Enseignant à Bamako entre 1972 et 1974, Jean-Louis Sagot est devenu un dramaturge pointu dans l’affirmation de l’humain contre les dérapages et les absurdités des hommes. Il connait le Mali ; pas seulement celui des villes, mais aussi celui des villages et des hameaux. Cette immersion a éveillé en lui le goût de la découverte de l’autre, le besoin de comprendre et de raconter les fils qui tissent l’histoire du Mali. Une partie de son engagement et de son implication dans la vie et la création artistique vient de là. Il a eu le temps de se conforter et de conforter sa vision, en devenant très jeune, le rédacteur en chef du mensuel « Droit et Liberté » du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, le MRAP, un mouvement né dans la résistance contre l’occupation nazie.
L’Essor : Vous êtes venu à Bamako en 1972. Et depuis vous êtes un Malien de cœur. Qu’est-ce qui vous a capté ?
Jean-Louis Sagot Duvauroux : J’ai atterri pour la première fois à Bamako en 1972 à l’aéroport de Hamdallaye où se trouve aujourd’hui à l’ACI 2000. J’avais 21 ans. Je venais prendre mes fonctions de professeur de français au Lycée Prosper Kamara. Je devais initialement être engagé dans le cadre de mon service militaire, mais après un accident, j’avais été réformé. J’avais néanmoins envie de faire une rupture avec la vie française, de voir autre chose. Je me suis fait embaucher sur place, avec un salaire d’enseignant malien. Une vraie bifurcation, car ça ne me permettait pas de vivre dans les conditions des autres Français expatriés. J’ai trouvé deux pièces à louer dans une cour de Hamdallaye où vivaient plusieurs autres familles.
Je m’y suis installé, bientôt rejoint par deux amis. Et il s’est alors passé ce que vivent des milliers de gens qui s’enracinent dans un pays d’accueil : des souvenirs, des projets, des amitiés, des aventures humaines et professionnelles, un mariage… Comme les bamananw le disent, j’avais quitté chez moi, j’étais arrivé chez moi. Le jatigiya malien a certainement participé à cette « captation ». Mais il n’y a là ni mystère, ni miracle. Je me suis retrouvé, sans d’ailleurs l’avoir planifié, dans la situation de centaines de milliers de personnes qui se sentent chez elles et en France, et au Mali. La naissance de mon fils a fait entrer le nom Sagot-Duvauroux dans l’état-civil malien sans le faire sortir de l’état-civil français, comme c’est le cas pour tant de Tounkara, de Doukouré, de Traoré, de Kanté ou de Diarra dont la vie a fini par offrir à la France leurs riches patronymes sans les enlever au Mali. XXIe siècle !
L’Essor : De Bamako à Ansongo ; de Bamako à Kayes, vous avez fait du pays. Vous n’avez pas fait que du tourisme.
Jean-Louis Sagot Duvauroux : Quand j’ai mis les pieds au Mali, j’avais 21 ans et une motocyclette « Caméco » que j’avais pu acquérir grâce à un prêt du lycée. Un ami français, qui m’avait précédé à Bamako me donne alors un conseil : si tu veux connaître le pays, prend n’importe quelle route qui se présente devant toi, avance jusqu’au soir ; quand vient le soir, arrête-toi au premier village, demande l’hospitalité ; on t’amènera chez le dugutigi et tu y trouveras le gîte et le couvert. Première destination : le Bèlèdougou, d’accès facile depuis Bamako.
Un pneu crève à l’approche du village de Tènèzana, un peu avant Nossombougou. Trois jeunes m’aident à réparer, puis m’emmènent chez un homme qui a fait l’armée française, Ngolo Diarra, paysan, donso, passionné de littérature… Nous sommes restés liés jusqu’à son décès. J’ai beaucoup appris de sa riche conversation, quand il rentrait du champ la daba sur l’épaule, et avant qu’il ouvre un roman d’Alexandre Dumas lu à la lumière de sa lampe. Ensuite, j’ai pris goût à ces escapades et mon univers social s’élargissant, j’ai rapidement eu le choix des destinations : quitter chez soi, arriver chez soi ! Voyage à Kayes, à « caméco » et alors sans le confort du goudron, Kayes où je croise une très vieille dame qui me parle avec gravité : elle a quitté, enfant, la ville de Ségou attaquée par les Français et s’est réfugiée avec un petit groupe de Toucouleurs dans le quartier Légal Ségou – quartier Ségou.
Elle est la grand-mère de ma voisine de Hamdallaye dont je partage le « bassi » quotidien ; elle n’imaginait pas recevoir un jour un petit-fils de la couleur et de la nationalité de ses agresseurs… Temps nouveaux !
Je lie une amitié qui dure toujours avec un élève venu d’Ansongo, aujourd’hui enseignant dans une université américaine. Je prends l’habitude d’aller passer mes vacances dans sa famille. J’y amène même une sœur et un frère depuis la France. Une des suites devenue publique des liens tissés alors, ce sont les cases en nattes qui abritent la famille de Jacob, dans le film La Genèse (Cheick Oumar Sissoko, sélection officielle Cannes 1999 « Un certain regard »). J’avais alors emmené l’équipe de production chez une tante, à Bazi Haoussa et, avec les femmes de ce quartier historique d’Ansongo, elle avait conduit la confection très réussie de ces confortables habitations de nattes tissées. Ces voyages et bien d’autres, même s’ils m’ont fait découvrir les paysages physiques et humains du grand Mali, n’avaient pas grand-chose à voir avec le tourisme.
L’Essor : Vous avez écrit le scénario de « Genèse », porté à l’écran par Cheick Oumar Sissoko, sans doute un grand moment cinématographique. Si c’était à refaire ?
Jean-Louis Sagot Duvauroux : Dans les années qui précédèrent ma venue au Mali, j’avais fait des études de théologie. L’univers biblique m’était familier. En vivant au Mali, cet univers s’anima, pris les couleurs de la vie. La Genèse, premier livre de la collection biblique, fait du meurtre de l’éleveur Abel par son frère le cultivateur Caïn, la mère de tous les conflits. Dans le récit biblique, Abel et Caïn sont les deux fils d’Adam et Ève, un concentré de l’humanité.
Source: Essor