Le 29 septembre 2021, était une sorte de mercredi des cendres pour la France qui rendait hommage, aux Invalides, au 52ème soldat français tué au Mali depuis 2013, au cours d’une opération conduite par la force antiterroriste Barkhane dans la région de Gossi, non loin de la frontière avec le Burkina Faso. Au même moment, le Premier ministre malien, Chogel Maïga, de retour, un jour plus tôt, de New-York, aux Etats-Unis, où il participait à la 76ème Assemblée générale de l’ONU, se faisait accueillir triomphalement par des centaines de personnes à l’aéroport de Bamako, en pleine polémique de ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’affaire Wagner, du nom de cette société privée de sécurité russe dont le rapprochement avec les autorités de la transition malienne, donne de l’urticaire à l’Elysée. En effet, à la tribune de l’ONU, Chogel Maïga avait qualifié l’attitude de la France « d’abandon en plein vol », en référence à la reconfiguration de la force Barkhane, pour justifier les pourparlers de son pays avec d’autres partenaires, notamment les Russes probablement Et c’est cet acte « d’héroïsme » qui lui a valu l’accueil triomphal de la part de ses compatriotes venus le célébrer à l’aéroport de Bamako.
La pilule du rapprochement entre les autorités de la transition et Wagner, a du mal à passer au travers de la gorge de Paris
Si ce n’est pas une façon de faire pleurer davantage Paris, cela y ressemble fort. Du reste, la France, par la voix de la ministre des Armées, Florence Parly, n’a pas tardé à réagir en qualifiant ces accusations d’« indécentes » et d’« inacceptables ». Des propos qui résonnent d’autant plus fort que l’Hexagone a perdu un soldat qui est mort au front au Mali, au moment même où le Premier ministre Maïga tenait son discours à l’ONU; toute chose qui revient, pour Paris, à « s’essuyer les pieds sur le sang de soldats français ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que la pilule du rapprochement entre les autorités de la transition malienne et la société militaire privée russe Wagner, a du mal à passer au travers de la gorge de Paris qui multiplie les offensives diplomatiques et les explications pour ne pas avoir à l’avaler. Ainsi, après la visite, le 20 septembre dernier, de la ministre des Armées françaises, Florence Parly, à son homologue malien, pour évoquer la question et rassurer les autorités de Bamako sur la volonté de la France de rester aux côtés du Mali dans la lutte contre le terrorisme, Paris tente, à présent, de faire comprendre que la décision de « la transformation de [son] dispositif sécuritaire au Sahel, ne constitue ni un départ du Mali, ni une décision unilatérale » et que « cela a fait l’objet de consultations avec les autorités maliennes et sahéliennes depuis le sommet de Pau (en France) en janvier 2020 ». Des arguments qui viennent battre en brèche ceux de « l’abandon en plein vol» brandis par le Premier ministre malien pour justifier le rapprochement de son pays avec Wagner. Mais dans ce jeu de ping-pong entre Bamako et Paris qui se rejettent mutuellement la balle, l’on peut être tenté de croire la France.
On est bien curieux de connaître le fin mot de cette scène de ménage
Mais le timing de la forte médiatisation du redéploiement de la force Barkhane qui, comme par hasard, coïncide avec le coup d’Etat du colonel Assimi Goïta contre le président de la transition, Bah N’Daw et son Premier ministre, Moctar Ouane, suivi de l’annonce de la suspension des opérations de la force Barkhane, peut avoir semé la confusion dans certains esprits. Pourquoi cette médiation n’est-elle pas intervenue plus tôt, mais seulement après ? C’est pourquoi l’on se demande si Paris n’a pas péché quelque part dans sa communication au point que la question de son redéploiement puisse servir aujourd’hui de fouet à Bamako pour la flageller. D’un autre côté, l’on peut se demander si la propension des autorités de la transition malienne à brandir à la France l’épouvantail de l’alternative russe, ne répond pas à d’autres impératifs, au moment où la question de la prolongation de la transition, fait plus que débat au-delà même des frontières du Mali. En tout cas, certains soupçonnent les autorités intérimaires de faire dans la diversion pour ne pas aller aux élections dans le but de prolonger indûment leur bail à la tête de l’Etat malien. Quoi qu’il en soit, les agitations frénétiques de Paris qui semble avoir complètement perdu le sommeil depuis l’ébruitement de l’affaire Wagner, ne semblent pas non plus anodines. Si bien que l’on est bien curieux de connaître le fin mot de cette scène de ménage où l’un des conjoints montre des velléités d’infidélité à l’autre qui n’y voit pas de raison, sans toutefois donner tous les gages de l’amour indéfectible attendu par sa dulcinée. Mais jusqu’où ira le bras de fer entre Bamako et Paris, dans cette affaire de recours à des mercenaires russes ? Bamako renoncera-t-elle in fine à Wagner ou s’engagera-t-elle dans la voie du divorce d’avec Paris qui l’a, soit dit en passant, déjà avertie de l’incompatibilité de l’implication du groupe russe avec sa présence militaire et celle d’autres pays et organisations internationales sur le terrain ? L’histoire le dira.
Source : LePays