Considérée comme l’un des pays les plus pauvres au monde, la Guinée recèle de gigantesques gisements miniers largement inexploités à cause du manque d’infrastructures, mais aussi de la suprématie des géants du secteur sur le marché.
Dans son bureau de Conakry, Ahmed Kanté, administrateur général de la Société guinéenne du Patrimoine minier (Soguipami), dresse un état des lieux mirobolant: « deux tiers des réserves mondiales de bauxite (40 milliards de tonnes), un minerai de fer de qualité mondiale (10 milliards de tonnes), du diamant, de l’or, plus récemment de l’uranium, des +indices+ de pétrole »…
Des milliers de milliards de dollars dorment dans le sous-sol guinéen quand, en surface, plus de la moitié des 11 millions d’habitants vit avec moins d’un dollar par jour, sans accès à l’eau courante ou à l’électricité.
A son arrivée au pouvoir en novembre 2010, Alpha Condé, premier président démocratiquement élu du pays, s’était engagé à mettre fin à ce « scandale géologique » en reprenant le contrôle des richesses naturelles.
« En 2010, les permis octroyés couvraient une surface plus grande (111%) que le territoire entier. Sur 1.500 sociétés, seules 7 étaient en production! », explique à l’AFP M. Kanté, qui met en cause des « spéculateurs », des « sociétés fictives » mais aussi les « lourdeurs administratives » et la « corruption ».
Un nouveau code minier a été adopté en juillet 2011, qui limite le nombre et la durée des permis de recherche et réserve 15% des participations des concessions à l’Etat guinéen, le cadastre a été entièrement revu, des contrats renégociés et quelque 800 permis de recherches annulés.
En 2013, la Guinée a exporté 17 millions de tonnes de bauxite et 3 millions de tonnes de fer, rapportant 160 millions de dollars à l’Etat via sa participation dans la Compagnie des Bauxite de Guinée (CGB), une goutte d’eau au regard de son potentiel immense.
Mégaprojet bloqué à Simandou
« Le manque d’infrastructures constitue le talon d’Achille du développement minier en Guinée », explique M. Kanté, ancien ministre des Mines (2007-2008). Si la bauxite, composant de l’aluminium, est relativement facile d’accès avec des gisements dans l’ouest, près de la façade maritime, le minerai de fer est lui enfoui sous le mont Simandou, aux confins de la Guinée forestière (sud-est), et l’Etat guinéen n’a pas les moyens de financer les insfrastructures qui permettraient de l’écouler.
Un mégaprojet d’un montant de 21 milliards de dollars – « soit plus du triple du PIB de la Guinée », souligne M. Kanté – prévoit la construction de 670 km de voies ferrées depuis Simandou jusqu’à un port en eau profonde à Forecariah, au sud de Conakry.
Le projet est « à l’étude » depuis dix ans par un consortium international (Rio Tinto/Chalco/SFI), par ailleurs détenteur d’un permis de recherche sur une moitié du site (Simandou 3 et 4).
L’avenir de l’autre moitié (Simandou 1 et 2) est quant à lui suspendu à une procédure judiciaire engagée aux Etats-Unis contre le groupe franco-israélien BSGR, accusé de corruption, et dont l’Etat guinéen veut annuler le permis de recherche.
« En principe, le fer pourrait commencer à sortir dans cinq ans, mais les délais de réalisation ne sont pas seulement techniques », relève M. Kanté.
« Ils dépendent aussi des intérêts stratégiques des grands groupes miniers et des données du marché sur lequel malheureusement nous ne sommes pas représentés », ajoute-t-il.
« Les multinationales font traîner les choses parce que leur stratégie est de garder la main sur les réserves guinéennes qui, une fois mises en exploitation, pourraient déstabiliser le marché du fait de leur quantité », accuse-t-il.
Pour l’Etat, le manque à gagner à chaque année de retard est énorme.
« Avec une production de 100 millions de tonnes par an en vitesse de croisière, Simandou (3 et 4) rapporterait à la Guinée, en impôts et taxes, quelque 2,5 milliards (de dollars) par an », soit plus que le budget annuel de l’Etat de 1,7 milliard, note M. Kanté, qui prône la négociation d’une « compensation » avec les groupes miniers qui, « depuis trop longtemps, font miroiter un avenir paradisiaque aux populations ».