Zahabi Ould Sidi Mohamed, ministre malien des Affaires étrangères, affirme à FRANCE 24 que la France ne court aucun risque d’enlisement au Mali, mais que l’armée malienne doit au plus vite reprendre pied dans le nord encore en proie à l’anarchie.
« Je suis un ministre atypique », dit calmement Zahabi Ould Sidi Mohamed, installé autour d’un verre de thé dans la salle VIP des « Medays », le forum international organisé par l’Institut Amadeus à Tanger, ville qui incarne plus qu’aucun autre lieu au Maroc ce trait d’union entre le Nord et le Sud. Atypique, parce que Touareg et Arabe, il symbolise la volonté du président Keita de réconcilier les différentes composantes du pays. Issu d’une tribu de guerriers touareg, il a lui même participé à la lutte armée avant d’entreprendre une carrière de fonctionnaire international à l’ONU dans différentes missions de maintien de la paix.
Zahabi Ould Sidi Mohamed n’hésite pourtant pas à dire leur fait aux principaux mouvements indépendantistes touareg, comme les représentants de l’Azawad, incapables de faire appliquer leurs engagements par les potentats locaux. Kidal, dans le nord du Mali, a ainsi encore été, jeudi 14 novembre, le théâtre de violences contre les symboles de l’État malien alors même que le MNLA (notamment) a pourtant assuré qu’il saurait garantir le bon déroulement du processus de réconciliation entre les peuples du sud et du nord du pays. Kidal, tristement endeuillée le 2 novembre par l’enlèvement et l’assassinat de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, les deux reporters de RFI, et où, depuis, il est clair que la sécurité n’est plus garantie.
Sur ce point, le ministre des Affaires étrangères est formel. « Ce fut une erreur, lors de l’opération Serval, de ne pas poursuivre la pacification jusqu’à Tessalit et Kidal ». Cette conviction, il l’a sans doute exposée au ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qu’il vient de rencontrer lors de la conférence intergouvernementale sur la sécurité au Mali. À l’époque, après avoir libéré Gao et Tombouctou, Paris avait en effet jugé, craignant que l’armée malienne n’y soit mal accueillie, qu’il valait mieux, à Kidal, s’appuyer sur les forces politiques touareg, en particulier le MLNA.
Pour Zahabi Ould Sidi Mohamed, la normalisation y est urgente et « c’est à l’armée malienne de s’en charger. Elle en est tout à fait capable. Les Maliens seront éternellement reconnaissants envers la France, ajoute-t-il, mais nous sommes aussi des guerriers. Nous n’allons pas éternellement nous appuyer sur les autres. » Venant d’un ancien rebelle touareg, l’affirmation porte évidemment, et on comprend que le président malien a voulu à la fois montrer sa volonté d’ouverture et jouer un tour au MLNA en le nommant à un tel poste au sein de son gouvernement.
Le Mali n’est pas l’Afghanistan
Mais pour l’heure, c’est l’armée française qui renforce ses effectifs dans le nord. Modestement – 200 hommes ont été appelés en renfort. C’est toujours ainsi néanmoins que commencent les processus d’enlisement dans des cas pareils, c’est-à-dire lorsque des armées étrangères prennent pied en libératrices dans des régions en proie au terrorisme. À la longue, elles peuvent être vite considérées par les populations locales comme des forces d’occupation. « Le Mali n’est pas l’Afghanistan, nous objecte le ministre, l’armée malienne n’aura aucun mal à se faire respecter et la page du putsch est tournée. Le dialogue politique doit se poursuivre avec toutes les forces qui renoncent à la violence. Et les gens du nord, qui ne se reconnaissent pas tous dans le MNLA, lui-même traversé de nombreuses contradictions, lui demanderont aussi des comptes. Après tout, ceux qui ont voté à l’élection présidentielle, l’ont fait massivement pour IBK, dans le nord aussi ! »
Zahabi Ould Sidi Mohamed fixe toutefois quatre lignes rouges à ce dialogue avec la rébellion, dont certains éléments, rejetant la main tendue, sont tentés de rejoindre la nébuleuse d’Al-Qaïda. « L’intégrité du territoire malien, la laïcité de l’État – il prononce bien ce mot – sont non négociables. La solution du problème malien ne doit pas être source de déstabilisation pour les pays voisins. Enfin, les négociations doivent avoir lieu sur le sol malien avec son gouvernement légitime. »
Mais le guerrier, apaisé par une vingtaine d’années passées à tenter de résoudre des conflits au sein de l’ONU, a une autre ambition qui dépasse largement le simple cas malien. « Il faudrait qu’un jour, nous les musulmans, nous réunissions toutes nos tendances, djihadistes compris, autour de cette question : quelle doit être la place de la religion dans la politique ? Peut-on l’invoquer à tort et à travers si, en même temps, on prétend bâtir des États modernes ? Personnellement je crois qu’il faut séparer le temporel du spirituel, mais nous devons avoir cette discussion entre nous et ne pas laisser les Occidentaux la régler à notre place. »
Il est très rare, pour ne pas dire exceptionnel, d’entendre un dirigeant de premier plan d’un pays musulman reconnaître ainsi la responsabilité première du monde islamique dans la dérive actuelle de l’islam radical. On s’étonne néanmoins de l’ingénuité d’un tel projet visant à réunir dans une discussion des partisans ayant des visions aussi opposées de l’islam. Et lorsqu’on soulève qu’au Mali, justement, les djihadistes viennent de démontrer qu’ils voulaient simplement imposer leur vision du monde, de l’islam à tout un peuple pétri de traditions tolérantes, Zahabi Ould Sidi Mohamed invoque, imperturbable, un dicton berbère. « Il faut poursuivre le menteur jusqu’à la porte de sa maison. »
Source: France24