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Financement public des partis politiques : Une suppression à risques

Le financement public des partis politiques n’est plus effectif depuis 2018. À l’heure où l’ensemble des partis politiques serre les rangs pour réclamer le versement de ses « droits » sur cette période, et qui plus est à l’orée des différentes futures échéances électorales, la transition affiche sa volonté  d’opérer une réforme  supprimant  purement et simplement cette aide de l’État allouée aux formations politiques. Si, comme on peut s’y attendre, la classe politique s’oppose à toute idée de suppression de cette manne financière, elle n’est toutefois pas contre un meilleur encadrement de celle-ci pour mieux garantir le suivi et les critères d’attribution. Mais le sujet  risque de devenir l’une des raisons de  dissensions entre les politiques et les autorités de la transition.

 

Début mars, lors de la 4ème réunion du Cadre de concertation entre le ministère de l’Administration territoriale et les partis politiques autour des nouvelles réformes politiques et électorales, le ministre colonel Abdoulaye Maïga avait énoncé des propositions issues du rapport du Comité d’experts tenu les 25, 26 et 27 janvier 2021, qui, à l’en croire, recommandent entre autres la suppression de  l’aide publique aux partis politiques et l’augmentation de la caution pour la candidature à l’élection du Président de la République de 25 à 50 millions de francs CFA.

Les représentants des partis politiques  présents à cette rencontre avaient rejeté en bloc la proposition. Le sujet n’a plus, dès lors, été discuté, ni dans ce Cadre de concertation ni ailleurs entre les autorités de la transition et la classe politique, mais cette dernière reste résolument déterminée à s’assurer du maintien du financement public.

« Supprimer ce droit équivaut à supprimer la démocratie, car les partis constituent des acteurs majeurs de la scène démocratique », a clamé lors d’un point de presse le 22 avril dernier Mamaye Kassogué, Président du Parti africain pour le renouveau et l’intégration (PARI), membre du Collectif des partis politiques pour le financement public, qui plaide pour le paiement sans délai de l’aide financière allouée aux partis politiques pour les exercices 2018 et 2019.

« Imposture » de la Transition?

Si la suppression pure et simple de l’aide publique est rejetée par la quasi-totalité de la classe politique, certains partis ne sont pas pour autant contre l’idée d’une réforme permettant de mieux contrôler l’attribution et le suivi du financement.

« Nous pensons qu’il est nécessaire de mener la réflexion sur la question du financement  public, de le réinventer et de l’encadrer. Cela est important. Mais nous sommes pour le maintien, dans de bonnes conditions, de l’aide aux partis politiques », affirmee Housseini Amion Guindo, Président de la Codem, le parti qui vient en 4ème position parmi ceux ayant bénéficié de plus de financements sur la période allant de 2013 à 2018, derrière le RPM, l’Adema et l’URD.

« Quand l’État met de l’argent dans une activité, cela lui donne le plein droit d’aller superviser cette activité, même s’il y a d’autres intervenants financiers dans l’activité. Mais partout où l’État ne met pas 1 seul franc, il lui est très difficile de suivre les financements. Pour cette raison, nous pensons que le maintien est important mais que l’encadrement est nécessaire », ajoute l’ancien ministre, jugeant comme relevant de « l’imposture » cette volonté de supprimer l’aide de la part des autorités de la transition.

« Nous pensons qu’elles  sont très mal placées pour supprimer aujourd’hui l’aide publique aux partis politiques, pour, disent-elles, soulager les finances publiques.  L’exemple aurait dû commencer par elles-mêmes », affirme celui pour lequel les autorités de la transition font juste du « tape-à-l’œil » en s’attaquant à une loi et à des droits « acquis au nom de la démocratie ».

« Nous sommes entièrement d’accord que le financement doit être moralisé. Mais nous sommes contre l’imposture, les stigmatisations et aussi contre le fait qu’une transition pose des actes qui peuvent être de nature, pour un pays fragile comme le Mali, à complexifier d’avantage les choses », insiste M. Guindo.

Une  « erreur » à ne pas commettre

L’ancien Premier ministre Moussa Mara pense que la volonté des autorités de la transition trouve son fondement dans l’opinion publique, qui est majoritairement favorable à la suppression du financement public des partis politiques, reconnaissant  que « nos compatriotes ont de la peine à percevoir l’utilité de ce financement » et que les partis sont perçus comme des « machines électorales fonctionnant essentiellement à l’occasion des élections et ne se souciant pas de la formation de leurs militants ou encore de la sensibilisation des populations sur les questions de l’heure ».

Au parti SADI, qui d’ailleurs compte user de tous les moyens juridiques pour entrer en possession de sa part de financement public depuis 2018, le ton est plus sévère.

« Les partis politiques ont un rôle à jouer dans l’éducation populaire, dans l’édification de la conscience politique des citoyens. C’est à ce titre qu’on donne de l’argent aux partis. C’est comme un peu les subventions accordées aux écoles privées. Donc dire qu’on va supprimer cela relève d’un mépris vis-à-vis de la classe politique », s’indigne Dr. Balla Konaré, Secrétaire à la culture et à la recherche du parti SADI.

Pour l’analyste politique Salia Samaké, en s’attaquant au financement des partis politiques, c’est comme si la transition se laissait emporter par les voix de la rue. « C’est une erreur à ne pas commettre », prévient-il.

Des obligations à remplir

La loi N°05-045 du 18 août 2005 portant Charte des partis politiques stipule en son article 29 que « les partis politiques bénéficient d’une aide financière de l’État inscrite au budget de l’État à raison de 0,25% des recettes fiscales ». Le montant annuel des crédits affectés au financement des partis politiques est divisé en quatre fractions.

La première, équivalente à 15% des crédits, est destinée à financer les partis ayant participé aux dernières élections générales législatives ou communales. Une deuxième fraction, égale à 40% des crédits, la plus élevée, est destinée à financer les partis politiques proportionnellement au nombre de leurs députés. La troisième fraction, égale à 35% des crédits, est destinée à les financer proportionnellement au nombre des conseillers communaux et la dernière fraction, égale à 10% des crédits, est destinée à financer les partis politiques proportionnellement au nombre de femmes élues, à raison de 5% pour les députées et de 5% pour les conseillères communales.

En plus de cette fragmentation des crédits alloués aux partis politiques, l’article 30 définit des obligations pour être éligibles à ces différentes subventions. Les partis doivent justifier de la tenue régulière des instances statutaires du parti, disposer d’un siège national exclusivement destiné aux activités du parti, distinct d’un domicile ou d’un bureau privé, et d’un compte ouvert auprès d’une institution financière installée au Mali.

Les partis politiques doivent en outre tenir un inventaire annuel de leurs biens meubles et immeubles, présenter leurs comptes annuels à la Section des comptes de la Cour suprême au plus tard le 31 mars de chaque année et justifier non seulement d’un compte dont la moralité et la sincérité sont établies par le Rapport de vérification de la Section des comptes de la Cour suprême mais aussi de la provenance de ses ressources financières et de leur utilisation.

Enfin, ils doivent avoir impérativement participé aux dernières élections générales législatives ou communales.

Revoir les critères ?

Pour Moussa Mara, qui a personnellement écrit sur la nécessité de la réforme profonde du financement public des partis politiques dans son livre « Pour un Mali meilleur », publié en 2006, il est indispensable de repenser ce financement, au risque d’être un jour face  à « une suppression brutale qui serait dommageable ».

Pour ce faire, l’ancien Président du parti Yelema propose une réforme qui prendra en compte trois aspects, le premier relatif au financement des « seuls partis qui existent, fonctionnent, participent aux compétitions électorales et ont des résultats ».

« Ensuite, il faut trouver le moyen d’associer les Maliens à l’allocation des ressources et au contrôle de l’utilisation qui en est faite par les partis, car c’est quand même en leur nom que le montant est versé. Enfin, il faut décentraliser au maximum le financement, en allant vers le versement des fonds aux structures des partis sur le terrain, ce qui permettra de s’assurer de leur utilisation conforme aux principes de l’intérêt public », préconise M. Mara.

Housseini  Amion Guindo est également favorable à un renforcement des critères du financement, « pour déterminer qui doit avoir accès à l’aide ou non ». Pour le Président de la Codem, il faut que ce pour quoi le financement est fait puisse être suivi et respecté.

« L’esprit du financement est bon. Les partis politiques jouent en certains lieux le rôle de l’État. Aller sensibiliser sur comment voter, comment se comporter dans une démocratie, c’est le rôle de l’État. Mais Les partis politiques aujourd’hui jouent ce rôle en lieu et place de l’État. Donc ce n’est pas un financement gratuit. Il s’agit simplement de mieux le gérer, pour que l’esprit qui a prévalu au financement puisse être respecté », déclare-t-il.

« Chez nous, à SADI, nous n’avons jamais été contre l’application de critères rigoureux. Il faut qu’il y ait ces critères et des hommes rigoureux pour les appliquer », prône également Dr. Balla Konaré

Salia Samaké abonde dans le même sens. Pour l’analyste politique,  ce n’est pas sur le montant du financement qu’il faut s’attarder. Il s’agit de revoir  les critères d’attribution et d’avoir un œil également sur ce qui est fait de ce financement au niveau des partis politiques.

« Je pense qu’il faut s’asseoir avec les partis politiques et la société civile pour refixer un peu les conditions d’attribution du quota. C’est sur cela que la réforme peut porter », suggère celui pour lequel le financement des partis politiques n’est pas de l’argent jeté par les fenêtres.

Germain KENOUVI

Source : Journal du Mali

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