Par un de ces rebondissements que l’histoire enregistre souvent, l’affaire de l’unité industrielle est revenue au-devant de la scène ces deux dernières semaines. Elle défraie tant la chronique que nul ne peut dire n’en avoir pas entendu parler. Les détails servis sont comme un pressant appel adressé aux autorités de la transition de rouvrir au plus vite le dossier afin que toute la lumière soit faite sur une des crapuleries les plus criminelles qui ont émaillé la gestion du pays durant les trente dernières années. La ficelle est grosse qu’il ne peut plus y avoir de déni de justice. En tout cas le peuple attend fermement de voir la réaction.
Signe qui ne trompe pas, c’est dans la foulée des accusations lancées par le Premier ministre pour dénoncer la gestion calamiteuse des biens publics et de l’armée sous Alpha Oumar Konaré, président de la République de 1992 à 2002, que des voix inattendues se sont fait entendre. Sékouba Diakité, qui fut au cœur du système financier de HUICOMA durant au moins deux décennies a produit à l’intention de l’opinion publique nationale un message audio qui fourmille de détails sur les mécanismes frauduleux qui ont abouti au bradage de l’unité industrielle. Il cite des noms et des chiffres qui ne devraient laisser personne indifférent. Les explications qu’il donne de certaines actions irrégulières jusqu’aux crimes sont à même de remonter l’échelle des responsabilités. Son audio en français, qui a connu un partage viral, a connu un succès si franc que les Maliens de l’intérieur et de la diaspora lui ont demandé de produire la version en bamanankan, langue la plus parlée du pays ; ce qu’il fit avec diligence, et avec un succès renouvelé. A sa suite, Mahamadou Doucouré, qui fut 21 ans durant le secrétaire général du syndicat de la CMDT et qui a vu naître HUICOMA, est aussi intervenu dans le débat. Preuve que ce dont il s’agit n’est pas n’importe quelle unité industrielle, mais qu’en plus c’est un joyau qui ne devrait pas disparaître, qui mérite d’ailleurs d’être réhabilité selon des conditions nouvelles dès lors qu’il y a une prise de conscience générale de son importance.
HUICOMA valait son pesant d’or, c’est indéniable. Son utilité demeure, même si les crapules et autres délinquants à col blanc sont passés sur elle. Elle valait des milliards, elle en vaudra davantage et les services qu’elle pourrait rendre aux Maliens seront de qualité et inestimables. Mais il faut d’abord que les responsables de la faillite, du bradage du moins sur fond de délit d’initié, soient traduits en justice. Sékouba Diakité affirme que le repreneur, Alou Tomata, avoue n’être que le dixième des actionnaires pour qui il ne serait donc que la face visible de l’iceberg. Mahamadou Doucouré, qui assure être à la disposition de qui veut d’amples informations sur l’arnaque du siècle, en tout cas une des plus grandes opérations de corruption et de détournement au Mali, ne le contredit pas. L’ancien syndicaliste de la CMDT dit en effet qu’Alou Tomata n’est qu’un prête-nom, un épouvantail que l’on peut agiter. M. Doucouré indique une piste : ceux qui veulent connaître les actionnaires réels de HUICOMA peuvent aller au Centre des Impôts des Grandes Entreprises. De là, la voie sera toute tracée pour connaître les coupables, les grands corrompus et les authentiques fossoyeurs parmi lesquels Alou Tomata à qui l’on a bradé HUICOMA à 09 milliards et qui n’aura servi que de paravent pour dépouiller l’Etat de son bien, non sans crier des dommages énormes aux travailleurs et aux citoyens maliens. On voit bien se dessiner le profil des vrais délinquants. Et c’est à partir de là que l’on pourra envisager d’indemniser les gens et remettre les choses dans l’ordre. Mais M. Doucouré prévient : en l’état, la reprise d’HUICOMA ne sera pas aisée. Les machines sont obsolètes, leurs pièces ne sont même plus fabriquées. En plus, la production de la seule CMDT ne suffit pas à faire tourner les huileries au Mali au nombre d’une cinquantaine. Pour cet autre spécialiste de la question, il faut prendre un exemple pour démontrer la difficulté pour les huileries. « Le rendement graine (quantité de graines dans 1 kilo de coton graine) est de 53 pour cent. Donc, pour une production nationale de 400 000 tonnes de coton graine comme la campagne écoulée, la production nationale de graines pour les huileries s’élève à 212 000 tonnes alors que la capacité de trituration annuelle ou les besoins annuels de l’Huicoma, à elle seule, sont de 200 000 tonnes.Rappelons que dans 1 kilo de coton graine produit par le paysan, il y a : 42 pour cent de fibre, 53 pour cent de graines, 5 pour cent d’impuretés. » Sceptique mais pas découragé, notre spécialiste ajoute : « Il est difficile de réhabiliter aujourd’hui HUICOMA à son ancien statut car elle seule, pour son fonctionnement, a besoin de toute la production nationale de graines de coton. L’ouvrir sous son ancienne forme équivaudrait à fermer toutes les autres huileries qui emploient au total plus de personnel qu’elle. La seule façon consisterait donc à l’ouvrir comme usine de raffinerie des huiles produites par les autres huileries, seul gage de sécuriser et de protéger les consommateurs. » Doucouré, quant à lui, avait ajouté qu’en plus de tout, l’huile produite par HUICOMA, parce que certaines conditions ne sont pas réunies, contient du Gossipol, un produit hautement cancérigène qu’il convient d’éliminer au préalable. La possibilité existe, mais ceux qui ne se soucient que de profits n’en ont cure.
HUICOMA est désormais au cœur du débat et des préoccupations. Ceux qui en sont les fossoyeurs sont connus, il n’y a pas à retrouver le ciel et la terre pour les retrouver. Il reste seulement à savoir ce que feront le Président, le Premier ministre et les autorités judiciaires, singulièrement le Pôle économique pour ce qui est de ce dossier des plus retentissants de corruption au Mali.
Luc Sidibé
Le National