Dix-sept ans après l’ouverture d’une information judiciaire et vingt-huit ans après les faits, le tribunal de Paris a ordonné, mercredi 7 septembre, un non-lieu dans l’enquête visant cinq officiers français à Bisesero, un village de l’ouest du Rwanda. Jean-Rémi Duval, Marin Gillier, Jacques Rosier, Jean-Claude Lafourcade et Etienne Joubert étaient notamment poursuivis pour « complicité de génocide et de crimes contre l’humanité » pour des faits survenus en juin 1994, à la fin du génocide des Tutsi, alors que l’armée française était déployée au Rwanda dans le cadre de l’opération « Turquoise ».
« Au terme de très nombreuses investigations menées par dix magistrats successivement saisis ou co-saisis, les juges ont considéré, conformément à l’appréciation du parquet de Paris, que les éléments de la procédure n’établissaient aucune complicité par aide ou assistance aux forces génocidaires sur les collines de Bisesero », a déclaré la procureure Laure Beccuau dans un communiqué. Cette décision était attendue, aucun des officiers impliqués n’ayant été mis en examen au terme de l’enquête conclue en juillet 2018, une étape nécessaire avant un éventuel procès.
Sur les collines de Bisesero s’est joué l’un des épisodes les plus dramatiques du génocide des Tutsi, qui a fait entre 800 000 et 1 million de morts au printemps 1994. Le 27 juin en début d’après-midi, Jean-Rémi Duval et une douzaine de soldats des forces spéciales montent en Jeep vers le village. Par centaines, des réfugiés tutsi sortent alors de leurs cachettes, « affamés, totalement démunis et gravement blessés », selon l’instruction, pour être soignés et sauvés. Le lieutenant-colonel Duval les écoute, puis il rebrousse chemin avec ses hommes. De retour dans la ville de Kibuye, il assure avoir alerté sa hiérarchie sur la situation, et notamment le colonel Jacques Rosier, chef des opérations spéciales, même si ce dernier le conteste.
Lorsque les militaires reviennent à Bisesero, le 30 juin, les collines sont couvertes de cadavres. En trois jours, près de 2 000 Tutsi ont été exterminés par des miliciens Interahamwe et des villageois.
« L’impression d’avoir été des fusibles »
« Ayant à l’esprit que les consignes étaient de ne pas rester en reconnaissance de nuit, le lieutenant-colonel Jean-Rémi Duval, qui disposait […] d’un armement léger et n’était muni d’aucune trousse de secours, a estimé ne pas être en mesure d’assurer la sécurité des réfugiés, indique l’ordonnance de non-lieu, un document de 101 pages que Le Monde a consulté. Il n’a ainsi pas souhaité prendre le risque d’un affrontement avec les milices et a considéré qu’il ne pouvait pas se permettre de laisser [ses] hommes au péril de leur vie […] Jean-Rémi Duval ne s’est pas abstenu de protéger les réfugiés de Bisesero pour aider ou assister sciemment les auteurs et co-auteurs du crime de génocide. »