Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, le directeur national des Affaires religieuses et du Culte Habib Kane donne son point de vue sur le sentiment de rejet provoqué par rapport à la réunification des trois anciennes lois qui régissent les cultes au Mali, balaie d’un revers de la main toute tentative du département d’interdire les prières sur les voies et espaces ou proposer des thèmes de prêches dans les mosquées de vendredi.
Aujourd’hui-Mali : Peut-on savoir avec vous les grandes lignes des mesures prises par le département des Affaires religieuses et du Culte qui ne font pas l’unanimité dans certains milieux religieux ?
Habib Kane : Au niveau de notre département, nous n’avons pas pris de nouvelle loi, il s’agit simplement d’un projet de loi portant organisation de la liberté religieuse et de l’exercice des cultes en République du Mali. J’ai dit que ce n’est pas une nouvelle loi, en ce sens que le Ministère des Affaires religieuses et du culte est un nouveau département tout comme la Direction nationale des Affaires religieuses et du Culte.
A cet égard, bien avant la création de ce ministère, il ya un certain nombre de compétences dans le domaine religieux qui étaient exercées soit par le Ministère de l’Administration territoriale ou par le Ministère de l’Intérieur, notamment à travers le Bureau des Affaires religieuses.
De nos jours, même si ces compétences relèvent de notre département, dans les textes, c’est toujours l’Administration territoriale et le Ministère de l’Intérieur qui réglementent ce champ par trois textes, notamment la loi 86 du 21 juillet 1961, la loi 59-42 qui date de 1959 et la loi 038 de 2004. C’est partant de ce constat que nous nous sommes dit qu’au lieu d’avoir trois lois dans trois papiers différents qui régissent les mêmes activités, pourquoi ne pas regrouper ces trois lois dans un seul document. C’est ce qu’on avait commencé à faire à travers d’une part la compilation des trois textes et d’autre part remplacer partout où c’est écrit Ministère de l’Administration territoriale ou Ministère de l’Intérieur par celui des Affaires religieuses et du Culte. Donc il n’y a pas eu de changement de fond, donc voila tout ce que nous avons fait. Pour les deux modifications que nous avons apportées dans ce document, il s’agit du terme de propagandes religieuses qui était écrit pour faire référence au prêche. Quant à la deuxième modification, elle a trait à l’augmentation du montant au seuil duquel les ONG doivent faire des déclarations aux autorités compétentes pour avoir un financement provenant de l’extérieur. Ce montant est passé de 500 000 Fcfa à 5 millions Fcfa. Tout cela pour éviter les questions de blanchiment et de financement illicite. Voilà, en tout, ce que nous avons fait.
Qu’est-ce qui a donc suscité ce sentiment de rejet de cette loi au niveau de certains milieux religieux ?
Nous-mêmes nous sommes étonnés, mais quelque part nous nous sommes dit que c’est une incompréhension. Pour la simple raison que lorsque nous avons mis ces trois textes dans un document et les avons envoyés aux associations religieuses, musulmanes aussi bien que chrétiennes afin qu’elles fassent des observations pour qu’on puisse se retrouver dans deux semaines pour en débattre, nous avons entendu dans certains médias toutes sortes d’interprétations du document, différentes de la loi proprement dite. Tandis que, dans tout ça, il n’y a pas eu de réunion interministérielle autour du projet de loi, qui devait passer, entre autres, au niveau du Secrétariat général du gouvernement, à l’Assemblée nationale. Donc on avait largement le temps d’en débattre, de corriger les insuffisances. Mais au lieu de tout cela, nous avions été surpris d’entendre çà et là que le Ministère veut interdire les prières sur les places publiques ou sur les voies publiques.
Je pense que toutes les associations ont la copie du document en question, nulle part il n’est mentionné cela. Ce qui est dit dans le document, c’est que quand vous organisez les activités cultuelles, je dis bien cultuelles (ce qui est différent de la prière du vendredi) sur les voies publiques ou les places publiques, il faut l’autorisation des autorités compétentes. Et en la matière, l’autorité compétente n’est même pas le Ministère des Affaires religieuses, mais les mairies. Cela même n’est pas une nouvelle loi et ne concerne pas seulement les associations cultuelles.
Donc ce n’est pas une interdiction de prière sur les espaces publiques ?
Bien sur, ce n’est nullement mentionné dans le texte ! Il y a eu aussi une polémique autour des tournées de prêches. Certains sont partis jusqu’à dire que dans le document en question, il est souligné que c’est le Ministère des Affaires religieuses et du Culte qui va proposer les thèmes de prêches pour la prière du vendredi qu’on appelle Khoutouba. Mais que non ! Il est juste dit dans le texte que s’il y a des convois de prêches d’envergure nationale, d’en informer les autorités compétentes pour prendre des mesures nécessaires en la matière. Ça permettra de savoir qui a organisé l’itinéraire du convoi. Dans un contexte sécuritaire difficile, ces données sont importantes. Nous pensons aussi que, partant des exemples, ces informations sont aussi nécessaires car pendant l’occupation des régions du nord du Mali, un groupe de prêcheurs mauritaniens qui faisaient la Dawa avait eu des problèmes et cela allait créer un incident diplomatique entre le Mali et la Mauritanie. Donc juste vous dire qu’il n’y a rien de nouveau que le département a initié pour la réglementation du champ religieux. Je pense que certains religieux, dans le souci de protection de la foi religieuse, sont allés vite en besogne. Mais quand ils liront le texte tout en faisant une analyse scientifique, ils se rendront compte, en réalité, que tout ce qu’ils ont dit n’est pas dans le document. A cet égard, le Ministre, se rendant compte que l’esprit du texte n’a pas été bien compris dans certains milieux religieux, a décidé de surseoir à ce projet en attendant que les esprits se calment et pour voir quand et comment reprendre les activités.
Réalisé par Kassoum THERA
Source: Aujourd’hui-Mali