Inexorablement, la boucle du temps se referme. Il y a un an déjà, Serval, Konna, Diabaly etc… rentraient dans le quotidien des conversations au Mali et un peu partout dans le Monde. Il y a un an, et pourtant il semble bien que nous y sommes toujours. La coalition de Jihadistes et de narcotrafiquants s’est certes dissipée, mais les Maliens en sont toujours à se culpabiliser d’être tombé si bas. Dans le vertige de la chute ils ont vu la moitié du territoire national tombé sous les bottes de l’ennemi. Ceux qui sont résolus de mourir, » débout sur les remparts » pour défendre le Mali éternel, leg de leurs aïeux ; que leur reste-t-il ? Un honneur bien abimé et un profond sentiment de culpabilité du sort qui leur est arrivé.
Il faudra encore du temps à la conscience collective de ce peuple pour regarder tous ces évènements en face ; bien se sonder pour répertorier les facteurs déterminants de la crise aussi soudaine et rapide qui l’a frappé de plein fouet.
C’est dans leur mémoire vive qu’ils ont trouvé l’homme à la hauteur des périls déclinants. En d’autres temps n’a-t-il pas » affirmé l’Etat « dans une chienlit ambiante ? Plébiscité comme aucun homme politique de son pays avant lui ; c’est IBK qui est porté aux nues. Très rapidement il porte l’étoffe du héros grec en pleine tragédie. L’homme se perçoit lui-même tel quel, comme il adore orné chaque acte, et scène de sa périlleuse mission de mythes et figures historiques grecs.
Latiniste dans l’âme ; il pâlit devant la rhétorique consommée d’orateurs qui ne manquent pas dans les allées du pouvoir. C’est alors Démosthène qui se rappelle à lui. Comme la dialectique a été élevée en art par cette antiquité grecque, IBK dissimule mal devant le parterre d’auditeurs rassemblés sa volonté systématique de prouver la profondeur de sa culture gréco-latine. La communication politique a-t-elle besoin d’un tel étalage de » background » culturel. Ses usages récurrents du mode subjonctif biaisent fortement la portée de ses discours. Combien de ses compatriotes n’ont pas le niveau de langue de ses discours. Il ne s’agit pas pour nous de souhaiter un nivellement par le bas, tout simplement une adéquation du discours de l’homme politique à son public. Sans doute IBK se soucie-t-il plus de la forme de discours que de son contenu et sa portée. C’est vrai pour les Grecs le bien dit et le vrai sont identiques.
A la différence du héros grec (mi Dieu, mi homme) qui percevait sans ambiguïté les termes de son équation, IBK ne montre en rien dans le » Tout prioritaire » du contexte Malien, par où commencer.
La transition de Dioncounda Traoré avait des repères bien visibles : la libération du Nord et l’organisation des élections Présidentielles. De ce fait le citoyen pouvait évaluer à temps réel l’action gouvernementale.
On nous rétorquera qu’il y a eu des Etats Généraux sur la Décentralisation, les Assises sur le Nord… Faute de pédagogie dans la communication, ces rendez-vous se sont ajoutés à la trop longue liste des grandes messes sans suite. IBK a entretenu et pour combien de temps encore le flou durant les pré-législatives. C’est pourtant sur la région de Kidal qu’il semblait vouloir commencer. Le peuple tétanisé par la blessure de l’occupation a mis le front social dans une relative veilleuse. Quand s’arrêtera pour lui cet état de grâce ? Le sentiment de culpabilité intériorisé par le peuple lui assure encore du répit. Kidal et les autres préoccupations trouvent là, leur refuge.
Le Premier Ministre tout à fait à l’ombre du Président-héros est quasiment inaudible. Il aurait pu par quelques qualités personnelles palier les lacunes de cette tragédie qui se déroule sous nos yeux. Visiblement à son allure polissée et sa gestuelle trop contenue, il donne l’image d’un gentleman de la city en quête d’un modus vivendi avec les ogres de la politique. Humilié et se sentant de toute part coupable d’un sort malencontreux dont il faut à touts prix éviter la duplication ; le peuple Malien se refuse à croire que la tragédie du Mali qui a tangué sans couler est bien derrière nous. Sans doute une autre se profile, plus pernicieuse masquée par des incantations épisodiques et des gesticulations spectaculaires. Cette tragédie donne ses indices : l’immobilisme et le manque de perspective. Ils trahissent les indolents qui veulent paraître zélés et les sans boussoles comme des passeurs expérimentés./.
Beaucoup d’observateurs et de Maliens avaient fini par se laisser convaincre à la veille de l’élection présidentielle et plusieurs semaines après la publication des résultats de ce scrutin, qu’avec le temps et l’expérience aidant, le Président Ibrahim Boubacar Keïta se montrerait fondamentalement différent du Premier Ministre Ibrahim Boubacar Keïta dans sa gestion de l’Etat et dans son comportement public de tous les jours. Quatre mois, presque jour pour jour, après l’investiture officielle du nouveau Président de la République, ce pronostic favorable, cette espérance secrète et intime de nos compatriotes, semble avoir fait long feu.
Et tout porte à croire que loin d’avoir changé en mieux, Ibrahim Boubacar Keïta est plus que jamais déterminé à se conduire en potentat, en monarque absolu qui seul, fait et défait les carrières et pour lequel l’Etat n’est qu’un instrument pour assoir sa toute puissance. Plusieurs faits et gestes de l’homme tendent à accréditer l’idée qu’il a véritablement renoué avec ses vieux démons.
La cérémonie d’investiture populaire du Stade du 26 mars
Ce jour là, c’est dans un stade rempli à craquer et devant de nombreux invités de marque, que surprenant tout son monde, le tout nouveau Président Ibrahim Boubacar Keïta se lance, dans une envolée lyrique mais dont la lourdeur et l’incongruité n’ont pas échappé à l’assistance, à la gloire de …. L’ancien Président Moussa Traoré, assis au premier rang des invités d’honneur. Envolée lourde mais aussi maladroite : à la tribune et aux côtés d’IBK se trouvaient au moment où le Président faisait les louanges de l’ex-dictateur, au moins deux des enfants de personnalité victimes de la répression politique exercée par Moussa Traoré contre ses anciens opposants. Envolée incongrue : celui qui a été renversé pour avoir ordonné en 1991 de tirer sur des centaines de manifestants pro-démocratie désarmés se voyait affublé de l’étiquette de » républicain « par un Président élu grâce à l’avènement de la démocratie !
Mais l’on eu tort de croire que ce dérapage inouï et stupéfiant n’était qu’un impair. Celui qui suivra immédiatement laisse encore bon nombre d’observateurs pantois.
L’abandon sans motif de l’avion présidentiel au profit d’un aéronef privé loué à un coût exorbitant
Tout fraîchement installé au palais de Koulouba, le Président élu IBK refuse pendant plusieurs semaines, sans motif valable, de se déplacer au moyen de l’avion présidentiel, qui avait pourtant subi les révisions d’usage. L’intéressé avait préféré recourir à la location d’un avion privé qui coûte plusieurs centaines de millions de francs par voyage. Le mystère demeure encore sur les raisons de ce qui apparaît aux yeux de sources proches du dossier comme une décision despotique, voire capricieuse. Au moment où les caisses de l’Etat avaient été vidées et où les comptes publics avaient viré au rouge au cours d’une transition chaotique marquée d’une part par l’arrêt des mannes financières issues de la coopération internationale et d’autre part par le pillage en règle des maigres ressources du pays du fait d’une bande de kleptocrates alors aux commandes de l’Etat, le Président élu n’avait rien trouvé de mieux que d’ordonner des dépenses extravagantes.
La nomination du Gouvernement
La formation du Gouvernement était attendue par l’opinion publique comme un test majeur permettant de juger de la sincérité des déclarations faites par le nouveau président après son élection. Il s’était en effet engagé à mettre en place une équipe gouvernementale formée d’hommes et de femmes compétents et entièrement dédiés à la cause du Mali. A l’arrivée, l’écrasante majorité des membres du gouvernement, y compris le Premier Ministre, étaient issus du petit cercle de parents, alliés et amis du Président. Au grand dam des nombreux mouvements, partis et associations qui ont soutenu sa candidature. Et cerise sur le gâteau : le nouveau gouvernement inclut à la tête d’un département ministériel au moins une personnalité convaincue par le passé de malversations financières. Entre les amis du premier cercle du Président, les parents de son épouse et les enfants de ses camarades de parti, le Gouvernement de Oumar Tatam Ly comprendra au finish peu de membres provenant d’autres horizons. A croire qu’aux yeux du Président, la compétence s’assimile à la parenté ou à la fidélité à sa personne.
Des leaders du MNLA cooptés sur les listes RPM
La présentation sur des listes du parti présidentiel, le RPM, de personnalités aussi controversées qu’un Ag Bibi et l’un des fils d’Intallah, également ancien membre actif du MNLA a achevé de convaincre les plus sceptiques d’entre nous d’une chose ; le Président IBK n’en fait qu’à sa tête. Peu importe qu’en l’occurrence les bénéficiaires de l’opération soient des hommes qui ont pris les armes contre leur propre pays et revendiqué des attaques meurtrières contre les populations du Nord. Ce que le monarque veut, Dieu veut. Résultat : le fils Intallah et Ag Bibi, tous élus à la députation dans des circonscriptions électorales taillées à leur mesure, peuvent désormais dormir sur leurs lauriers car il faudra obtenir l’aval de la nouvelle majorité parlementaire, qui sera formée autour du RPM, leur nouveau parti, pour qu’ils rendent compte de leurs forfaits devant la Justice. Qui peut raisonnablement penser qu’une telle opération de blanchiment de crimes commis par les deux personnes ci-dessus cités ait pu se faire par le RPM sans l’accord du Président, qui en demeure le chef incontesté ? A croire que les députés n’ont pas d’odeur puisque IBK s’empresse de préciser que si le RPM n’avait pas fait cette manœuvre, » d’autres » l’auraient volontiers fait. Traduction : conforter son pouvoir importe à tout prix pour IBK.
L’adoubement par le Président de la candidature de son fils aux législatives
Les sympathisants d’IBK feront sans doute remarquer que la désignation de Karim Keïta sur la liste des candidats du RPM aux législatives en commune II n’indique aucune volonté de succession dynastique du père et que celui-ci s’était exprimé contre le choix porté sur son fils. Cet argument est difficilement recevable pour deux raisons : la première c’est que Karim Keïta ne se serait probablement pas présenté à l’élection législative en commune II si son père n’avait pas été élu Président ; la seconde est qu’il n’aurait certainement pas été retenu sur la liste RPM de la commune si son père s’y était résolument opposé. A moins de considérer qu’IBK, qui s’est fait élire sur la thématique du retour de l’autorité au Mali, est incapable de l’exercer dans sa propre famille. Ce qui serait absurde.
En vérité, en laissant son propre fils descendre dans l’arène politique, le Président IBK démontre certes qu’il est le seul maître à bord du bateau Mali, mais aussi qu’il n’est pas indifférent à ceux que les membres de sa famille biologique exercent des responsabilités publiques. Cette analyse conforte ceux qui craignent que ne s’accentue au fil des années la dérive monarchique décrite à travers les exemples qui précèdent. L’on notera qu’aucun de ses prédécesseurs, depuis l’avènement de la démocratie directe, n’a voulu laisser un parent direct se mêler de politique.
ATT comme Alpha Oumar Konaré n’ont jamais voulu nommer à des postes politiques leurs proches parents, encore moins les laisser entrer en lice pour briguer des fonctions électives.
Dans le cas de figure ou c’est Karim et compagnie qui ont persuadé par arguties ou par influence IBK. Alors il ne reste plus qu’à conclure à un parricide qui marquera durement la lignée sauf à devenir réversible à temps. Pour parler de Karim on peut se souvenir qu’il ya un autre de l’autre coté de la frontière qui a suivi son père dans la déchéance. On ne prête pas impunément son fond politique, surtout pas à ses enfants biologiques.
KISSIMA GAKOU
SOURCE: Vitales Infos