Décidemment, la méthode de gestion des finances publiques par l’actuel Premier ministre, non moins ministre de l’Economie et des Finances, n’est pas du goût de tout le monde. Après l’adoption de la première phase du budget par l’Assemblée nationale, Moussa Mara, ancien Premier ministre, remet en cause la Loi de finances et prévient : « La fuite en avant n’est pas tenable.»
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Un adage bien connu au Mali dit que « courir sur un toit oblige à s’arrêter à un moment ou à un autre, au risque de chuter ! ». Cela sied à la gouvernance financière de notre pays. Nos autorités doivent être prudentes pour éviter cette chute. Le projet de budget 2020 présenté à l’Assemblée nationale n’illustre malheureusement pas la prudence qu’impose la situation. Bien au contraire !
La Loi de finances soumise à l’examen des députés au titre de l’année prochaine et qui traduit l’intention politique du Gouvernement paraît dans de nombreux aspects contraire à ce qu’il convient de faire en ce moment. Aussi bien dans l’anticipation des recettes que dans la planification des dépenses, les intentions de nos autorités paraissent contraires à ce dont le pays a besoin. En conséquence, il faut craindre que la situation financière de l’État, déjà préoccupante, ne soit encore plus alarmante à la fin de l’année prochaine, ceci, au grand désespoir des Maliens, notamment des plus démunis. La crise économique et financière pourrait avoir des conséquences plus dramatiques que la crise sécuritaire. Faisons donc attention !
Des recettes intenables
En ce qui concerne les recettes, le budget d’État anticipe 2 182 milliards de FCFA contre 2 055 milliards pour le budget 2019 rectifié, soit une augmentation de 127 milliards. Cette progression est en réalité plus élevée quand on prend en compte certaines recettes exceptionnelles de 2019 (vente de la 4e licence, dons reçus, etc.…) pour environ 74 milliards et qui ne se renouvelleront pas en 2020. Si l’on fait abstraction de ces éléments non récurrents, l’augmentation de recettes envisagée par l’État serait d’environ 201 milliards de FCFA entre 2019 et 2020.
Pour réaliser cette augmentation, le Gouvernement entend faire de véritables prouesses fiscales en générant des recettes supplémentaires d’environ 200 milliards par rapport à 2019.
Cela paraît très discutable en raison du fait qu’en 2019 déjà, la réalité des recettes fiscales a été inférieure de 66 milliards aux prévisions. Alors comment pourrait-on atteindre des objectifs aussi ambitieux ? En 2019, il était initialement prévu 1 603 milliards de recettes. Cette somme a dû être revue à la baisse en la ramenant à 1537 milliards ! En 2020 le Gouvernement programme 1 730 milliards de recettes ! Comment fera-t-il ?
Les explications fournies dans le document de présentation du budget paraissent très légères. Il y est indiqué que cet objectif de recettes a été fixé pour atteindre le niveau de pression fiscale de 15,6% ! Ce qui paraît assez surréaliste et s’apparente à de l’auto persuasion ! A l’image du taux de croissance, les performances fiscales ne se décrètent pas. Elles sont issues d’actions, d’initiatives, de réformes et de mesures vigoureuses et adaptées. Il est illusoire de concevoir un budget sur base d’un objectif chiffré que l’on se fixe en l’absence d’indication de la stratégie à mettre en œuvre, des efforts à fournir et des réformes à conduire ! Il ne suffit pas de le proclamer pour réaliser 200 milliards de recettes supplémentaires ! Dans une situation de cette nature, les lendemains risquent d’être douloureux et on risque de faire face encore à des réajustements comme en 2019.
Le document de présentation du budget annonce également une batterie de mesures pour améliorer les recettes des impôts, des domaines, du Trésor Public et de la douane qui s’apparentent à une répétition des intentions formulées lors de chaque exercice budgétaire. Elles seraient plus crédibles si pour chaque mesure, on indiquait le montant des recettes supplémentaires attendues par exemple. Autrement, on ne peut leur accorder de crédibilité.
Il est par conséquent probable que les recettes attendues en 2020 ne soient pas au rendez-vous, comme cette année. Ce qui aura des conséquences négatives sur la situation financière de l’État.
Les dépenses sont évaluées à 2 605 milliards de FCFA contre 2 388 milliards dans le budget révisé de 2019 soit une augmentation de 217 milliards de FCFA. Cette hausse est expliquée entre autres, par les remboursements de dettes (125 milliards), les salaires (41 milliards), les achats et autres dépenses (51 milliards dont 10 pour les élections). À noter que certaines dépenses augmentent mais la présentation du Gouvernement reste muette sur cela. Il s’agit des acquisitions de biens et services pour 5 milliards ou encore les transferts et subventions pour 33 milliards. Les explications sur ces augmentations devraient être fournies.
Maintenir le cout de l’électricité
Le Gouvernement anticipe une baisse de la subvention versée à la société Energie du Mali (EDM SA) à hauteur de 45 milliards, cela n’est pas réaliste. Il est donc probable que cette subvention, consentie pour maintenir des tarifs abordables de l’énergie, ne baisse pas, ce qui accroitra les dépenses de l’État en 2020. Pour réaliser des économies, il est également prévu de réduire le filet social de 13 milliards. Ce qui n’est pas acceptable dans le contexte actuel car ce volet est destiné à soutenir les personnes démunies. En revanche, chose surprenante, on ne remarque aucun effort de réduction du train de vie des institutions. Cela est également inacceptable puisque contraire à l’esprit de la gestion d’un pays en crise. Il est inconcevable d’imposer des efforts aux démunis et laisser les nantis mener grand train !
Compte tenu de ce qui précède, il est à craindre que le niveau des dépenses soit plus élevé que ce qui est présenté du fait de l’iniquité de certaines décisions et de la réalité à laquelle il faudra de toute façon faire face comme par exemple la subvention à verser à EDM SA. On pourrait ainsi, sur la base des chiffres présentés par le Gouvernement, anticiper un niveau de dépenses supérieur d’au moins 50 milliards aux prévisions, soit un niveau global d’au moins 2 655 milliards de FCFA.
Il convient de noter également qu’à l’examen des budgets des investissements, notamment le Budget spécial d’investissement (BSI) intérieur, il est prévu 15 milliards pour la réhabilitation de la Route Kati – Kayes – Kidira. Quand on connait le niveau de dégradation avancée de cette voie, on imagine facilement le caractère dérisoire des ressources affectées. Cette décision risque de contraindre l’État à faire plus d’effort et donc à accroître les dépenses et donc le déficit.
Le déficit budgétaire (différence entre 2 605 milliards de 2 182 milliards) est évalué à 423 milliards contre 333 milliards dans le budget rectifié de 2019, soit une augmentation de 90 milliards de FCFA. C’est la plus forte augmentation du déficit (27%) jamais constatée dans notre pays. Avec un Produit Intérieur Brut (PIB) estimé par le Gouvernement à 10 905 milliards, le taux du déficit sera de 3,9%, soit au-delà du maximum autorisé de 3% selon les règles de l’Uemoa et de la Cedeao.
Des risques de déficit élevés
En réalité, ce déficit risque d’être encore plus élevé car les estimations de recettes paraissent irréalisables (surestimation d’au moins 150 milliards) et les estimations de dépenses semblent sous-estimées d’au moins 50 milliards. Le déficit risque de ce fait d’être plus profond d’au moins 200 milliards; ce qui fait ressortir un niveau de déficit d’environ 623 milliards de FCFA, soit près du double de 2019 et 5,7% du PIB. Ce qui semble difficilement supportable pour un pays comme le Mali.
Le Gouvernement envisage de faire face aux difficultés financières de l’État en empruntant au moins 556 milliards de FCFA. Ce qui alourdira l’endettement du pays et génèrera encore plus de charges financières à supporter dans le futur. Pourquoi nos autorités n’envisagent-elles pas de réaliser des économies ? Pourquoi ne pas tailler clairement dans toutes les charges de fonctionnement, notamment celles des Institutions ? Pourquoi ne pas montrer l’exemple aux Maliens et dire enfin que face à la situation catastrophique, on doit tous se serrer la ceinture ? Pourquoi ne pas regarder du côté des exonérations fiscales qui sont des cadeaux faits aux nantis, souvent sans contrepartie ?
Ces questions se posent et leurs réponses sont attendues. D’ici là, il faut malheureusement constater que le projet de budget pour 2020 n’est ni réaliste, ni crédible et ni juste.
Moussa MARA
NB : le titre, les intertitres et le chapeau sont de la rédaction
Azalaï-Express