Depuis le 18 août 2020, le Mali est confronté à une crise institutionnelle, occasionnant des sanctions contre ce pays d’Afrique de l’Ouest, membre de la Cedeao. Une situation qui a eu des répercussions sur l’application du principe de la libre circulation des personnes adopté par l’organisation ouest-africaine depuis 1979.
Suite à plusieurs manifestations du M5-RFP (Mouvement du 5 juin Rassemblement des forces patriotiques) regroupant des organisations de la société civile et des formations politiques, Ibrahim Boubacar Keïta a été évincé par des militaires. Un coup d’Etat qui était censé « achever » l’œuvre du M5-RFP.
Naturellement, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a immédiatement sévi contre le Mali en le suspendant de ses instances. Bousculée par la Cedeao et la Communauté internationale, la junte adopte une charte et met sur place une transition dirigée par des civils. L’ancien ministre Bah N’dao effectue son retour aux affaires, mais cette fois-ci comme président de la Transition. Il choisit comme premier ministre Moctar Ouane. Mais ce duo ne va pas durer au pouvoir. En mai 2021, le Colonel Assimi Goïta qui était à la tête du Conseil national pour le salut public (CNSP) et vice-président de la Transition enlève Bah Ndao et son premier ministre du pouvoir pour, dit-il, rectifier la transition.
Ce deuxième coup d’État en moins d’une année met la communauté internationale en rogne. La Cedeao en premier. Il fallait dès lors prendre des décisions fermes contre les militaires au pouvoir pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel. C’est ainsi qu’en janvier 2022, des sanctions économiques et financières issues d’un sommet extraordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Cedeao sont imposées au Mali. Il est interdit aux pays membres tout échange économique à l’exception des produits de première nécessité. Des mesures qui ne sont pas sans conséquences sur le respect du protocole de la libre circulation instituée par l’organisation ouest-africaine.
Avec une superficie de 6 millions km2, l’espace Cedeao compte 250 millions d’habitants. « L’essentiel du flux migratoire se fait par voie terrestre à travers plus de 15 000 kilomètres de frontières entre les pays auxquels s’ajoutent 8.500 kilomètres entre ces pays et leurs voisins de Mauritanie, d’Afrique du nord, du Tchad et du Cameroun », renseigne un document sur la Libre circulation des personnes dans les processus d’intégration régionale parcouru par Dakaractu.
Un besoin d’intégration est à cet effet manifesté. Autrement dit, il urgeait de créer une union douanière puis d’une union économique à travers la levée des entraves à la liberté de circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, au droit de résidence et d’établissement. C’est dans cet esprit que s’inscrit le protocole du 29 mai 1979 relatif à la libre circulation des personnes, au droit de résidence et d’établissement. Un principe plus ou moins respecté au Sénégal.
Né en Côte d’Ivoire, Oumar Touré s’est installé au Sénégal en 1993. « Je n’ai eu aucune difficulté à m’installer au Sénégal », reconnait le ressortissant malien dans un entretien avec Dakaractu. Un an plus tôt, son aîné Salia Coulibaly arrivait à Dakar. Au même titre que son compatriote, il ne rencontre aucune difficulté pour s’établir au « Pays de la Téranga ». Ces deux hommes jouissent de leur droit d’établissement. Le premier est à la tête d’une boulangerie-pâtisserie et emploie des sénégalais alors que le deuxième fait la navette entre le Mali et le Sénégal dans le cadre de ses activités économiques. Cependant, Oumar Touré ne comprend pas, par contre, devoir faire la croix et la bannière pour obtenir des documents administratifs à ses enfants. Pour lui, « ça peut être évité ». Il fait remonter les efforts à faire pour une meilleure intégration des communautés étrangères.
Il est important de savoir que le phénomène migratoire au Mali a pris de l’ampleur au début des années 1970, suite à la sécheresse qui a frappé tous les pays du Sahel. À partir de 1980, c’est le contexte politique marqué par l’arrivée du dictateur Moussa Traoré au pouvoir qui explique les migrations, souligne l’étude de Seydou Keïta intitulée « Migrations internationales et mobilisations des ressources – les maliens de l’extérieur et la problématique du développement ». Citant la Délégation générale des maliens de l’extérieur, il renseigne dans la même étude qu’en 2009, 3,5 millions à 4 millions de citoyens maliens étaient à l’extérieur.
Le profil migratoire au Sénégal dressé par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) en 2018 révèle que l’immigration au Sénégal reste dominée par les pays limitrophes, notamment la Guinée (43%), le Mali (10%), la Gambie (7%) et la Guinée Bissau (6%). Ces quatre pays représentent 66% de la population étrangère au Sénégal. Pour ce qui concerne les relations migratoires entre le Sénégal et le Mali, elles sont caractérisées par des flux d’échanges dans les deux sens, mais avec une forte polarisation du Sénégal. Cette étude récente montre à satiété la représentativité des maliens dans la population étrangère au Sénégal. Une communauté bien intégrée si on se fie aux données de l’ANSD et de l’OIM selon lesquelles 8.000 maliens occupent un emploi dans notre pays. Des ressortissants qui peuvent être affectés par les deux coups d’État et les décisions de la Cedeao à l’encontre du Mali.
Salia Coulibaly ne cache pas que depuis plusieurs mois, ses activités sont au ralenti. « C’est surtout les gens qui font le corridor Dakar – Bamako qui en souffrent », avoue l’opérateur économique. « Concrètement, on a des difficultés pour faire venir au Sénégal des tissus comme le bazin », poursuit-il en déplorant le manque à gagner dû à cette situation. « C’est des milliards que nous avons perdus », évalue-t-il. Son compatriote Oumar Touré n’est pas directement impacté. Ses activités marchent bien au Sénégal. Mais il fait remarquer que ses concitoyens qui avaient l’habitude de venir au Sénégal quand bon leur semblait n’ont plus cette possibilité depuis l’isolement de Bamako par la communauté internationale. Un coup dur contre le protocole sur la libre circulation des personnes ? Touré dit avoir constaté également que les transferts d’argent vers le Mali sont devenus un vrai parcours du combattant. C’est l’une des conséquences des sanctions financières qui sont en train d’asphyxier ce pays qui ne dispose de façade maritime. « Il faut que les États de l’Afrique de l’Ouest tiennent compte de ce fait. La Cedeao doit être là pour les peuples », recommande Salia Coulibaly. Un message qui s’adresse aussi bien à la junte malienne qu’aux décideurs ouest-africains pour une meilleure prise en charge du protocole de la Cedeao en faveur de la libre circulation des biens et des personnes.
Cet article a été écrit avec le soutien d’Article 19 et l’UNESCO, dans le cadre du projet « Autonomiser les jeunes en Afrique à travers les médias et la communication », financé par l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement (AICS), via le « Fonds Afrique » du Ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération Internationale (MAECI) ».
Source: dakaractu