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«Fatou» de Fatoumata Diawara : Lancinante complainte d’un cœur déchiré

L’une de mes grandes découvertes en route vers Maputo (Mozambique pour l’Afrobasket féminin 2013) a sans doute été «Fatou» ! Le premier opus de la talentueuse Fatoumata Diawara qui figurait parmi les albums disponibles sur South Africain Airlines. Pendant le long trajet Dakar-Johannesburg (près de 8 heures de vol), à l’aller aussi bien qu’au retour, je ne me suis pas lassé d’écouter ces dix titres en boucle.

 

Dans un style dépouillé, mais fascinant, Fatoumata Diawara évoque la vie de tous les jours dans ses chansons portées par d’envoûtantes mélodies. Méfaits de l’adoption (dont elle est une victime) et de l’excision ainsi que des guerres et des mésententes dans les familles, les ragots… Les thèmes traduisent son état d’âme, ses convictions et ses aspirations. Le style est à l’image de l’artiste, simple et décomplexé avec un esprit d’indépendance qu’on sent dans toutes ses créations ainsi que ses interprétations aussi bien dans la musique, qu’au cinéma.

 

Son rôle dans «Sia, le Rêve du python» ne symbolisait-il pas déjà le refus d’une génération de suivre aveuglement des traditions surannées qui ne faisaient que le bonheur d’une poignée d’initiés ?

 

Cette liberté et cette indépendance, Fatou les démontrent mieux sur scène par la danse et la maîtrise d’instruments de musique comme la guitare et le yabara. Sans compter cette sublime voix qui vous berce ou vous confond avec votre conscience en fonction des thèmes interprétés.

 

 

Si on la découvre pour la première fois à l’écran dans «Sia, le rêve du python», aux côtés d’illustres comédiens comme Sotigui Kouyaté (paix à son âme) et Hamadoun Kassogué (comédien et dramaturge), elle a ébloui les mélomanes lorsqu’elle chantait avec les «Balayeurs du désert», le groupe qui accompagne Royal de Luxe. Cultivant à souhait une fausse timidité, cette merveille vocale se transforme en un véritable volcan qui explose une fois sur scène. Ce qui n’est pas surprenant de la part de cet artiste qui, entre 2007 et 2009, a incarné la sorcière Karaba dans la  comédie musicale «Kirikou et Karaba». «C’était un rôle difficile et une belle rencontre. Je chantais pour me libérer, je criais à chaque fin de spectacle et j’ai appris à me soigner en criant dans la peau de Karaba. À la fin du spectacle, on m’enlevait une épine du dos. Depuis, j’ai mal à cet endroit-là», nous confie-t-elle.

 

 

Exorciser les démons d’une douloureuse enfance

Et visiblement, ce premier opus est aussi une cure d’exorcisation. Il y a du vécu dans cet émouvant album. Le vécu d’une rupture douloureuse qui a façonné celle que certains n’hésiteraient pas de qualifier de «douce Rebelle». En effet, née en Côte d’Ivoire, Fatou est séparée de ses parents à 10 ans et confiée à une tante à Bamako. Et pendant 15 ans, elle ne reverra pas ses parents et en sera profondément marquée. «Je ne cherchais pas à ce que cet album soit un bilan de ma vie, mais il l’est devenu. Ma vie est bourrée d’incompréhensions liées à l’enfance, d’émotions qui n’ont pas été nommées. En Afrique, il y a beaucoup de barrières entre les générations, la communication n’est pas fluide, je n’ai pas pu m’y faire», dit la jeune artiste engagée à propos de Sowa.

 

 

Le titre mélancolique qui parle de cette souffrance et fait de l’adoption une vraie déchirure pouvant briser toute une vie. Comme le dit un critique français, cet album est effectivement le «bilan d’une vie rocambolesque entre Côte d’Ivoire, Mali, Royal de Luxe et Damon Albarn». Pour Fatoumata, le chant est avant tout une thérapie et un refuge. Tout comme la danse, le théâtre et le cinéma. Pour échapper au carcan de la société malienne qui aurait préféré la voir mariée plutôt que sur une scène, elle accepte un contrat de six ans avec la troupe Royal de Luxe. Un engagement qui l’éloigne ainsi du Mali et des tourments d’une enfance douloureuse faite de séparation, de rupture et de déchirure. «Je suis partie un soir à 19 ans et pendant six ans, ma famille n’a pas su où j’étais», confessait-elle à un confrère à la sortie de son album en août 2011.

 

 

Mais, il faut dire que Fatou a réellement l’art dans le sang. Attirée par le théâtre et la danse, elle commence à monter sur scène dès l’âge de six ans et sa passion prend tellement d’importance que son père espérant la lui faire oublier, l’envoie chez une de ses tantes à Bamako. Celle-ci, également comédienne, emmène la jeune fille avec elle sur un tournage où elle fait de la figuration à 14 ans. Ce fut en fait la révélation, l’étincelle dont ce volcan artistique avait besoin pour exploser. Elle jouera dans la «Genèse» de Cheikh Oumar Cissoko en 1998 et participera à une adaptation théâtrale d’Antigone (aux côtés du regretté Sotigui Kouyaté). Un parcours atypique qui lui ouvre largement les portes de Royal de luxe, la plus grosse compagnie de théâtre de Rue du monde, à 19 ans.

 

 

 

L’exil comme passerelle musicale

Son «exil» offre à Fatou l’opportunité de côtoyer et de travailler avec Oumou Sangaré, Dee Bridgewater, Cheick Tidiane Seck, Herbie Hancock, Damon Albarn ou sur le projet AfroCubism… Plus tard, inspirée par Rokia Traoré, elle apprend la guitare et commence à chanter ses chansons dans des bars parisiens. «Fatou», témoignent des critiques, est «le fruit mûr à point» de cette vie d’aventurière, animée par le besoin de se libérer, de se trouver et de se réconcilier avec elle-même. «Ce disque, c’est moi, mon histoire, je n’y tiens pas le second rôle», avoue-t-elle fréquemment. Ainsi, si on y retrouve certains ténors (Tony Allen, Toumani Diabaté et John Paul Jones), elle dit avoir incliné beaucoup de «coups de main». Ce premier album, dont elle a écrit toutes les chansons, révèle donc un univers plus intime et un joli tempérament folk-groove, trempé dans la pure tradition du Wassoulou. Elle fait une entrée fracassante dans le showbiz avec, pour tout bagage, sa voix ferme et chaleureuse, sa guitare, et le renfort ponctuel d’un piano Rhodes, du ngoni et des percussions. Elle navigue avec une grande pudeur entre les rythmes mandingues, salsa (bakônôba) et des contrées funk plus occidentales. Ainsi, on se délecte des 12 titres (Kanou, Sowa, Bakônôba, Kélè, Makoun Oumou, Sonkolon, Alama, Bissa, Mousso, Wiliké, Boloko, Clandestin), sans voir le temps passé. Même si nous avons eu le coup de foudre pour Sowa, Bissa et Kèlè. Mais, il est difficile de résister à ses «ballades douces, voluptueuses et épurées» pour porter des messages parfois poignants (clandestinité, mariages forcés, excisions, des drames des conflits et des ruptures sociales…) ou souvent émouvants et jamais dénués d’espoirs. Une vraie belle découverte que cette talentueuse artiste-philanthrope aux multiples facettes qui dit ne chanter que pour «donner tout ce que je n’ai pas reçu».

 

 

Très attachée à ses racines maliennes

Malgré l’éloignement, Fatou demeure très attachée à ses racines maliennes. On comprend alors aisément qu’elle ait été très affectée par la crise que le Mali a traversée de janvier 2012 à août dernier. Et pour apporter sa partition à la réconciliation nationale, elle a réuni en fin 2012 une pléiade de stars maliennes autour d’un titre baptisé «Mali Ko» (l’Amour du Mali).Un projet qui a réuni, autour du jeune talent,  Amadou et Mariam, Tiken Jah Fakoly, Oumou Sangaré, Bassékou Kouyaté, Vieux Farka Touré, Djelimadi Tounkara, Toumani Diabaté, Khaïra Arby, Kassé Mady Diabaté, Baba Salah, Afel Bocoum, Habib Koité, Babani Koné, Nahawa Doumbia, Doussou Bagayoko, Master Soumy, Iba One, Sadio Sidibé, Fati Kouyaté, Mbaou Tounkara… Excusez du peu ! Peu de temps après, Fatoumata était au centre d’un portrait approfondi sur CNN dans le cadre de son émission «African Voices». Le documentaire raconte sa jeunesse au Mali, sa carrière de comédienne qui lui a permis de voyager à l’international, sa musique et ses efforts récents en faveur de la paix dans son pays.

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Et le 30 mai 2013, Fatou Diawara a reçu un Prix à l’Africa Festival Wurzburg en Allemagne. Cette année, le Mali a été le focus dudit festival, et Fatoumata a reçu cette distinction avec Bassékou Kouyaté. Et pas seulement pour le courage qu’elle a exprimé dans sa chanson «Mali-Ko», mais aussi pour son application à «défendre le droit des femmes au Mali» avec un engagement ferme contre des pratiques comme l’excision, le mariage forcé… C’est dire qu’on entendra encore parler de Fatoumata Diawara dans les années à venir et pendant très longtemps

 

Moussa BOLLY

SOURCE: Le Reporter

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