Une des options les plus redoutées se profile dans l’Office du Niger, zone névralgique de l’économie nationale, où profitant d’une médiation entamée pour desserrer l’étau sur le village de Farabougou, les jihadistes y affluent de toute part et étalent désormais clairement leur revendication principale, à savoir l’application stricte de la Charia, mais surtout leur visée économique. L’enjeu est de taille.
Le constat fait désormais quasiment consensus : l’issue de la médiation entamée avec le groupe jihadiste qui assiège depuis plus d’un mois, le village de Farabougou, dans le Cercle de Niono, est plus que jamais indécise, quoi qu’en pensent les autorités traditionnelles au cœur des négociations lesquelles espèrent contre toute espérance quant aux vertus du dialogue avec les assaillants.
« Les militaires laissent les discussions se dérouler et c’est une bonne chose », explique un membre de l’équipe de médiation. Quant aux représentants territoriaux de l’État, du gouverneur aux sous-préfets, « ils encouragent les pourparlers sans y participer ». Il faut rappeler que depuis le matin du jeudi 22 octobre 2020, les FAMa sont arrivées à Farabougou. Aux environs de 10 heures 30 minutes, les premiers éléments du Bataillon des Forces spéciales y sont arrivés à bord d’un Mi-24 de l’Armée de l’Air.
Des faits troublants
En effet, la succession des événements lève le voile quant aux intentions réelles des groupes jihadistes qui écument la zone rizicole. Dans un premier feed-back fait au chef du village de Farabougou-Kourani par les médiateurs, lequel a convoqué une assemblée générale de restitution, en présence des déplacés de Farabougou et d’autres villages environnants, il a été clairement exposé parmi les exigences des assaillants : ‘’le respect des principes fondamentaux de l’Islam’’. Il y a quelques jours, l’on découvrait une précision de taille de cette exigence des groupes jihadistes. Désormais, ils exigent l’application rigoureuse de la Charia, la loi islamique. Ceux qui ont vécu dans les régions du Nord durant la période de l’occupation par un conglomérat de mouvements jihadistes peuvent témoigner de la qualité de l’interprétation que font ces obscurantistes psychopathes de la Charia. Les lapidations, les amputations, les bastonnades publiques, l’interdiction des loisirs, même les viols sont quelques expressions de la face hideuse de l’application de la Charia.
À cela, il faut ajouter que l’application de la Charia est en flagrante contradiction avec la Constitution du 25 Février 1992 adoptée par le peuple souverain du Mali. Elle dispose en son article 25 : ‘’Le Mali est une République indépendante, souveraine, indivisible, démocratique, laïque, et sociale.
Son principe est le Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple’’. Il est difficile que cette disposition constitutionnelle fasse bon ménage avec l’application de la Charia telle qu’on l’a connu en ce qu’elle viole, entre autres, les dispositions suivantes de la Loi fondamentale :
Article 1er : ‘’La personne humaine est sacrée et inviolable.
Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne’’.
Article 2 : ‘’Tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs. Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique est prohibée’’.
Article 3 : ‘’Nul ne sera soumis à la torture ni à des sévices ou traitements inhumains, cruels, dégradants ou humiliants. (…)’’.
Parmi les faits troublants qui amènent à douter de la bonne foi des jihadistes, c’est que pendant que la population de Farabougou connaît un semblant de répit avec l’arrivée de l’Armée et des denrées de première nécessité, environ une vingtaine de personnes a été enlevée entre Dogofry et Farabougou Kourani, le dimanche 25 octobre.
Au-delà des apparences de calme, il faut retenir que Farabougou reste toujours assiégé, et que les villages avoisinants ne peuvent plus tenir leur marché ni même se rendre dans leurs champs, synonyme d’asphyxie de l’économie locale, et, en partie, de l’économie nationale quand on sait la place prépondérante de l’Office du Niger dans la sécurité alimentaire du pays.
Plus récemment, l’assassinat de l’Imam de N’Débougou, à une quinzaine de kilomètres de la ville de Niono, et d’un de ses conseillers, n’est pas un bon signal qu’envoient les jihadistes qui se disent pourtant disposer à dialoguer avec les mandataires des autorités. Chaque jour, du drame et de l’anxiété s’ajoutent à la tragédie dans cette partie du pays sous les feux des projecteurs nationaux et internationaux.
Les visées sur l’Office du Niger
Tout autant préoccupant, la zone Office du Niger dont le périmètre irrigué fournit près de 30 % du riz consommé dans le pays est en passe de devenir le point de convergence de tous les mouvements jihadistes. Après ou concomitamment à l’intérêt économique du trafic de drogue, avec le ventre qui gargouille, sentant l’odeur alléchante qui leur chatouille les narines venant des périmètres irrigués, difficile de résister à la tentation de faire OPA sur cette manne agricole. Qu’on ne se voile pas la face : l’Office du Niger est en train d’aiguiser les convoitises et c’est l’enjeu de tous les actes qui sont posés en ce moment par les jihadistes. Habitués à prélever des impôts, les dîmes, des producteurs de riz ne peuvent que représenter une aubaine. C’est clair, ces gens font un feu d’artifice, de tous les artifices pour faire de la Charia si utile le paravent de leur âpreté au gain. Rien de surprenant qu’ils sont allés crescendo dans leurs exigences et dans leur stratégie d’invasion de l’Office du Niger devenu l’épicentre de l’insécurité.
Va-t-on s’enfermer dans une logique aléatoire de dialogue ou opérer le virage stratégique qui s’impose pour être en phase avec les enjeux du moment ? Une certitude : dans cette épreuve de nerfs, le temps joue contre nous.
PAR BERTIN DAKOUO
Source : INFO-MATIN