Le score effarant d’Ibrahim Boubacar Keita, le candidat du Rpm et de la Coalition le Mali d’Abord, avec 77, 30% des suffrages exprimés au second tour de l’élection présidentielle 2013 contre Soumaïla Cissé de l’Urd est un plébiscite jamais observé dans l’histoire de notre jeune démocratie, chèrement acquise au prix du sang des martyrs de la révolution du 26 mars 1991.
C’était le signal fort donné par le peuple d’une volonté de rupture avec le système ancien et ses pratiques décriées, durant deux décennies, à l’encontre de la bonne gouvernance et du bonheur de la majorité de la nation malienne, qu’il devait commencer à traduire, de toute urgence, dans les faits. Las! Le Kankélétigui qui refuse d’être bousculé se trouve pourtant trimballé par la France, la communauté internationale, les rebelles du Mnla, l’opinion nationale impatiente. Bref, alors que ses 100 jours à la tête de l’Etat seront bouclés le 13 décembre prochain, entre l’impatience des uns et les pressions multiformes des autres, il en est toujours à chercher ses marques.
C’est parce qu’il était celui qui incarnait le mieux sa volonté de changement que le peuple a presque plébiscité Ibrahim Boubacar Keita. « Pour Le Mali D’abord», « Pour l’Honneur et la Dignité des Maliens», des slogans qui ont fasciné l’imaginaire, rencontré la pleine adhésion du bon peuple humilié par la déroute d’une armée qui faisait sa fierté, et par l’occupation de plus de la moitié de son territoire par une horde de jihadistes et de rebelles narcotrafiquants du Mnla, longtemps chouchoutés par le régime du Général Amadou Toumani Touré, jusqu’à la date du coup d’Etat de la junte du capitaine Amadou Haya Sanogo, le 22 mars 2012.
Une fois au pouvoir à Koulouba, le peuple et les forces du changement attendaient incessamment d’IBK qu’il refonde de fond en comble le système ancien et installe à la tête de l’administration publique des hommes neufs et honnêtes.
La première déception est venue de la formation d’un gouvernement pléthorique, mal adapté au contexte de rigueur. Le sentiment général, pas seulement celui des contempteurs d’IBK, a été qu’il a voulu faire du neuf avec de l’ancien, en récupérant d’anciens ministres d’Alpha, d’ATT et des membres de l’ancienne junte, le Cnrdre, ministres de la Transition proches de l’auteur du coup d’Etat, le désormais Général d’Armée quatre étoiles Haya Sanogo.
Ceux qui étaient à son investiture au CICB avaient déjà eu un mauvais pressentiment lorsque prenant la nation entière à témoin, il avait qualifié le dictateur Moussa Traoré, qui avait dirigé d’une main de fer le pays pendant vingt ans, de «Républicain». Un os dur à avaler pour ceux et leurs proches qui ont perdu un parent, souffert dans leur chair et leur âme les affres, les violences et dérives de son régime anti-démocratique et antirépublicain. Les libérations des rebelles du Mnla faits prisonniers et la levée malencontreuse des mandats d’arrêt contre leurs dirigeants qui ont proclamé la république de l’Azawad, auteurs du massacre d’Aguel Hoc et d’autres crimes de guerre et contre l’Humanité, ont fortement exaspéré l’opinion nationale.
Le procureur de la République a dénoncé publiquement le fait. Comme il s’était insurgé pendant la transition contre cette velléité de l’Exécutif en ces termes :« Si le président Dioncounda Traoré annule les mandats d’arrêts contre les leaders du MNLA, il sera coupable de haute trahison … ».
IBK, sous la pression de la France et de la communauté est entrain de faire la même erreur fatale, en brûlant des étapes importantes dans le processus de réconciliation des Maliens, en faisant fi de l’honneur et de la fierté des Maliens. Devait-il privilégier les leaders du Mouvement national de libération de l’Azawad et du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) alors qu’il n’a pas d’abord écouté les victimes des exactions commises et leurs parents, avant toute concession lourde de conséquences aux bourreaux et à leurs alliés ?
Certains pensent qu’IBK, par ces actes nargue le peuple malien. Car les leaders des groupes armés, des hommes sans foi ni loi, sont ceux qui ont fait le malheur de nos concitoyens, du nord et du pays. Pourquoi diable faut-il donc les ménager, alors qu’ils ne représentent pas effectivement les populations du nord Mali qui n’ont de cesser de dénoncer les rapines et exactions de ces bandits armés ?
Le mouvement islamique Sabati 2012 en est venu à prendre ses distances avec le régime d’Ibrahim Boubacar Keita, qui, pour lui, n’est plus en odeur de sainteté, après tant de compromissions. Le mouvement qui projetait d’œuvrer aux législatives du 22 novembre prochain à donner une majorité confortable au Kankélétigui, pour mieux gouverner, roule désormais pour sa propre chapelle. Il risque d’être un véritable trouble-fête et un facteur d’instabilité pour le pouvoir, s’il pesait de tout le poids espéré à la future assemblée nationale.
En un mot en cent, IBK doit rectifier rapidement le tir, au risque de voir ses soutiens s’effriter inexorablement. Il doit se réveiller de ses certitudes d’apparatchik, se défaire des filets des laudateurs et autres courtisans et alliés politiques qui ont fait, avant lui, les malheurs d’ATT. On est en moment de crise où les décisions les plus difficiles, les plus courageuses, doivent être prises dans un timing exact, publiquement et non en catimini. Cela fusse-t-il contre les oukases de la France et de la communauté internationale. Il serait bien inspiré de tenir toute l’opinion nationale informée et de la concerter à tous les niveaux pour son assentiment. Ce sera pour lui la meilleure porte de sortie.
Oumar Coulibaly