Fin janvier, la ministre française des Armées a révélé « qu’après plusieurs mois d’arrêt (…), la force conjointe du G5 Sahel est en train de reprendre ses opérations ». Devenue muette depuis l’attentat qui l’avait endeuillée fin juin dernier, cette force antiterroriste doit encore convaincre, après six opérations déjà menées. Dans l’immédiat, cela semble aléatoire.
« Les différentes opérations menées n’auront pas enregistré en tant que tels des résultats remarquables, mais elles ont plutôt permis à l’État islamique au Grand Sahara et aux autres groupes terroristes de migrer du centre du Mali et du nord du Burkina vers l’est du Burkina. Elles ont conduit à un redéploiement du dispositif des groupes terroristes, sans pour autant les détruire », observe Mahamadou Savadogo, spécialiste de l’extrémisme violent et de la radicalisation au Sahel. L’analyse de ce chercheur burkinabé du Centre de recherche action pour le développement et la démocratie (CRADD) est soutenue ces derniers mois par la multiplication des attaques meurtrières dans ce pays frontalier du Mali et également membre du G5 Sahel. Lundi dernier, une attaque ayant visé l’armée burkinabé a fait quatre morts, alors que la veille une autre avait coûté la vie à dix civils.
La reprise des opérations après leur arrêt depuis l’attaque du quartier général de la force, à Sevaré, il y a sept mois, n’annonce pas du nouveau. Malgré les plaidoyers sur son utilité au Sahel, le FC G5S, regroupant le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad en laisse plus d’un sur sa faim.
Montage inadapté ?
« Le G5 est une force qui ne répond pas à l’architecture de base idoine, parce qu’il a été concocté par les pays de la sous-région de manière assez autonome pour s’occuper de la sécurité. Mais toute la conduite des opérations, même si c’est avec nos forces armées, est sous tutelle étrangère, ce qui nuit au bon fonctionnement de l’organisation », estime l’analyste politique Salia Samaké.
Au total, la force G5 Sahel a conduit depuis sa mise en place six opérations. Les trois dernières ont été menées de mi-juin à mi-juillet 2018. Il s’agit de l’opération « Gourma », du 15 au 28 juin dans le fuseau Centre, à la frontière Mali – Burkina – Niger et des opérations « Odossou » (vigilance) dans le fuseau Est, à la frontière Niger – Tchad et « El Emel »(espoir) dans le fuseau Ouest, à la frontière Mali – Mauritanie, conduites conjointement du 1er au 12 juillet 2018. Ces différentes interventions ont été menées le plus souvent en coordination avec la Force Barkhane. « Il y a eu des résultats et ces forces ont eu des confrontations dans lesquelles elles ont obtenu peut-être des victoires, mais le maillon manquant est le maintien de la paix après ces opérations », souligne Salia Samaké.
Outre les difficultés à récolter les fonds promis, le regroupement semble confronté à des stratégies « complaisantes » et à une approche « molle » de la menace dès le départ. « Elle est restée théorique. Et, même en se mettant en marche, le G5 Sahel a minimisé la stratégie et l’action de ces groupes. On a l’impression qu’ils sont en avance sur la force du G5 Sahel parce qu’ils arrivent à anticiper ses actions », explique Mahamadou Savadogo, pour qui, elle est en « déphasage avec la réalité». « La stratégie mise en place depuis 2016 – 2017 pour couvrir le Sahel et pour le Burkina le nord du pays est désuète, car aujourd’hui il y a deux fronts ouverts : l’Est et l’Ouest », déplore le chercheur.
Si l’idée de cette force demeure originale, une plus grande implication des initiateurs serait plus que nécessaire. Tous les pays engagés dans cette lutte sont ciblés par les djihadistes, excepté la Mauritanie. La coordination des armées, aux capacités et au mode de fonctionnement différents, se trouve être une autre difficulté majeure. « Sur le terrain, pour l’armée burkinabé, que je connais très bien, il y a le comment vont être rémunérés les soldats qui seront sous la bannière du G5 Sahel, d’autant qu’ils évoluent sur le même terrain que les autres, qui prennent les mêmes risques ? », s’interroge Mahamadou Savadogo. Il met aussi l’accent sur l’absence de priorités communes aux chefs d’États du G5 Sahel. Le Niger et le Burkina seront bientôt dans la phase de leurs campagnes électorales, ce qui entrainera un relâchement dans les efforts. De plus en plus, il s’avère que des communautés, dans les zones d’opérations, considèrent cet outil comme une force étrangère. Au Burkina, à l’Est notamment, « il y a des confirmations que ce sont des communautés locales même qui se sont radicalisées contre le système en place », révèle le spécialiste de l’extrémisme violent et de la radicalisation au Sahel, Mahamadou Savadogo.
Quoi qu’il en soit, les nouvelles opérations, annoncées depuis l’extérieur, prouvent que la force a encore des progrès à réaliser avant toute forme d’encensement.
Journal du mali