L’élection présidentielle peut-elle être bel et bien être organisée le 28 juillet prochain ? Tel est la question que commencent à se poser certains observateurs de la scène politique malienne. Qui selon eux, il urge d’organiser une concertation nationale dès à présent sur la question, afin d’éviter un chaos au pays.
Le 1er tour de la présidentielle approche à grands pas, mais les réalités sur le terrain font douter plus d’un plus quand à la tenue effective du scrutin. Primo, vu que la question sécuritaire des localités du Nord et du centre demeurent une grosse épine dans l’équation à résoudre.Le plus grand risque avec l’insécurité résiduelle au Nord, ou grandissante au centre, est de voir les djihadistes s’opposer au processus électoral durant la présidentielle de 2018, comme ils l’ont fait avec les municipales de 2017 qui n’ont pas pu se tenir dans toutes les communes du pays.
Or depuis ces élections, le périmètre de l’insécurité s’est élargi et le recul de l’État (administration et forces de sécurité) dans le Nord et dans le centre s’est aggravé.
L’éternelle dispute autour du fichier électoral
Depuis 1992, la classe politique malienne remet en cause le corps électoral qui lui paraît surévalué par rapport aux pays voisins, qui ont plus ou moins la même taille de population et les mêmes caractéristiques démographiques. Si en 2013, les contestations ont été bien moins vives, on ne peut pas dire qu’un consensus émerge entre les acteurs sur le fichier électoral. Le groupe fidèle à l’activiste Ras Bath, prônant l’alternance en 2018, estime, par exemple, que par la faute de l’administration, des centaines de milliers de jeunes n’ont pas la carte NINA permettant d’être inscrit sur le fichier électoral.
Le parti d’opposition, ADP-Maliba, quant à lui exige dès à présent un audit indépendant du fichier électoral. Dans le même temps, les autorités en charge du fichier déclarent procéder normalement à sa mise à jour.
Selon l’ex ministre Ousmane Sy, l’Accord de Ouagadougou signé en 2013 avec les mouvements armés de l’époque suivi des rencontres que le Président Dioncounda Traoré a eu avec l’ensemble des acteurs politiques, sociaux et institutionnels du pays ont rendu possible la tenue de la présidentielle et des législatives sur toutes les parties du territoire national et au final l’acceptation des résultats par toutes les parties en compétition. Mais en 2018, si les tendances actuelles se poursuivent, l’aggravation et extension de l’insécurité et l’exacerbation des antagonismes qui s’aiguisent de plus en plus porteront de grandes incertitudes sur la possibilité de tenir des élections dans des conditions acceptables.
Et de soutenir que l’aggravation des tendances actuelles, que rien ne semble inverser, risque d’élargir fortement la liste des circonscriptions administratives où aucune élection avec des résultats acceptables ne sera possible. Aux régions et aux cercles déjà cités, qui sont loin d’être stabilisés, s’ajoutent de nos jours tous les cercles de la région de Mopti, des parties de plus en grandes des cercles de San, Tominian, Niono et Macina dans la région de Ségou et des parties des cercles de Banamba et de Nara dans la région de Koulikoro.
Au total et en dehors des villes chef-lieu de cercle ou de communes, l’administration d’Etat n’a de présence territoriale effective que sur moins de 50 % des 49 cercles du pays. Rien n’indique qu’une amélioration est envisageable à court terme.
En toute lucidité, l’ensemble des acteurs de la scène politique, partisans et non partisans, devrait envisager le scénario de la non possibilité d’organiser des élections en juillet 2018. Si cette hypothèse se confirmait que faudra-t-il faire pour éviter à notre pays une nouvelle aventure ?, dira Ousmane Sy.
Seule une transition imposée ou consensuelle peut être envisagée
Sans le mettre au cœur du débat, les promoteurs de la révision constitutionnelle avortée avaient tenté une réponse en mettant dans leur projet la possibilité pour le Président en place de continuer jusqu’à ce que l’élection soit possible (le schéma à la RD Congo). La Constitution en vigueur n’ayant rien prévu en dehors de la tenue à la date de la présidentielle, seule une transition imposée ou consensuelle peut être envisagée si d’aventure la tenue de l’élection n’était pas possible.
Cependant le réalisme doit nous amener collectivement à envisager le pire et à nous s’y préparer. Pour éviter le scénario catastrophe, qui peut venir, l’ensemble des acteurs politiques et sociaux du pays, partisans et non partisans, devraient travailler dès à présent à rendre possible, même pour un temps, des convergences en érigeant des ponts à la place des frontières qui les éloignent les uns des autres, martela l’ex ministre de la décentralisation.
La présidentielle de 2018 est perçue par tous les acteurs comme un test grandeur nature à la fois de la maturité démocratique du Mali, malgré la grave rupture de mars 2012, et des capacités des pouvoirs publics, ainsi que de la communauté internationale à stabiliser un État, certes résilient mais encore fortement affecté par l’insécurité.
Tous les facteurs influençant le processus électoral sont importants (gouvernance et arbitrage des élections, donne islamique, fichier électoral, etc.) et ils prendront d’autant plus d’importance que la plupart des candidats historiques jouent leur va-tout (tous seront septuagénaires ou presque en 2022).
Cependant, le déterminant principal reste la sécurité et la capacité à tenir la présidentielle dans l’essentiel des communes des régions suivantes : Kidal, Ménaka, Gao, Tombouctou, Taoudéni, Mopti, Ségou. Il s’agit de sept régions sur les douze que compte le pays. Ces zones ne sont certes pas des bassins électoraux en termes de populations, mais elles sont d’une symbolique politique qui n’est plus à démontrer. Il faut donc un dialogue de la dernière chance. L’opposition et le pouvoir ont intérêt à tout faire pour sortir définitivement le pays de cette situation d’instabilité. Et chaque camp doit mettre un peu d’eau dans son vin.