On a de nombreux témoignages sur les guerres d’Algérie et d’Indochine, mais il y a peu de récits des derniers soldats français engagés dans nos opérations extérieures dites OPEX.
On sait par ailleurs comment depuis l’Afghanistan l’information est totalement verrouillée au Ministère de la Défense et peu savent aujourd’hui en France que par exemple des militaires français sont présents en Syrie depuis plus de trois ans et qu’on vient d’ailleurs d’en renvoyer pour suppléer au départ prévu des GI’s de Donald Trump. Pour l’ex-Yougoslavie ou le Sahel, c’est un peu la même chose. Il y a deux ans, nous avions rencontré un ancien des forces spéciales françaises qui avait combattu à Split en Croatie et qui nous avait raconté son dégoût aujourd’hui de l’uniforme après ce qu’il avait enduré comme couleuvres « politiques » en particulier face à des exécutions d’enfants.
Nous avons donc dévoré avec une certaine curiosité le « journal de marche », de Sébastien Tencheni qui nous fait, presque jour par jour, le compte rendu de son action de chef de peloton de reconnaissance dans le cadre d’une opération extérieure (OPEX) au Mali. L’escadron de reconnaissance de la 2e Brigade Blindée (héritière de la prestigieuse 2e DB), auquel appartient ce peloton fut engagé au Mali de mai à septembre 2014, dans le cadre de l’opération SERVAL.
Cette opération lancée en 2013 en soutien du gouvernement malien, se poursuit toujours, étendue maintenant aux pays voisins dans le cadre de l’opération BARKHANE. Au-delà du simple intérêt anecdotique de la description d’une mission en OPEX, l’ouvrage étonne dans ses marges par les réflexions et les sentiments exprimés, souvent à chaud, par l’auteur. Dans un style direct, bien rédigé et agréable à lire, le lieutenant Tencheni, nous montre le caractère particulier des engagements actuels en opération extérieure avec des unités très mobiles et « modulables » à souhait. Il ne cache pas que ce caractère mobile, modulable, ultra fluide de la guerre hybride rompt avec la sérénité et l’autonomie réclamée par la formation militaire classique d’un officier de l’École de Guerre, responsable de ces unités.
Ainsi, au cœur de l’action, l’auteur révèle la difficulté pour ce nouvel encadrement de concilier le besoin de responsabilité et d’autonomie de décision avec le souci du commandement, celui « de garder la main » pour éviter les erreurs humaines et la « bavure ». Cette dernière devient l’obsession de l’officier en guerre pour les conséquences médiatiques et politiques coûteuses qu’elle pourrait déclencher sans omettre bien sûr la remise en question de toute une carrière personnelle.
Au-delà de ses commentaires sur l’exécution de sa mission, Sébastien Tencheni se risque aussi à quelques réflexions personnelles sur le contexte de la mission particulière qui lui a été dévolue et ose reconnaître le risque d’enlisement de l’opération SERVAL au Mali (les faits lui donnent aujourd’hui raison même avec Barkhane).
Nous avons relevé un autre passage intéressant, c’est son approche et ses commentaires sur l’opération de secours lors du crash d’un avion civil avec 114 passagers à bord. La priorité était alors à l’image et à l’information pour toutes les autorités civiles. Les héros étaient alors les journalistes ou les « politiques » qui « défilaient » sur le lieu du drame. Nous avons vu la même chose récemment après le cyclone Irma à Saint-Martin où les secours n’ont même pas été remerciés alors qu’ils ont accompli très vite sur place un travail remarquable.
En résumé, nous avons là le rare témoignage d’un engagé représentatif de l’état d’esprit actuel de « l’honnête officier » de l’armée française, proche de ses hommes, solidaire de ses camarades, respectueux de ses chefs , fidèle à la grande tradition militaire mais qui surtout ne doit jamais exprimer la moindre velléité de critique politique ou de doute sur les opérations qu’on lui ordonne.
Source: metamag