Le Chef de l’Etat affiche son humeur des mauvais jours. Assis seul, dans un coin du jardin, lunettes noires sur le nez, la mine serrée et les cheveux grisonnants, il ne pipe mot. En franchissant le portail, Sékouba, son garde du corps attitré nous avertit, le doigt pointé sous notre nez : « Le patron n’est pas de bonne humeur aujourd’hui. Alors, pesez bien vos mots en posant vos questions. Sinon… ! ».
Muni de cette précieuse information, nous traversons l’immense jardin, en annonçant notre arrivée à travers un long salamalec que seuls les imams saoudiens savent le faire.
Croyant avoir à faire au Chérif de Nioro, IBK se lève, brusquement, pour venir à notre rencontre.
Mais s’apercevant que c’est nous, il retourne s’asseoir en nous montrant du geste de la main une chaise en osier tressé.
C’est là que se déroule, pour la troisième fois consécutive, cette interview. Imaginaire ou presque.
Etes-vous sûr, Mr le président, que tout va bien ?
La réponse ne se lit pas sur mon visage ? D’ailleurs, comment peux-tu me poser cette question, quand de maudits sondages donnent Soumaïla Cissé vainqueur, au second tour.
Pourtant, la semaine dernière, un autre sondage, réalisé par un « petit dogonon » vous donnait favori…
Oui, c’est vrai ! Le problème, c’est qu’aucun autre sondage ne devrait venir contredire celui-là. Tous les sondages doivent avoir le même résultat : IBK vainqueur. Au premier, comme au second tours.
Mais quand c’est l’hebdomadaire international, « Jeune Afrique », qui donne Soumaïla Cissé vainqueur, il y a lieu de s’inquiéter. Ou bien ?
Selon les observateurs de la scène politique malienne, vous risquerez, au second tour, de voir tous les autres candidats, ou presque, se rallier au candidat Soumaïla Cissé. Cela vous fait-il peur ?
C’est, justement, ce qui m’inquiète.
Pourquoi ne pas essayer, par exemple, de les acheter ? Comme, dit-on, chaque homme a son prix.
Le problème, Le Mollah, c’est que la plupart d’entre eux, ne veut plus de mon pognon. Soit, parce que certains sont déjà riches ; soit, parce qu’ils veulent plus entrer dans mon gouvernement. Dans un cas comme dans l’autre, ils se veulent incorruptibles.
A deux semaines du premier tour de l’élection présidentielle, c’est mauvais signe. Qu’allez-vous faire maintenant ?
Me remettre à Allah Soubhana watallah, comme ce fût le cas en 2013. Peut-être que, cette fois-ci, ça marcherait.
En faisant quoi ?
En le sollicitant, en ces termes, entre deux Raakas : « Allah Soubhana Watallah, faites en sorte que ces maudits sondages, donnant Soumaïla Cissé vainqueur, n’aient pas raison ».
C’est, visiblement, ce qui blanchit vos nuits ?
Je n’en dors plus, Le Mollah ! C’est pourquoi je suis d’une humeur à réveiller un cadavre.
Comment pourriez-vous être inquiet, Mr le président, alors que vous avez le soutien d’une soixantaine de partis politiques et d’associations ?
Ce sont des soutiens de circonstance. Je ne suis pas dupe. Je sais que la seule chose qui les intéresse, c’est mon pognon. Pire, même avec leur sourire hypocrite, certains sont incapables de me tromper.
Qu’allez-vous faire ?
Je continuerai la campagne. Comme si de rien n’était. Et si, par miracle, Soumaïla Cissé est déclaré vainqueur, je lui passerai la main. Et ce, dans la pure tradition malienne.
Propos recueillis
par Le Mollah Omar
Source: Canard Déchainé