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Guerre en Ukraine: « La destruction du pont de Crimée serait un fait d’armes spectaculaire »

La guerre en Ukraine s’enlise et débouche sur une neutralisation des fronts. Nicolas Gosset, chercheur au Centre d’études de sécurité et défense, spécialiste de la Russie, analyse les différents enjeux futurs du conflit. « Coûte que coûte, la Russie continuera », prévient-il. Interview.

La guerre en Ukraine semble s’intensifier dans le Sud. Au détriment du Donbass?

Au détriment, non. Ce sont les deux pièces d’une même médaille. Aucun des deux fronts n’est dissociable de l’autre. C’est vrai que la guerre en Ukraine connaît un piétinement dans le Donbass. Mais sur Kharkiv, il y a une poussée russe encore très forte, qui s’élargit au-delà du Donbass. Elle vise probablement à mobiliser une partie des troupes ukrainiennes dans cette zone. Les plans opérationnels russes et ukrainiens ne sont pas si différents que cela. Chacun des camps essayant d’allumer des feux dans différentes directions pour alléger l’effort sur un lieu précis. Ces actions conduisent à une sorte de neutralisation. Les Russes tentent de maintenir la pression autour de Kharkiv pour empêcher les Ukrainiens de déployer leurs forces dans le Sud comme ils le voudraient. L’inverse est aussi vrai par rapport au Donbass.

Peut-on noter de réels changements tactiques dans la guerre en Ukraine ?

La véritable nouveauté réside dans tous les développements qu’on a vus ces derniers jours sur les bases militaires russes en Crimée, dans la région de Berdiansk. Dans les semaines qui viennent, on observera peut-être des velléités ukrainiennes visant à frapper le pont dans le détroit de Kertch (le pont de Crimée, NDLR.). Ce serait un fait d’armes spectaculaire dont les Ukrainiens semblent de plus en plus enclins à réaliser. Il s’agirait plus d’un changement d’ordre tactique que le signe d’une vraie contre-offensive de l’Ukraine.

Il faudra également voir ce qu’il advient des deux contingents russes qui sont quasiment bloqués sur la rive droite du Dniepr, en amont de Kherson.

Pourrait-on y voir un réel retournement stratégique dans la guerre en Ukraine ?

Ce n’est pas ça qui changerait la nature de la guerre. Mais symboliquement, ce serait très important. Cela irait dans le sens du discours de Zelensky qui demande la mise en place d’un comité pour la désoccupation de l’Ukraine. Donc, on voit que l’Ukraine essaye de diversifier ses options et d’accroître considérablement la pression sur tout le dispositif russe au Sud du pays. De là à dire que c’est un tournant stratégique, je ne pense pas. Cela montre en tout cas que la guerre est beaucoup plus diversifiée que la seule campagne du Donbass, c’est certain.

Au début du conflit, les faiblesses de l’armée russe ont souvent été soulignées. On la disait fatiguée, mal organisée, inexpérimentée. Comment se porte-t-elle actuellement ?

Ils ont véritablement des difficultés, mais qui ne sont pas de nature à mettre un terme aux hostilités. On voit à quel point le Kremlin est jusqu’au-boutiste dans ses objectifs. Coûte que coûte, la Russie continuera. Quelles que soient ses pertes matérielles et humaines. Ils trouveront à chaque fois des moyens de s’adapter par une mobilisation à bas bruit.

Par contre, ils n’ont pas les effectifs suffisants pour atteindre leurs objectifs à court terme. La conquête de Donetsk pour l’automne est devenue irréaliste pour les Russes. Dans le cas contraire, il s’agirait d’une énorme surprise. Mais ils maintiennent la pression. S’il y a effectivement des grandes difficultés, le Kremlin entend persister. Coûte que coûte, ils trouveront des formes de mobilisations parallèles et espèrent tenir comme cela sur la durée. Aujourd’hui, toute l’industrie russe est mobilisée pour l’effort de guerre.

Les Occidentaux doivent-ils poursuivre leur stratégie à l’identique ?

Oui. En l’état, c’est la seule stratégie possible car il est devenu très clair que l’Ukraine n’entend pas négocier/capituler. Les négociations telles qu’elles sont présentées par le Kremlin engendreraient une forme de capitulation pour l’Ukraine. Abandonner le Donbass et les territoires du Sud ne sont pas une option pour les Ukrainiens. Il en va de même pour les pays occidentaux qui soutiennent l’Ukraine : personne ne veut voir la Russie sortir avec une forme de victoire de cette guerre.

Les piaillements et les trépignements russes traduisent leurs difficultés. Comme, par exemple, lorsque que Poutine accuse les Américains de faire traîner la guerre. C’est paradoxal et ça traduit une forme de nervosité. La guerre se prolonge indéfiniment, et ce n’était pas du tout le plan de base du Kremlin. Les coups d’éclat ukrainiens en Crimée et autour de Berdiansk de ces derniers jours mettent symboliquement la Russie en difficulté.

On retrouve un choc de deux volontés, de deux jusqu’au-boutisme. Cela ne laisse rien présager de bon pour la durée de la guerre. Le seul message encourageant, c’est que l’Ukraine tient bon. Et ce n’est pas seulement grâce aux livraisons d’armes occidentales. Ce qui compte autant, si pas plus, c’est le soutien financier fourni par les Occidentaux au budget de l’Etat ukrainien. Sans cela, l’Ukraine se serait effondrée économiquement. Cela joue de manière fondamentale sur la capacité du pays à tenir.

Par exemple, concernant les deux attaques qui ont été conduites sur les deux bases russes en Crimée, ce n’est pas très clair. Il ne s’agit certainement pas d’armes occidentales. Donc cela montre la capacité, -malgré les destructions-, de la défense ukrainienne à faire preuve de créativité. Elle est encore capable de fournir des équipements qui permettent de tenir bon. Ces efforts conduisent à une certaine forme de stabilisation du front. Concernant les contre-offensives ukrainiennes, dans la région de Kherson, il y a quelque chose qui se concrétise sur la rive droite. Mais de là à aller reprendre la ville, on en est encore loin. En outre, la reconquête de la Crimée est un objectif qui semble très distant et un peu irréaliste en l’état.

La guerre en Ukraine pourrait s’enliser pendant plusieurs années…

La guerre est déjà en train de s’enliser. Je ne vois pas de fin prédictible. A un moment donné, on pourrait voir le pouvoir russe passer à l’étape supérieure. Si le format de l’opération spéciale prouve ne pas fonctionner, et on n’en est pas très loin, ils passeront à l’étape supérieure. En décrétant des formes plus larges de mobilisation.

Ce qui correspondrait à quoi ?

Côté russe, il s’agirait d’accélérer l’effort sur la région de Kharkiv. On n’est d’ailleurs pas très loin de cette situation. Les Russes sont chaque jour en train de bombarder de manière massive la ville. Des percées russes depuis le Donbass vers la ville sont également tentées. Jusqu’à présent, elles ne fonctionnent pas.

Côté ukrainien, on pourrait voir l’accélération de la contre-attaque dans la région de Kherson. Et une intensification des bombardements ukrainiens ou des ciblages sur la Crimée.

Donc, la guerre en Ukraine donne lieu à sorte de neutralisation des fronts. On est en train de se figer dans une guerre qui n’est pas du tout terminée, qui continue mais qui stagne. Pour l’instant, il n’y a pas de scénarios de sortie, à moins de voir l’Ukraine baisser sa volonté de résister. Et d’un autre côté, des Occidentaux qui mangent leur chapeau et qui sont prêts à accepter les demandes extravagantes de Vladimir Poutine.   

 

 

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