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Goïta-Keïta : L’instituteur et le militaire, même combat ?

De la proclamation de l’indépendance du Mali en 1960 à l’ouverture du pays au pluralisme politique en 1991, la classe dirigeante se débat toujours pour incarner le peuple et construire une gouvernance probe.

La guerre est bête

La guerre fait rage. Des images d’Ukrainiens hébétés, d’Africains abandonnés à eux-mêmes, rappellent l’horreur et le désastre de la guerre, cette bêtise humaine. Les démons du « pouvoir pour le pouvoir » et des rapports de force écrasants ont toujours alimenté le foyer de guerre dans le monde. A Kiev, Banibangou, Tessit, on écrase la personne humaine. L’attachement au culte du héros devient la règle pour exister et s’imposer au plus faible. Ici et ailleurs, c’est la crise : humanitaire, identitaire, sociale, politique. La crise de sens tout simplement. Jusqu’où nous conduit la bêtise humaine ? Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février dernier, les chiffres grimpent d’heure en heure : plus d’1 million de déplacés et près de 900 000 réfugiés dans les pays voisins.

Des âmes généreuses secourent les naufragés de la guerre. Lors d’une rencontre autour de la question ukrainienne, j’ai entendu le témoignage d’un Ukrainien qui m’a fait froid dans le dos. Il raconte son histoire, celle d’un père de famille avec ses enfants dans l’impossibilité de retourner à Kiev après quelques semaines de vacances au Disneyland Paris. Depuis, il erre. Sa situation rappelle celles des Maliens, des Burkinabés ou des Nigériens, chassés de leur terre par les narcoterroristes (Amara : 2019). Nul doute que les contextes sont différents.

Mais, le résultat reste le même : déracinement, exil forcé, humiliation, privation. Le combat pour la démocratie reste éternel. Une démocratie que nous avons tendance à confondre avec la ploutocratie. Ce régime « où les plus riches exercent un pouvoir politique ou jouissent d’une influence prépondérante ». Hélas, cette ploutocratie est représentative d’une bonne partie de nos dirigeants dans le monde, à savoir la confusion entre biens privés et biens publics.

Le prestige diplomatique de la Cédéao

Jeudi 24 février 2022, le médiateur de la Cédéao pour le Mali, Goodluck Ebele Jonathan, a rencontré Assimi Goïta, Président de la transition malienne pour s’accorder sur une date de retour des civils au pouvoir. C’était à trois jours de la tenue des élections générales du 27 février 2022. Lesquelles élections ne se sont jamais tenues. Monsieur Jonathan « … a réitéré l’attachement de la Cédéao au dialogue, aux fins de faciliter la restauration de l’ordre constitutionnel… ».

Rien de signifiant pour l’instant. Presque deux ans de régime de transition, la tension ne redescend pas. Rédhibitoire. Mais, au-delà des critiques d’une partie des Africains envers la Cédéao, à cause de sa mollesse institutionnelle et de son incapacité à anticiper sur les crises, Goodluck Ebele Jonathan enracine un prestige diplomatique. Et cela, grâce à son sang-froid et son esprit d’ouverture. Ni les positions politiques conflictuelles, ni les enjeux géopolitiques n’ont eu raison de sa démarche : œuvrer pour le dialogue entre Maliens, et entre Maliens et Africains. Il n’a pas encore mangé dans la grande marmite bamakoise, comme le répète souvent un vieux crocodile des bords du Djoliba. Pourvu que ça dure.

Triptyque : souveraineté-unité-participation

D’ailleurs, on le sait bien, le 1er Président du Mali indépendant, Modibo Keïta, a légitimé son pouvoir grâce aux processus de modernisation et de transformation de la gestion publique. Aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif des Maliens, le modèle de gouvernance de Modibo Keïta reste un repère à suivre. Avant d’être écarté par le putsch de Moussa Traoré en 1968, Modibo Keïta a innové le Mali dans les secteurs du transport, l’économie, la culture, l’éducation, etc.

La gouvernance a servi de cadre idéologique, poussée par l’US-RDA, pour mettre en œuvre ses projets pour le Mali. Aujourd’hui, face à l’épreuve de la crise sécuritaire, le Président de la transition, le colonel Assimi Goïta, cherche à recueillir les leçons, non pas pour s’identifier à Modibo Keïta, car ils sont différents, mais pour observer probablement les mêmes principes. Chez l’instituteur Président, Modibo Keïta, pour l’essentiel, on retrouvait le triptyque : souveraineté, unité et participation. Assimi Goïta, le militaire, ne peut pas imaginer les reproduire à l’identique. Keïta était un souverainiste visionnaire et célèbre. Goïta, loin d’être un souverainiste, en revivifie des fragments : reconquête d’une partie des zones sous tension narcoterroriste, volonté d’imposer des règles diplomatiques, etc. Keïta incarnait aussi l’unité. Goïta tente de s’engager dans son sillage en affichant une responsabilité dans l’exercice du pouvoir. Par contre, en dépit des appels à l’unité nationale, il est difficile d’affirmer qu’il a généré quelque écho que ce soit : non adhésion d’une partie de la classe politique aux ANR, emprisonnement de certains leaders d’opinion… Il est vrai que Modibo Keïta n’est pas irréprochable sur ce point : privation de liberté à l’égard de Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko ou Kassoum Touré. Dans l’exercice du pouvoir exercé par Goïta, on peut retrouver quelques morceaux épars de l’héritage de Keïta, encore faudrait-t-il le reconnaitre…

Lutter contre la désaffection institutionnelle et politique

Face aux sanctions de la Cédéao, et au retour nécessaire à l’ordre constitutionnel, Assimi Goïta doit œuvrer à la participation des Maliens. C’est-à-dire la possibilité pour chaque citoyen malien de « faire valoir ses préférences sans lui imposer… » un cadre préalable. L’équilibre du pouvoir exécutif et du pouvoir citoyen est essentiel pour une gestion transparente des services publics. Par exemple, le récent scandale de l’attribution des logements sociaux doit servir de leçon pour construire une gouvernance probe. C’est le moment pour reformer ce domaine pour lutter contre la désaffection institutionnelle et politique, qui se manifeste par l’abstention lors des élections ou par le détournement du citoyen vers narcoterrorisme. Hélas. Il ne sera pas inutile de mettre dans les commissions d’attribution des logements sociaux des citoyens honnêtes et de bonne réputation pour servir de garde-fous à toute dérive clientéliste et opportuniste. Ce sera le point de départ de l’institutionnalisation de la participation dans le reste des services publics. Goïta mettra ainsi ses pas dans ceux de Modibo Keïta à la fois pour le retour des civils au pouvoir et le retour de la paix. C’est le combat à mener pour apaiser les cœurs et les esprits.

Quels pouvoirs citoyens pour résister et changer le Mali ?

Quels garde-fous pour éviter le désastre, l’injuste ?

Mohamed Amara

Sociologue

Source : Mali Tribune

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