Habituel pourfendeur de la politique africaine de la France, le chercheur Jean-François Bayart concède que le président français fait évoluer les relations dans le bon sens, alors que le sommet France-Afrique a ouvert ses portes.
Jean-François Bayart est directeur de recherche au CNRS et auteur de “Sortir du national-libéralisme” (éditions Karthala, 2012). Il analyse la politique africaine de François Hollande alors que le 26e sommet France-Afrique a ouvert ses portes ce vendredi 6 décembre. Interview.
Quel bilan tirez-vous de la politique africaine de François Hollande après un an et demi de mandat ?
– Moi qui suis d’habitude très critique à l’égard de la politique africaine de la France, je trouve qu’il a maîtrisé et renouvelé le dossier africain. Premièrement, le type des interventions militaires est très différent de celui qui avait jusqu’à présent prévalu. Deuxièmement, la méthode a profondément changé : le président se concentre sur l’essentiel (le dossier malien dès sa prise de fonction, puis la préparation de son voyage à Dakar et sa visite en Afrique du Sud) sans s’éparpiller dans une gestion au jour le jour de la clientèle africaine, tandis que le ministère des Affaires étrangères est revenu au centre du jeu pour la gestion courante des relations franco-africaines. Troisièmement, on est revenu à une politique africaine globale, que la gestion de Nicolas Sarkozy avait réduite au tout sécuritaire et au clientélisme.
Pourtant, pour être intervenue au Mali et maintenant en Centrafrique, la France se voit de nouveau affublée du titre de gendarme du continent…
– François Hollande prend ses responsabilités dans un monde qui ne les prend pas. Il intervient car le dispositif interafricain laisse à désirer et que personne d’autre n’est prêt à prendre l’initiative. Il n’intervient pas pour rétablir ou défendre un client comme Nicolas Sarkozy l’avait fait au Tchad en février 2008 pour sauver Idriss Déby. Cela aurait été le cas s’il avait volé au secours, début 2013, du président centrafricain Bozizé. Non, il déclenche des opérations dans des crises où l’intérêt national et européen est engagé.
Au Mali, on intervient pour briser une machine terroriste qui nous menace directement et pour rétablir l’intégrité territoriale d’un Etat internationalement reconnu. En Centrafrique, on intervient dans une situation qui risque de devenir totalement ingérable du fait de l’évanescence de toute autorité étatique. Contrairement aux opérations militaires précédentes, ces interventions s’inscrivent en outre dans un réel cadre multilatéral onusien. Pour le Mali, Hollande a sensibilisé et associé à l’intervention les Américains, les Nations unies, les Africains et même l’Algérie, pourtant très réticente.
Certaines voix accusent la France de paternalisme en organisant à l’Elysée un sommet sur la sécurité en Afrique…
– Ce n’est pas forcément une mauvaise initiative. Mais une coopération de ce genre n’a de sens que dans une approche politique et ambitieuse. Le seul objectif crédible serait la constitution d’une espèce d’Alliance de l’Atlantique Sud, dans laquelle des acteurs étrangers joueraient un rôle majeur, comme les Etats-Unis dans l’Otan, pour favoriser l’intégration militaire d’alliés africains. Mais il faudrait aussi que la France remette à plat ses propres politiques publiques qui produisent de l’insécurité sur le continent.
A quelles politiques faites-vous référence ?
– Le premier dossier est celui de l’immigration. La prohibition de l’immigration produit une rente dont les trafiquants d’êtres humains contre lesquels nous prétendons lutter sont les premiers bénéficiaires. Ce combat contre l’immigration est cynique et contreproductif. J’espère que la tragédie de Lampedusa servira d’électrochoc. Il ne faudrait pas que François Hollande soit à l’immigration ce que Guy Mollet a été à la question algérienne. Le deuxième dossier est celui de la prohibition des narcotiques. De nouveau, les principaux bénéficiaires sont les trafiquants que nous combattons. Nous courrons le risque de voir se constituer en Afrique et jusque dans nos banlieues une configuration politico-criminalo-militaire comparable à celle que la prohibition des narcotiques a engendré en Amérique centrale et latine. Le pire scénario serait la fusion-acquisition des réseaux de migrants et des réseaux narcotiques sur le modèle mexicain.
Que pensez-vous de la manière dont Hollande gère les relations avec les régimes autoritaires africains ?
– Il s’en sort plutôt bien. Sa démarche diplomatique est équilibrée et s’inscrit dans la durée ; on n’est pas dans l’effet de manche. En RDC, par exemple, il a su marquer sa distance tout en restant poli. Je crois qu’en politique étrangère, il faut accepter d’être très clair dans nos principes – savoir parler des droits de l’homme – et très réaliste dans nos démarches – savoir faire de la realpolitik. Qu’Idriss Deby ait instrumentalisé sa participation à la libération du Nord Mali en réprimant ses opposants appelait une condamnation de François Hollande. Mais il aurait pu utiliser aussi d’autres moyens pour se faire comprendre…
Que voulez-vous dire ?
– Nos services secrets pourraient désigner à nos services d’immigration les personnages louches, les fondés de pouvoir des dictatures. Et, à l’inverse, on pourrait accueillir beaucoup plus qu’on ne le fait les élites intellectuelles et les opposants africains sur notre territoire. La Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), instrument de softpower très efficace pour la France, pourrait être plus subventionnée par l’Etat.
L’Agence française de développement (AFD) pourrait être dotée d’une autorité de régulation indépendante composée de militants des droits de l’Homme, de chercheurs, d’avocats, qui noteraient le respect des droits fondamentaux dans chaque pays. Les prêts accordés par l’AFD seraient alors indexés sur ces notes.
Des mesures de moralisation pourraient être mises en place pour dissuader les entreprises françaises de vendre de la violation des droits de l’Homme, comme on l’a vu récemment avec les systèmes d’écoutes fournis à la Libye. Mais François Hollande, comme le reste de la classe politique et de la société civile française, fait preuve d’un déficit d’imagination.
Comment résumeriez-vous la doctrine qui sous-tend sa politique africaine ?
– Il n’y a plus véritablement de doctrine. On peut penser que sur ce dossier, comme sur le reste, le président tisse sa doctrine de manière très pragmatique. Mais cette absence d’imagination, le refus de poser les vrais problèmes de politique publique qui nous dérangent et la propension à dépolitiser la relation franco-africaine pourtant éminemment politique, tout cela caractérise une politique en demi-teinte. Tant que l’on n’aura pas posé les questions en ces termes, on sera en peine de renouveler en profondeur notre politique africaine et de l’adapter à un continent en mutation. Mais, reconnaissons-le, Hollande fait quand même un réel bout du chemin.
Propos recueillis par Sarah Halifa-Legrand – Le Nouvel Observateur
Source: Le Nouvel Observateur