Faisons du politiquement correct, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) n’est pas un président « corrompu » ni « un roi fainéant » encore moins un président « méprisant ». Pourtant, selon l’ancien président Alpha Oumar Konaré (AOK), celui qui fut son Premier ministre (1994-2000), a une « hypersensibilité aux louanges, un goût pour le luxe et ce penchant à se faire entretenir » comme le rapporte le journaliste français Jean-Louis Le Touzet dans son enquête sur IBK « Un roi fainéant ». Un désir d’entretien qui le lia à son « frère », l’homme d’affaires corse Michel Tomi. D’après un haut fonctionnaire français « que Tomi entretienne IBK, on le savait » car « le train de vie d’IBK à Bamako n’est pourtant un secret pour personne. Et certainement pas pour l’Élysée » souligne Lénaïg Bredoux, journaliste à Médiapart. Pour ses deux confrère et consœur, Fabrice Arfi et Ellen Salvi, à travers les écoutes téléphoniques dans le cadre des investigations judiciaires visant Tomi, IBK apparait comme « un président obsédé par la satisfaction de ses besoins dispendieux. »
Le Roi-Sommeil
Continuons avec le politiquement correct même si le chef de file de l’opposition Soumaila Cissé (URD) rapporte qu’IBK « a construit une carrière prodigieuse en dormant ». S’il est réputé « gros dormeur » laissant le « convoi officiel [monter] à vide à Koulouba » pour s’y rendre tranquillement « à midi dans une voiture banalisée » plutôt que « gros bosseur », c’est que, d’après l’ancien premier ministre Moussa Mara, « il n’a jamais aimé mettre les mains dans le cambouis. D’ailleurs plus vous travaillez, plus vous l’inquiétez. » C’est ainsi qu’AOK décida de tenir le conseil des ministres à 11 heures et non plus à 9 heures, son premier ministre IBK « [n’arrivant] jamais à se lever. »
C’est fort de toutes ses expériences en somnolence que le Roi-Sommeil passa quatre (4) ans à dormir pour finalement se réveiller à une année de la fin de son mandant, signant son retour avec « Tiékoroba wilila -le vieux s’est réveillé- » pour ensuite enchaîner avec les sept (7) tours de la Kaaba à la Mecque. Par contre, il n’a fallu qu’une année au pouvoir pour que de sales histoires de corruption et de népotisme viennent détruire le mythe de « l’homme à poigne ».
La prime à l’impunité
« L’argent ne fait pas l’élection au Mali » selon l’ancien ministre Mohamed Ali Bathily. Mais l’argent, au-delà de contribuer à la conquête du pouvoir, est indispensable à son entretien et à sa préservation. Et selon l’écrivain russe Alexandre Soljénitsyne, « à quoi bon nier que l’argent, en démocratie, assure le pouvoir réel, que le pouvoir se concentre inévitablement entre les mains des gens qui ont beaucoup d’argent. » Au Gabon et au Congo-Brazzaville, c’est grâce à la mainmise sur l’économie des familles Bongo et Sassou Nguesso, que le pouvoir ne s’obtient plus par les urnes mais se transmet de père en fils, tel un héritage. Le fils d’IBK, Karim Keïta qui ne rêve pas moins du destin présidentiel de Ali Bongo -fils d’Omar Bongo-, se comporte déjà comme Denis Christel Sassou Nguesso -député, homme d’affaires et, surtout fils de son père, l’éternel putschiste Denis Sassou Nguesso, président du Congo-Brazzaville.
Contrairement à Denis Christel qui a le contrôle du parti au pouvoir (Parti congolais pour le travail) et du secteur pétrolier ; le député malien et non moins président de la Commission défense, sécurité et protection civile de l’Assemblée nationale, multiplie les investissements dans les secteurs de l’immobilier, de la banque, de l’énergie, de l’or… après son échec dans le sabotage d’entreprise privée en particulier, celle d’Aliou Boubacar Diallo, PDG de Wassoul’Or, homme d’affaires malien qui a largement contribué au financement de la campagne d’IBK en 2013. De propriétaire d’une société de location de voitures, Karim Keïta veut devenir un acteur incontournable dans le monde politique et économique.
Au Mali, cette mainmise se traduit d’abord par le déplacement du centre du pouvoir de Koulouba où se trouve le palais présidentiel -toujours en rénovation- à la résidence privée d’IBK, située à Sébénicoro. Et d’importants travaux y ont été réalisés pour améliorer le confort et la sécurité de « Koulouba bis » d’où IBK fit sa déclaration de candidature.
Comme à Libreville et à Brazza, la vie politique, le secteur économique tournent autour de la famille présidentielle, le slogan de 2013 « le Mali d’abord » devenant tout de suite après son élection « ma famille d’abord », la famille de IBK, détenant et distribuant à volonté les pouvoirs et marchés publics afin de préserver le plus longtemps possible le pouvoir suprême.
La corruption a eu raison du régime d’IBK, un régime incapable de se tenir débout pour, au moins, essayer de redresser le Mali. Un régime pilleur de richesses et peu enclin au travail comme au Gabon comme au Congo-Brazzaville. Il ne reste plus qu’à voir figurer les noms de certains dirigeants maliens dans la liste des régimes africains poursuivis pour l’acquisition des biens immobiliers dans les pays occidentaux à travers le détournement et le blanchissement de fonds publics -« les biens mal acquis ». Le nom du député et fils d’IBK, traîne déjà, d’après les enquêtes du journal malien « Le Sphinx », dans de nombreuses acquisitions de biens au Mali comme à l’étranger.
L’ami des parrains
Omar Bongo était un doyen de la « Françafrique ». Il était aussi le parrain d’IBK. Ses largesses financières ont été d’un apport inestimable dans la carrière politique du président sortant malien. Denis Sassou Nguesso joue le même rôle pour IBK et d’autres politiciens maliens. La rencontre entre Tomi et les dirigeants maliens, fut arrangée par Omar Bongo car « avant de jeter son dévolu sur le Mali et Keita [IBK], l’homme d’affaires a d’abord fait ses classes au Gabon sous les présidences de Bongo, père et fils. C’est son autre Corse » écrivent F. Arfi et E. Salvi.
Omar Bongo présenta Tomi comme « son véritable ami. Un homme qui pourrait beaucoup aider. » AOK, ne succombant pas à la tentation malgré la recommandation de Bongo et l’insistance de Tomi lui-même, « aurait vu la manœuvre et l’aurait évitée avec tact. » De fait, AOK, guidé par « son statut et ses valeurs morales », demanda à IBK de « s’occuper de Tomi », autrement, de l’aider à s’en débarrasser.
« Toi c’est mon frère », ainsi naquit la fraternité, selon J-L Le Touzet, entre IBK et Tomi. « Oui. Je le considère comme un frère. […] Michel Tomi est resté mon ami. Mais jamais, au grand jamais, il n’a été question d’argent entre nous », ne se lasse pas de répéter IBK sans pour autant convaincre. Car, c’est avec l’argent que Tomi assure son entretien en France comme au Mali, hier comme aujourd’hui, en échange de quoi ? Comme s’en inquiète le haut fonctionnaire français, la crainte est de savoir ce que l’homme d’affaires touche en retour, un accès aux marchés publics à travers la corruption d’agents publics à l’étranger et/ou une « influence » qu’il exercerait sur le président IBK, sur certains de ses ministres que Tomi appelle affectueusement ses « neveux ».
IBK, au lieu d’incarner le pouvoir, a plutôt rabaissé la fonction. Il n’a plus rien à offrir aux Malien.ne.s, il ne veut pas se priver des privilèges du pouvoir, il a perdu la légitimité morale et l’autorité politique pour gouverner ce pays. Son exercice du pouvoir était dépossédé de toute compassion, il est resté méprisant et indifférent pendant les différentes grèves des enseignants, des magistrats, des médecins, des handicapés… en particulier pendant la grève des médecins qui dura un peu plus d’un mois.
« Au lieu d’avoir à le pousser dehors et à le sortir par la force, on aimerait que ce soit lui qui manifeste publiquement son repentir d’avoir, par une suite… d’absurdités, plongé tout le pays dans un abîme dont il ne sait comment le sortir », Alexandre Soljénitsyne.
Mahamadou Cissé
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