Notre pays a organisé les législatives les 29 mars et 19 avril 2020, dans un contexte sécuritaire improbable. L’exposition de violence qui a suivi la proclamation des résultats définitifs impose un screening de notre gouvernance démocratique qui traîne encore de nombreuses scories. Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, le Dr Abdoulaye SALL, ancien ministre des relations avec les Institutions, Président de CRI-2002, Contact national de Transparency International, Consultant, apporte son éclairage.
Info-Matin : L’Arrêt de la Cour constitutionnelle a été suivi d’une flambée de manifestations pour divers motifs. Quelle analyse en faites-vous ?
Dr SALL : Permettez-moi tout d’abord de remercier votre Quotidien, le nôtre, Info –Matin, qui s’est fixé comme valeurs et principes directeurs de « ne pas plaire ou de déplaire », celui de « tremper la plume dans la plaie » (Albert LONDRES).
Il ne saurait être indifférent à la flambée de manifestations pour divers motifs à laquelle nous assistons, suite entre autres, à la proclamation des résultats définitifs par la Cour Constitutionnelle des élections législatives 2020, scrutins des 29 mars 2020 pour le 1er tour, et du 19 avril 2020 pour le 2ème tour.
Vous avez bien dit ‘’l’Arrêt de la Cour Constitutionnelle’’, et qui dit ‘’Arrêt’’ dit ‘’chose jugée’’, et « les décisions de la Cour Constitutionnelle », selon l’Article 94 de la Constitution du 25 février 1992 de la République du Mali ‘’ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales. Les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, ainsi que la procédure suivie devant elles, sont déterminées par une loi organique’’.
Je m’en arrête là en ce qui est de la loi, du droit stricto sensu. Je laisse ce champ aux constitutionnalistes et publicistes.
Mais, comme il s’agit de la 5e institution constitutionnelle sur les huit que compte le pays, relevant du pouvoir judiciaire indépendant des deux autres pouvoirs, le pouvoir exécutif (le Président de la République et le Gouvernement) et le pouvoir législatif (l’Assemblée Nationale), intervenant et jugeant dans/et sur un champ dont les acteurs du jeu politique, à savoir, les partis et groupements politiques, ‘’usent des règles du droit pour conquérir, exercer, renforcer, ou défendre le pouvoir, centre du pouvoir politique’’, la Cour Constitutionnelle, elle-même, devient un enjeu de premier ordre, et la cible potentielle de tirs groupés justifiés et/ou non venant d’horizons divers.
Ce qui me fait croire, et dire, qu’elle constitue, par excellence le foyer de la construction et de la consolidation porteur des dilemmes et des apories de la démocratie et de l’Etat de droit. Il faut en sortir.
Le système électoral, si l’on veut véritablement atténuer les conflits post-électoraux, est à revoir dans ses trois dimensions avant, pendant, et après les scrutins.
La loi électorale doit être renseignée, et équilibrée en conséquence. Malgré son statut verrou de juge de l’élection du Président de la République, et des élections des députés à l’Assemblée Nationale, un seul article, l’article 167 sur les 208 articles que compte la loi électorale est consacrée au contentieux électoral impliquant la Cour Constitutionnelle, et de manière évasive.
Cet article 167 stipule : ‘’le contentieux relatif au référendum, à l’élection du Président de la République et des députés à l’Assemblée Nationale relève de la Cour Constitutionnelle conformément à la loi organique déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle’’.
Cette loi organique et ces règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle sont-elles connues, partagées, et assumées par les multitudes de Maliens et de Maliennes, de partis et groupements politiques, qui s’engagent dans la bataille démocratique et républicaine de conquête et/ou d’exercice du pouvoir politique ? Du citoyen malien lambda électeur et/ou éligible ?
Située en aval du processus électoral, la Cour Constitutionnelle méconnue, et tenue dans les ténèbres du maquis des articles de la loi électorale, ne saurait, à elle seule répondre, des « dilemmes », des « apories », et des contradictions en amont et en aval de notre système électoral, à commencer par une loi électorale en déphasage avec les enjeux, les défis, les perspectives de l’heure en matière de conquête et d’exercice du pouvoir politique, le faible taux de participation aux élections, à toutes les élections, le déficit criard de citoyenneté, de civisme, et de patriotisme.
Sur la question, tout le monde sait, reconnaît, et ce n’est pas l’Homme politique anglais Winston CHURCHILL qui me contredirait, que « la démocratie n’était pas toujours un bon système, mais, on n’en a pas encore trouvé de meilleur. Mais la démocratie ne se fait pas par les armes à la main. Il faut choisir ».
Les conflits, les manifestations, c’est naturel, et en la matière, tout se gagne ou se perd sur le chantier de la résilience, des réformes majeures et robustes du système électoral adoptées par le Dialogue National Inclusif, et dont l’opérationnalisation est fortement attendue pour la grandeur de notre pays, et l’honneur des Maliens et des Maliennes.
La 6e législature s’ouvre dans un contexte où le pays fait face à de nombreux défis, y compris en termes de réformes à entreprendre. Quel est le challenge pour les députés de cette législature ?
Les Députés qui doivent siéger à l’Assemblée Nationale tirent leur légalité, leur légitimité, et leur honorabilité, de leurs élections au suffrage universel direct dans les 55 circonscriptions électorales que compte notre pays, à savoir, les 49 cercles et les 6 communes du district de Bamako.
A ce titre, les 147 députés dont 42 femmes, portent le titre de Députés du peuple, parce qu’élus au suffrage universel direct dans les 55 circonscriptions électorales, et d’élus de la Nation parce qu’en siégeant à l’Assemblée Nationale s’impose à eux le principe du « mandat impératif » conformément aux dispositions de l’article 64 de la Constitution du 25 Février 1992 qui édicte ‘’tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres de l’Assemblée Nationale est personnel. La loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de plus d’un mandat’’.
Ce principe, ce challenge de premier ordre pour les députés de la 6e législature, signifie que le choix de l’électeur se limite à la personne de son représentant qu’est le Député à l’Assemblée Nationale. Celui-ci n’est pas, censé, tenu d’agir en fonction des vœux, des souhaits, de ceux qui l’ont élu, il doit exprimer la volonté de l’ensemble de la collectivité, de la nation, « vouloir pour la Nation ».
C’est pourquoi un Député est « député à », et non « un député de », alors qu’un Maire est « maire de », et non « maire à ».
Si le « Député à » appartient à la nation entière, à ce titre, il vote les lois, contrôle l’action gouvernementale, évalue les politiques publiques, peut renverser le Gouvernement par la motion de censure et/ou encore par la question de confiance, le « Maire de », lui, appartient à sa collectivité, à sa commune, son périmètre d’action se limite à sa collectivité, sa commune, dont il est chargé de promouvoir le développement économique, social, culturel, et environnemental.
Ce décor que je viens de planter, prouve à suffisance, que la position et les tâches des Députés sont à la fois ambivalentes, difficiles, complexes, redoutables, et que dans tous les cas, ils doivent chercher à trouver un terrain d’entente avec les Maires, les Élus des collectivités territoriales, pour occuper leur place, et leur rôle, d’Élus Nationaux siégeant à l’Hémicycle dans la capitale et de Serviteurs Humbles des Collectivités Locales du Mali qui les ont élus.
C’est dire, Député élu du Peuple, par le peuple, pour le peuple par les seuls électeurs de sa circonscription électorale, il doit à la fois parler en son nom suivant le principe du mandat impératif, mais aussi, et en même temps, s’occuper spécifiquement de sa circonscription électorale.
C’est dire, Élu de la Nation, malienne, dans sa diversité (147 députés dans 55 circonscriptions électorales) et dans son unité (le Mali Un et Indivisible) à travers les valeurs, les principes, les règles du jeu, de ce que j’appelle volontiers du patriotisme intelligent au-dessus de toutes velléités partisanes et/ou discriminatoires, le Député est chargé de contribuer, par ses fonctions, au bonheur de tous les villages, fractions, quartiers, collectivités du pays, et pas seulement du sien, ou de ceux qui ont voté pour lui. Un véritable challenge sur lequel il faut travailler, et acter.
Quelles suggestions pouvez-vous faire pour un meilleur confort de notre démocratie ?
Quel confort ? Mais, il n’y en a pas. En démocratie, il n’y a que du travail, de la sueur, des décisions difficiles à prendre, et assumer.
Et, au sortir des épreuves des deux scrutins des élections législatives 2020, des élections des 147 députés dont 42 femmes, de l’installation de la nouvelle Assemblée Nationale, nous ferons mieux, je dis nous « Maliennes » et « Maliens », ou du moins, nous serons bien inspirés, d’entendre, et d’écouter l’historien Burkinabè le Professeur Joseph Ki ZERBO « N’an laara, an saara (Si nous nous couchons, nous sommes morts) » (Joseph Ki-ZERBO « A quand l’Afrique ? 2003).
PAR BERTIN DAKOUO
INFO-MATIN