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Exploitation aurifère : LES COURS D’EAU ET LA SANTÉ PUBLIQUE MENACÉS PAR LE DRAGAGE

La dégradation du fleuve Niger et du Baoulé a atteint son seuil limite de tolérance. Jamais un domaine public au Mali n’a fait l’objet d’une telle invasion et exploitation délictuelles.  Si des mesures urgentes ne sont pas prises, les écoulements de ces cours d’eau s’arrêteront.

De nos jours, le phénomène de l’exploitation de l’or par dragage dans les lits des cours d’eau au Mali interpelle chacun. C’et une véritable tragédie qui se joue sous nos yeux. Tout le monde en parle. Le phénomène est si inquiétant, qu’il est devenu un sujet de préoccupation majeure non seulement en ville, mais aussi et surtout dans les localités concernées. Pourtant, l’exploitation traditionnelle de l’or est une activité très ancienne au Mali. Jusqu’à une date récente, elle était utilisée avec une faible production, mais cette technique qui tend à disparaître au profit d’une nouvelle technique d’exploitation de l’or par dragage était relativement respectueuse de l’environnement, selon les spécialistes du domaine. Devant l’ampleur du problème, nous nous sommes intéressés à la question.
Qu’est ce que c’est que l’exploitation aurifère par dragues? Pourquoi nos cours d’eau qui se meurent déjà (particulièrement le fleuve Niger) sont pris d’assaut par des chercheurs d’or de toutes provenances ? Qui sont les opérateurs de dragues au Mali ? Quelles sont les conséquences de l’exploitation de l’or par dragage? Pourquoi nos autorités, qui sont pourtant conscientes du problème, tardent encore à appliquer des mesures  alors que dans des pays voisins, le dragage est interdit? Que faire? Disons au prime abord que le dragage au Mali est autorisé par la loi n°2012-015 du 27 février 2012 portant Code minier. Actuellement, les opérateurs qui s’adonnent à l’exploitation artisanale mécanisée de l’or sont des ressortissants de pays asiatiques, des Malgaches, des Maliens et des ressortissants de pays voisins. Selon les données du Conseil national de l’Eau, leur nombre est passé d’une dizaine en 2012 à plusieurs milliers de nos jours.
L’exploitation aurifère par drague, selon le Directeur général adjoint de l’Agence du bassin du fleuve Niger (ABFN), Moussa Diamoye, est une opération consistant à extraire l’or contenu dans le sable, le gravier et le sol des cours d’eau. L’or contenu dans ces différents éléments se dépose au fond des matériaux à cause de sa densité et peut être récupéré sous forme de grains ou de paillettes par simple lavage mécanique ou par concentration grâce aux produits chimiques (mercure, cyanure, etc.). En fonction des types d’équipements utilisés, on distingue deux sortes de dragues opérationnelles sur les cours d’eau du Mali : la drague suceuse ou aspiratrice de cours d’eau et la drague à godets, a indiqué M. Diamoye.
La drague suceuse ou aspiratrice de cours d’eau est une machine flottante équipée d’une pompe aspirante avec un moteur ou deux. Cette machine est fabriquée à Bamako et dans d’autres localités comme Kangaba, Kéniéba, Yanfolila, Misséni, etc. La drague à godets, elle aussi, est une machine conçue pour l’exploitation des dépôts contenus dans les cours d’eau pour en extraire l’or. Une drague à godets ramasse et rejette dans l’eau, en moyenne, 75 tonnes de graviers et de blocs rocheux en une seule tournée circulaire en 20 minutes maximum. Ce qui explique pourquoi elle rejette d’énormes quantités de matériaux constituant des monticules et des ilots dans le lit des cours d’eau. Ce type de drague est, en général, importé et utilisé par des Asiatiques en partenariat avec des operateurs maliens qui sont les détenteurs des titres miniers d’exploitation. Selon les enquêtes, le prix moyen d’une drague sur le marché varie de 2,5 millions à 3 millions de FCFA, l’on comprend aisément la prolifération de ces engins sur les cours d’eau. En l’absence de statistiques officielles, tous nos interlocuteurs s’accordent sur l’existence de plusieurs milliers dragues sur les cours d’eau. Plus de 5000 dragues opèreraient aujourd’hui au Mali, indiquent certaines sources.

CONSTAT ALARMANT. Dans un tel contexte, d’aucuns parlent de l’indifférence des autorités

face à un problème aussi grave. Pourtant, face à l’inquiétude grandissante par rapport aux opérations de dragage, le problème se trouve actuellement au centre des préoccupations de nos plus hautes autorités.
C’est ainsi qu’entre avril et août 2017, une mission conjointe de trois départements ministériels (Environnement, Energie et Eau et Mines) s’était rendue dans les régions de Kayes, Koulikoro et Sikasso en vue d’évaluer les impacts de l’exploitation aurifère par dragues. L’objectif principal de cette mission consistait à mieux appréhender l’ampleur du phénomène afin d’aider à une prise de décision concernant l’encadrement ou l’interdiction de la pratique du dragage au Mali. La mission a visité quelques sites d’exploitation sur le fleuve Niger aux environs de Bamako et Kangaba, le Bakoye, le Baoulé, le Sankarani, le Wassoulou-Balé et la Falémé. Il s’agissait, entre autres, d’analyser les impacts potentiels susceptibles d’affecter les populations riveraines et les milieux récepteurs (air, eau, berges, frayères, sols) ainsi que les risques liés aux produits chimiques, aux gaz et fumées, huiles, graisses et autres polluants. La mission, accompagnée des responsables des différents services déconcentrés, s’est entretenue avec les autorités administratives, communales, les associations des exploitants de dragues, les services techniques et les operateurs prives du domaine.
Le constat est alarmant. Des milliers de dragues de toutes tailles creusent et soulèvent le fond du lit tout en créant des fissures et des ilots. L’huile de vidange des moteurs est directement déversée dans l’eau, le mercure ou le cyanure est utilisé pour la finalisation de la production. D’autres encore utilisent la technique de brûlage pour faire libérer le mercure dans l’air. En outre, les besoins humains y compris les ordures ménagères sont directement déversés dans l’eau. A cela il faut ajouter que le lit mineur de tous les cours d’eau a disparu et au niveau du fleuve Niger, il a cédé la place à un filet d’eau situé le long de la berge qui, à son tour, est très agressée. «La dégradation du fleuve Niger et celui du Baoulé a atteint son seuil limite de tolérance. Jamais un domaine public au Mali n’a fait l’objet d’une telle invasion et exploitation délictuelles. Cette dégradation est sans précédent et si des mesures urgentes ne sont pas prises, les écoulements de ces cours d’eau s’arrêteront», préviennent les enquêteurs.
Au niveau du Baoulé, l’eau a cessé de couler et le cours est constitué de quelques flaques d’eau dont l’aspect noirâtre présage à vue d’œil de la pollution. Pire, les écoles se vident et l’exode vers ces lieux se développe. Il faut dire que la grande majorité des propriétaires de dragues ne disposent d’aucune autorisation des services compétents et travaillent dans l’illégalité totale. Tous les groupements associatifs, se disant affiliés à la Fédération nationale des orpailleurs ou à la Chambre des mines du Mali, s’adonnent à la délivrance de cartes d’exploitation de dragues moyennant paiement d’une taxe (100 000 et 200 000 F CFA). Une situation qui a été dénoncée à cause de son caractère illégal.

DES DOMMAGES IMPORTANTS. A Koulikoro, par exemple, l’équipe a pu constater que certaines des collectivités perçoivent des taxes sur les dragues à travers une délibération du conseil municipal. L’installation de la drague est ainsi assujettie au payement d’un montant variant d’une commune à une autre. Dans le cercle de Kangaba, le montant varie de 50.000 à 75.000 FCFA comme taxe annuelle et de 20.000 à 25.000 FCFA comme taxe mensuelle. Cette pratique permet aux exploitants, grâce à l’autorisation des maires, de mener leurs activités sans contraintes. En plus, certains maires sont, eux-mêmes, détenteurs de plusieurs dragues. Autre constat, les services de l’assiette fiscale perçoivent aussi des taxes sur les dragues.
A Kangaba, les recettes tirées des dragues ont fait passer l’assiette fiscale de 2 millions à plus de 106 millions de francs CFA entre 2010 et 2016. Par ailleurs, sur l’ensemble des propriétaires de dragues, à part un seul propriétaire de drague à godets, aucun ne disposait d’un permis environnemental délivré par le ministère en charge de l’Environnement, et d’une autorisation délivrée par le service des Mines. A cela, il faut ajouter que toutes les autorisations de recherche délivrées pour trois mois en général par le service des Mines sont périmées. Certains détenteurs d’autorisation de recherche opèrent également en dehors du périmètre concédé par leur autorisation. Ce qui donne lieu souvent à des négociations/marchandages entre ces derniers et les autorités municipales. C’est le cas au niveau de la Commune de Kaniogo où la mission a coïncidé avec une séance de négociation entre l’équipe municipale et une délégation d’un pays d’Asie.
Outre la pollution des cours d’eaux, on note les conflits latents entre pêcheurs, agriculteurs et exploitants de dragues, la manipulation de produits dangereux sans protection conséquente. La rencontre avec l’Association des plongeurs et propriétaires de dragues du Mande, de son côte, a permis de comprendre que la situation de l’utilisation de dragues est hors contrôle. Lors de la réunion de restitution de l’étape de Koulikoro au niveau du ministère de l’Environnement, de l’Assainissement et du Développement durable. Le 08 mai 2017, le ministre s’était exprimé en ces termes : «La situation est désastreuse sur le terrain. Elle a peut-être échappé aux ministères en charge de l’Environnement et des Mines. L’autorisation des dragues est subordonnée aux études d’impact environnemental sur n’importe quel endroit, à plus forte raison sur le fleuve. Les populations enregistrent les dommages les plus importants. Un groupe d’individus ne peut mettre en péril l’avenir des populations. Les dragues sur le fleuve, c’est quelque chose à revoir complètement. Le développement durable commande de travailler dans les normes et les formes juridiques. Ce qui n’est pas toléré ailleurs est accepté au Mali avec la complicité de certains Maliens. La forme actuelle d’exploitation ne peut continuer. Dans cet exercice d’écoute et de proposition de solutions, j’en appelle à votre sens patriotique et non aux intérêts individuels et corporatistes car nos ressources ne sont pas inépuisables».
Cela fait bien longtemps. Depuis cette affirmation du ministre, concrètement, quelles sont les mesures qui ont été prises ou appliquées ? Du côté du ministère en charge de l’Environnement, il nous a été signifié que de sérieuses dispositions sont en cours en vue de lutter contre le fléau. A l’instar des pays comme le Sénégal ou la Guinée, pourquoi ne pas interdire, purement et simplement, un phénomène qui tue un plus, chaque jour, un fleuve Niger déjà agonisant et affecte la santé des citoyens ?
Fatoumata MAÏGA

Essor

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