leur dignité, d’intégrer leurs récits à la mémoire nationale et de faciliter un début de guérison. Il s’agit donc d’une contribution concrète à la promotion du dialogue, du pardon, de la réconciliation nationale et de la paix, toutes choses qui sont au cœur des missions assignées à la Transition », a expliqué Oumarou Ousmane Sidibé, président de la CVJR.
A la fin de l’année, le mandat de la CVJR prendra fin. Un organe chargé de la réparation des victimes verra le jour. Il aura pour mission de « procurer des compensations aux victimes de violations des droits de l’homme, de manière à corriger au moins en partie le mal qui leur a été fait, à les aider à surmonter les conséquences des violations subies et à leur permettre de se reconstruire ».
« Le gouvernement ne ménagera aucun effort pour accompagner les communautés et les individus à aller vers le pardon et la réconciliation. C’est le sens qu’il faut donner à la récente adoption en conseil des ministres de la politique nationale de réparation des victimes des crises. Un projet de loi sur la réparation et un autre créant un organe de réparation seront bientôt adoptés par le gouvernement et soumis au CNT », a expliqué le Colonel Ismaël Wagué, ministre de la réconciliation nationale.
Cependant en plus de la réparation, les victimes ont le droit de recourir également à la justice.
Pour Fatoumata Touré, le vœu pieu des victimes est d’être au centre du futur organe de réparation pour s’assurer d’un bon suivi.
Plus de 22 500 dépositions d’atteintes aux droits humains ont été enregistrées par la CVJR. La quatrième audience publique a regroupé les thèmes des trois dernières audiences. Selon Oumarou Ousmane Sidibé, la prochaine audience publique sera consacrée aux violences contre les femmes et celles contre les enfants.
Boubacar Diallo
Source : Journal du Mali